lundi 19 juin 2023

Le portrait Caroline Semaille, du soin à l’ouvrage

par Eric Favereau  publié le 16 juin 2023

La nouvelle directrice de Santé publique France, passée par l’humanitaire, veut redonner du souffle à cet organisme de veille sanitaire secoué par le Covid-19. 

Caroline Semaille en est fière : «Santé publique France est une très belle maison.» D’un point de vue architectural, elle n’a pas tort. Le siège de l’agence Santé publique France (SPF) a de la gueule, planté en plein milieu du parc de l’hôpital psychiatrique de Saint-Maurice (Val-de-Marne) à côté du bois de Vincennes, avec une façade tout en bois, des couloirs très écolo : une construction entourée d’arbres et de verdure... Pour le reste, c’est une autre histoire. La santé publique en France n’est pas au beau fixe, et l’agence qui la porte est sortie rincée de trois années de Covid-19. Il faudra au minimum l’optimisme et le pragmatisme de sa nouvelle directrice pour arriver à redonner du souffle à cette maison bien éreintée.

Et du souffle, Caroline Semaille n’en manque pas. Voilà une boule d’énergie que tout le monde adore. Tous mettent en avant son talent, sa précision, sa compétence, son manque d’ego, son souci du collectif. «Elle a un côté Castex», suggère même un ancien directeur de la santé, évoquant l’ex-Premier ministre, toujours positif. Dans le milieu sida où elle a passé de nombreuses années, on lui tresse des lauriers. «Elle est très aidante», déclare ainsi au Monde l’épidémiologiste Dominique Costagliola«Elle a la capacité, grâce à son expérience dans le domaine du VIH et des médicaments et son caractère bien trempé mais souple et agréable, de faire face aux enjeux», poursuit France Lert, présidente de l’association Vers Paris sans sida (VPSS), ex-directrice de recherche de l’Inserm. Le professeur Gilles Pialoux : «Caroline n’a jamais quitté le terrain, sa nomination est une bonne nouvelle.» Et quand on demande à la première intéressée de nous citer un ennemi, elle n’y arrive pas…

Cet unanimisme est de bon aloi pour une mission impossible. Car, soyons franc, comment réussir ? Comment rendre crédible cette agence aux missions essentielles, qui combine la surveillance des risques sanitaires, la gestion d’une force de frappe et de réaction , mais aussi 80 écoutants qui font vivre des dispositifs d’aides à distance (Fil santé jeunes, Tabac info service), sans oublier l’Etablissement pharmaceutique qui gère le stock stratégique de médicaments et de produits de santé pour le compte de l’Etat ? En tout, 700 personnes. «Nous devons nous occuper de la santé de 67 millions de personnes», résume sa nouvelle directrice. Vaste programme, ironise-t-on, car comment y parvenir en temps de fortes tensions budgétaires et dans une société qui a toujours dévalorisé la santé publique?

«Jouer collectif, passer des partenariats», rétorque tout de go Caroline Semaille qui reconnaît néanmoins que l’agence est convalescente, encore déstabilisée par le Covid. «Mais c’était la même chose aux Etats-Unis comme en Grande-Bretange, où les directeurs sont partis ou ont démissionné.» On insiste : comment va-t-elle opérer alors que le ministère de la Santé en France n’évoque jamais la possibilité de donner plus de moyens à Santé publique France, et alors que désormais celle-ci doit s’occuper de One Health, c’est-à-dire aussi bien de la santé humaine qu’environnementale ou animale. Elle se montre bonne élève : «Ma tâche est d’entendre ce que les pouvoirs publics me demandent et d’ y répondre.» Certes… «Ma force, ajoute-t-elle, c’est de jouer collectif et d’aimer cela. C’est l’humanitaire qui me l’a appris.»

De fait, du haut de ses 56 ans, Caroline Semaille fait partie de cette génération de médecins qui ont été biberonnés à l’humanitaire et à l’épidémie de sida. Elle raconte, montrant sur son bureau une photo d’elle en pleine guerre : «Lors de ma première mission, j’étais seule à m’occuper d’un dispensaire sur la frontière irako-iranienne, j’avais 24 ans. Là, tu découvres vite que tu ne peux réussir qu’en groupe. Et c’est pour cela que depuis ma nomination, je me suis attachée à rassembler, à être avec les équipes, sur le terrain.»

La voilà donc en pèlerine, cheminant sur les voies non de Compostelle mais de celles de la santé publique. «J’ai toujours voulu être médecin, j’avais 10 ans. La santé, c’est être utile. J’ai fait santé publique pour avoir une action plus collective.» Caroline Semaille n’est pas issue d’une famille de médecins, à l’exception d’un grand-oncle ophtalmologue. La mort de son père, entrepreneur, a été décisive. Atteint d’un cancer, celui-ci savait qu’il allait mourir à brève échéance. «Mon père le disait. Il devait tenir un an pour que les assurances assurent financièrement notre avenir. Et payer ainsi mes études de médecine. J’avais 15 ans»,raconte-t-elle. Au jour près, il est mort. Et elle est devenue médecin. «“Timide et réservée” : c’était tout le temps les appréciations que j’avais», ajoute-elle. En tout cas, cela ne l’a pas empêchée d’entreprendre. Elle suit ainsi une route très linéaire, participant au tout premier réseau de santé publique qui se crée, puis la voilà chargée de la surveillance du sida. Logiquement, elle fait de la prévention. Passe du coté des agences sanitaires, d’abord à l’Agence du médicament (ANSM), puis de façon très volontariste souhaitant se former aux risques environnementaux, elle s’en va à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). «J’avais fait trente ans au service de la santé humaine, explique-t-elle, il fallait que je m’intéresse à l’environnement. Et c’est là que j’ai découvert ces milieux qui s’opposaient, écolos et agriculteurs. Comment faire? Ce n’était pas facile, mais on n’a pas le choix : il faut construire ensemble.» Elle ne change pas, toujours optimiste. «La médecine est ma colonne vertébrale. Et puis j’aime manager, et pour moi ce n’est pas un gros mot…» Et qu’en est-il de son ego ? «Quand on fait de la santé publique, on ne peut pas avoir un ego démesuré.» Puis de nouveau, combative : «Je veux retrouver l’expertise. La place des experts a été malmenée, je veux que notre voix soit légitime. Et que l’on soit prêt.»

Depuis quatre mois qu’elle est à ce poste, elle n’arrête donc pas. Elle a la visage un brin fatigué, regrette de venir en voiture travailler. Ses deux enfants, devenus grands, vivent leur vie. Son mari, entrepreneur, s’occupe de faire tourner la maison en son absence et de maintenir les liens avec les amis. On lui demande si parfois elle ne se lasse pas de ce tonneau des Danaïdes que semble être la santé publique en France : «Je fais du yoga tous les matins, et quand je ne vais pas bien, ou que je suis inquiète, il faut que j’aille dans l’eau. Je nage, mais en mer, en pleine mer. Avec mon mari, on prend le bateau, on met une combinaison et on nage.» Puis retour sur terre, où il faut, sans cesse, labourer son sillon . «Vous savez les Jeux olympiques arrivent : entre les risques de canicules, les épidémies, et la pollution, cela va être un sacré challenge.» Bonne chance !

1967 Naissance.

1990 Première mission humanitaire sur la frontière irakienne.

2000 Médecin épidémiologiste.

1er mai 2016 Création de Santé publique France.

2013-2019 Directrice générale déléguée chargée des produits à l’Anses.

2021 Directrice générale adjointe à l’ANSM.

23 février 2023 Directrice de Santé publique France.


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