vendredi 9 juin 2023

« Tous les jours, j’y allais un peu plus à reculons. Un jour, j’ai arrêté d’y aller » : paroles d’étudiants infirmiers qui ont jeté l’éponge


 



Par   Publié le 07 juin 2023

Leur décision a souvent été prise à la suite d’un stage, à cause du « rythme », d’un sentiment de manquer d’encadrement et d’impuissance face aux « cas pratiques ». En 2021, 10 % des étudiants ont abandonné en première année. Pour enrayer le phénomène, une réforme de la formation est annoncée.

Un infirmier se protège avant d’entrer dans la chambre d’un patient infecté par le Covid-19 dans le service de réanimation de l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, le 6 avril 2021.

Helena, Emilie et Thibault, qui ont tous les trois souhaité rester anonymes, n’ont pas seulement pour point commun leur âge – la vingtaine –, et l’espoir partagé, mais qui « s’éloigne », disent-ils à regret, d’exercer un jour le métier d’infirmier. Ils ont aussi une façon bien à eux de comptabiliser le temps de formation durant lequel ils ont « tenu » avant de jeter l’éponge. Non pas en mois ou en semestres, mais en nombre de stages.

« J’ai compris que je n’irai pas beaucoup plus loin au bout du septième », raconte Helena, qui se remet à peine de ce stage terminé, fin janvier, dans un service d’urgences de Nouvelle-Aquitaine. « Trop de brancards dans les couloirs, trop de patients en attente… » Son « rêve » a tourné court : « Cepatients avaient besoin qu’on s’occupe d’eux, qu’on reste auprès d’eux, ils avaient plein de questions… Et moi, face à ça, je me suis sentie très seule, très en incapacité de les aider… »

Des infirmières diplômées sont bien présentes, « compréhensives », mais en nombre insuffisant pour l’encadrer et pour « passer derrière [elle] ». Son bac scientifique et ses cours qu’elle pense pourtant maîtriser ne lui sont pas d’un grand secours, face aux « cas pratiques » auxquels elle se retrouve confrontée.

En avril, à quelques mois d’achever sa troisième et dernière année d’études, après une autre mauvaise expérience en oncologie, Helena officialise une interruption de formation auprès de son« IFSI »l’un des 337 instituts de formation en soins infirmiers qui accueillent près de 100 000 étudiants. « Ce n’était pas vraiment un choix : je n’en pouvaitout simplement plus », confie-t-elle.

« Je me suis heurtée à un mur »

Emilie, qui a « tout stoppé » au milieu de sa deuxième année d’études, dans un IFSI du Grand-Est, fait de son cinquième stage, en médecine générale, l’« élément déclencheur » : « Je me suis sentie livrée à moi-même, avec trop peu de tuteurs pour trop d’étudiants, comme moi, à encadrer. Je n’avançais pas, je n’apprenais pas, et je savais qu’il y aurait, derrière, les partiels… Je voyais le retard s’accumuler. Je marchais vers l’échec. Tous les jours, j’y allais un peu plus à reculons. Un jour, j’ai arrêté d’y aller. »

Titulaire d’un bac technologique sanitaire et social, elle pensait avoir le « bagage » pour réussir dans cette filière, l’une des plus demandées sur Parcoursup. « Infirmière, je m’étais toujours imaginé le devenir… » Elle a déchanté. « Je me suis heurtée à un mur, celui de mes limites, peut-être, mais aussi celui d’un rythme effréné qui te fait alterner les semaines de cours et les semaines de stage. Ce qu’on te demande d’apprendre et de faire, ça m’a semblé inadapté, beaucoup trop lourd… »

Des cas loin d’être isolés : alors que le nombre d’étudiants infirmiers a été relevé depuis 2019, pour répondre au défi du recrutement, la part d’abandon a elle aussi augmenté : sur l’ensemble de la scolarité de la promotion 2018, 14 % des étudiants ont décroché ; c’est 3 points de plus que pour la promotion 2011, précise la Drees, direction statistique relevant du ministère de la santé. En 2021, 10 % des étudiants ont abandonné en première année ; ils étaient trois fois moins dix ans plus tôt. Sur cette même décennie, le nombre de diplômés a baissé, chaque année, de 7 %.

Face aux alertes, l’institution a sonné la mobilisation : la formation en soins infirmiers sera « repensée », pour juguler la« trop forte déperdition des étudiants », a promis le ministre de la santé, François Braun, en développant le tutorat durant les stages mais aussi l’apprentissage dès la rentrée de septembre. A l’horizon 2024, c’est tout le métier qui devra avoir fait son aggiornamento, avec la réécriture du décret définissant les actes infirmiers.

Des offres de stages « lacunaires »

La crise sanitaire est passée par là, plaçant en première ligne tous les soignants, étudiants compris. Mais les problèmes viennent de plus loin, rappelle-t-on à la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières. Parmi les « facteurs d’abandon », sa présidente, Manon Morel, cite aussi un encadrement et une offre de stages « très lacunaires » : « Des étudiants nous rapportent être incités à se rapprocher d’ergothérapeutes, de kinés ou même de vétérinaires… Dans un contexte où l’hôpital se vide, on marche sur la tête ! » Elle cite également les limites de la formation théorique – dont le référentiel remonte à 2009 –, creusant l’« écart entre ce qui s’apprend et ce qui devrait être appris ». Et la précarité étudiante, « nerf de la guerre ».

Thibault, ex-étudiant à Marseille, en sait quelque chose : en février 2022, à 25 ans, il est revenu à son métier d’avant, la restauration, faute de pouvoir « tenir financièrement ». « J’avais repris meétudes sans autre aide qu’une bourse de région, je devais travailler avant les cours, après les stages… En fait, je travaillais tout le temps ! », raconte le jeune pompier volontaire. Mais les « doutes », et même le « choc », dit-il, sont venus des stages. Et notamment du deuxième,réalisé dans un service de médecine générale, durant lequel il s’est senti « totalement inutile » « Je faisais la toilette des patients, ça et rien que ça. J’ai vite compris que je remplaçais des aides-soignants absents. Les infirmières me répétaient “Il faut t’y faire, l’hôpital est à l’os…” » Thibault a tenu cinq stages : « En Ehpad, en psychiatrie, ça ne m’a jamais semblé aussi dur qu’en médecine générale. »

Avec un an de recul, les regrets viennent renforcer son envie de « se relancer ». « Je bosse, je remplis mon compte formation. Je fais des recherches sur les financements, dit-il. Je ne me suis pas enlevé le métier de la tête. »


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