lundi 26 juin 2023

Reportage «Nous sommes leur premier lien avec la santé» : à Noisy-le-Grand, un lieu inédit pour la pédiatrie Article réservé aux abonnés

par Apolline Le Romanser    publié le 24 juin 2023 

Pédiatres, psychologues, orthophoniste, ergothérapeutes… Une vingtaine de soignants sont réunis depuis le 24 avril dans une même maison dédiée à la santé des enfants et adolescents, en Seine-Saint-Denis. Une première en Ile-de-France.

Clara, 2 ans, tousse, respire fort, les joues rougies. Elle se lève quand même, fait voler sa robe bleue et ses cheveux bruns, coiffés d’un serre-tête Minnie Mouse violet. Un peu de fièvre ne l’empêchera pas de découvrir le jeu en bois de la salle. Quelques minutes plus tard, la fillette disparaît avec son père derrière la porte blanche d’un cabinet. En ce jeudi matin, une dizaine d’autres enfants lui succèdent. Sans compter ceux des autres unités de la maison, bâtisse plantée au milieu des pavillons et résidences d’une avenue de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Sur trois étages se répartissent cabinets, salles d’attentes, étagères emplies de livres enfantins et même un chien en plastique rouge.

«Je voulais créer une maison pour les enfants. Nous sommes leur premier lien avec la santé, c’est important d’avoir un lieu où ils se sentent bien», insiste en souriant, Anne Auvrignon, l’une des trois pédiatres à l’origine du projet. Entre ces murs fraîchement peints travaille une vingtaine de professionnels de santé libéraux – pédiatres, psychologues, diététicienne, orthophoniste… – réunis autour d’un même projet de santé, dédié à la prévention et au suivi des enfants, des adolescents et de l’accompagnement de leurs parents. Ils forment une «maison de santé pluriprofessionnelle» pédiatrique. La première du genre en Ile-de-France, dans un département classé dans sa quasi-totalité «zone d’intervention prioritaire» par l’Agence régionale de santé (ARS). Selon l’Insee, la Seine-Saint-Denis comptait 101 médecins généralistes pour 100 000 habitants au 1er janvier 2022, contre 148 en France métropolitaine.

Créées officiellement en 2007 pour favoriser l’exercice collectif entre soignants libéraux, les maison de santé pluriprofessionnelle se développent de plus en plus, essentiellement autour de médecins généralistes. Les pédiatres y sont rares – seulement 48 dans les 1 600 structures de ce type financées en 2021 par l’Assurance maladie. Et quasiment aucune maison de santé n’est exclusivement dédiée aux enfants.

Qu’à cela ne tienne, les trois soignantes franciliennes ont voulu expérimenter : leur structure, baptisée Graines en santé, est labellisée par l’ARS le 1er avril 2021. Les professionnels de santé sont conventionnés secteur 2 avec Optam – autrement dit, ils pratiquent des dépassements d’honoraires encadrés. Ne manquaient plus que de nouveaux locaux pour réunir tous les soignants : c’est chose faite, depuis le 24 avril.

«C’est bien ici pour les urgences ?» Une grande brune, la trentaine, pousse la porte près de laquelle attendent trois poussettes vides. Au rez-de-chaussée, réservé à la pédiatrie médicale, les soins non programmés sont séparés des consultations de suivi et assurés à tour de rôle par l’une des pédiatres. Carine et son fils s’assoient sur l’un des bancs bleus. Le petit est un peu patraque : pas de place la veille, il a fallu venir ce matin. «Il est suivi ici par une pédiatre, et on a déjà vu la neuropsy, précise la Noiséenne en scrutant la salle d’attente flambant neuve. C’est rassurant de savoir qu’il y a différents professionnels au même endroit, on se sent moins démunis quand on a besoin d’un spécialiste.»

D’autant que «la médecine ambulatoire de l’enfant [est] en crise», pour reprendre les mots inquiets de l’Inspection générale de l’action sociale dans un rapport de mai 2021. Entre autres, les pédiatres manquent. Et la Seine-Saint-Denis ne fait pas exception. En 2021, selon l’ARS, le département disposait d’un peu plus de 58 pédiatres pour 100 000 enfants de moins de 15 ans, contre 68 au niveau national. La situation est plus critique encore pour la Seine-et-Marne, d’où proviennent une partie des patients de Graines en santé, avec 36 pédiatres pour 100 000 enfants. Les spécialistes sont tout aussi rares.

Dans le même temps, la santé mentale et physique des enfants se détériore particulièrement depuis la crise sanitaire. «En Seine-Saint-Denis, la mortalité infantile s’élève à 5,4 décès pour 1 000 naissances [sur la période 2019-2021, ndlr], c’est le taux le plus élevé de France métropolitaine. Il s’agit aussi du département le plus pauvre, sa population est d’autant plus vulnérable», déplore Farida Adlani, vice-présidente de la Région chargée de la Santé. La collectivité locale a, comme l’ARS, participé au financement de la maison de santé de Noisy.

Mieux accompagner les patients fragiles

Au deuxième étage, Hélène Missillier, infirmière puéricultrice, profite d’un rendez-vous annulé pour échanger avec une pédiatre à la porte de son bureau. Au sein de la maison de santé, son rôle est de «prendre le temps», de répondre aux interrogations des parents et de faire de la prévention pour compléter la prise en charge des pédiatres. Entre quelques sourires et anecdotes, elles évoquent, plus sérieuses, leurs patients communs. Comme cette jeune mère chez qui elles soupçonnent une dépression post-partum. «Quand on repère un patient fragile, on ne le lâche pas», insiste l’infirmière, pèse-bébé entre les mains.

Car l’intérêt de la maison de santé n’est pas seulement de regrouper des cabinets. Les professionnels se retrouvent maintenant dans une même pièce autour d’un café ou pour déjeuner, empruntent les mêmes couloirs décorés de stickers colorés et n’ont qu’à les traverser un couloir pour demander conseil à un confrère ou une consœur. De là naissent chaque jour d’innombrables discussions informelles. Et les solutions qui vont avec. «Les professionnels sont libres de leurs patients, mais on leur demande de prioriser ceux de la maison de santé», précise Philippe Auvrignon, coordinateur de la structure.

Cette collaboration pluridisciplinaire est encore plus importante pour certains enfants, comme ceux présentant des troubles du neurodéveloppement : ils ont besoin de parcours de soins coordonnés entre spécialistes, que la pénurie de soignants fragilise et ne permet pas toujours. «On attend des réponses d’orthophonistes depuis 2020, soupire Claire, mère d’un garçon de 5 ans atteint d’un trouble du spectre autistique. Au centre de diagnostic, on nous a seulement dressé une liste de professionnels à consulter. On a dû se débrouiller avec ça.»

Sa pédiatre actuelle, qui exerce à Graines en santé, a «facilité les choses» en les adressant à l’orthophoniste de l’établissement. Certes, le cabinet est à une demi-heure de chez eux, elle l’emmène sur la pause du midi, son garçon avale un déjeuner dans la voiture deux fois par semaine et elle doit rattraper ses heures de travail le soir. Mais ils n’ont pas le choix. «On vit au jour le jour. Mon fils peut continuer d’avancer comme régresser, c’est compliqué à gérer, dit-elle en se tordant les doigts. Ici au moins, on se sent entourés et rassurés.»

«C’est un puits sans fond»

Si Graines en santé répond, à son échelle, à la saturation du système de soins, cette crise l’affecte tout autant. «Tous les jours, je reçois des appels, des textos, des mails en interne pour me demander de prendre tel ou tel patient, raconte Idil Zuba, l’orthophoniste de la structure. Je ne peux pas tout faire.» La problématique s’étend à toute la maison. Les plannings sont pleins. «En pédiatrie, nous avons deux mois de délai pour les consultations de suivi. Il n’y a pas un jour où il reste un créneau d’urgence», détaille Stéphanie Gorde-Grosjean. Elle et ses collègues pédiatres – cinq titulaires aidées par deux remplaçantes – suivent chacune 1 200 patients en médecin traitant, 2 300 en file active. Et ont assuré, en un an seulement, 6 500 consultations d’urgence. «Même avec dix pédiatres, on ne pourrait pas répondre à toute la demande, lâche le coordinateur. C’est un puits sans fond.»

Leur énergie et leurs idées semblent toutefois intactes pour continuer d’étendre et améliorer leur projet. Il s’inscrit d’ailleurs dans un paysage plus global de soutien des institutions, nationales et locales, à ces structures collectives. Pour favoriser la continuité des soins, les Agences régionales de Santé aident financièrement celles qu’elles labellisent, en particulier dans les zones sous-dotées. Idem pour certaines collectivités territoriales.

«De plus en plus de Franciliens ont du mal à trouver un médecin près de chez eux, 7,5 millions vivent dans un désert médical, insiste la vice-présidente francilienne Farida Adlani. La région n’a pas la compétence de former des médecins : pour structurer un maillage territorial, on a choisi de soutenir ce type d’exercice collectif qui répond aux aspirations des soignants et aux besoins de la population.» Ainsi l’Ile-de-France a aidé à la création de 117 maisons de santé pédiatriques depuis 2016 et s’est fixé l’objectif de financer une structure de ce type dans chaque ville de plus de 10 000 habitants. Au niveau national, le gouvernement vise l’objectif de 4 000 établissements d’ici à 2027, soit près du double d’aujourd’hui.


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