samedi 10 juin 2023

Geneviève Darrieussecq : « L’Etat va consacrer 2 milliards d’euros à mieux accompagner le handicap d’ici à 2030 »

Propos recueillis par   Publié le 08 juin 2023

La ministre déléguée chargée des personnes handicapées revient, dans un entretien au « Monde », sur les mesures annoncées fin avril. Elle prévoit notamment la mise en place d’instituts médico-éducatifs au sein même des écoles, ainsi que la création d’un service public du repérage précoce.

Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, au Sénat, le 1ᵉʳ février 2023.

La sixième Conférence nationale du handicap (CNH), qui a lieu tous les trois ans, s’est tenue fin avril en l’absence de nombreuses associations de défense des droits des personnes handicapées. Réunies au sein du Collectif Handicaps, elles ont boycotté l’événement, et déploré par la suite le « flou » des mesures présentées par Emmanuel Macron. Dans un entretien au Monde, la ministre déléguée chargée des personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq, précise les chantiers annoncés fin avril et les moyens qui y seront alloués, avec notamment 3 000 équipes de professionnels du socio-médical qui interviendront dans les écoles d’ici à 2027. Chaque ministre doit rendre publique sa feuille de route à l’été, et un comité de suivi sera créé.

La France s’est vu signifier mi-avril, par le Conseil de l’Europe, ses manquements quant au respect des droits des personnes en situation de handicap. Quel est votre propre constat ?

Le recours devant le Conseil de l’Europe fait par six associations date de 2018. Depuis, des progrès sont visibles, mais pas suffisamment, et nous devons aller plus loin. L’Organisation des Nations unies [ONU] a également souligné des manques, en 2021. Tout le monde est d’accord pour dire que nous ne sommes pas au rendez-vous de l’accessibilité universelle, c’est pour cela que le président de la République a annoncé un grand plan à ce sujet lors de la Conférence nationale du handicap.

Notons cependant les contradictions : l’ONU demande à désinstitutionnaliser, pour mieux inclure dans la société, tandis que le Conseil de l’Europe estime qu’il n’y a pas assez de places dans les établissements spécialisés. A mon sens, il faut écouter les personnes et déployer ce qu’elles souhaitent, grâce à une palette de solutions riches et équilibrées.

Emmanuel Macron a annoncé 1,5 milliard d’euros pour améliorer l’accessibilité, un montant inédit. Que financeront-ils précisément ?

Il s’agira de mettre en accessibilité les bâtiments de l’Etat et ses services numériques, et d’aider les collectivités et les établissements privés recevant du public – les commerces du quotidien, les cabinets médicaux – à faire de même. La loi fixant cette obligation remonte à 2005, et il faut donner un coup d’accélérateur, notamment à l’horizon des Jeux olympiques et paralympiques. Un système de sanctions sera déployé à partir de fin 2024.

Une enveloppe d’environ 400 millions d’euros est prévue pour achever la mise en accessibilité des principales gares, d’ici à 2027.

Pourquoi l’idée des associations de créer un observatoire des besoins n’a-t-elle pas été reprise ?

C’est en cours, car c’est nécessaire ; par exemple, notre administration n’est pas en capacité de me dire exactement le nombre de personnes en situation de handicap sans solution d’accompagnement. Nous portons des politiques importantes – qui représentent environ 55 milliards d’euros par an si on additionne le budget de l’Etat, celui de la Sécurité sociale et ceux des départements –, mais nous manquons de données à l’échelle des départements permettant d’avancer avec chacun d’eux, en fonction de ses besoins. Dans ce but, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie est en train de créer un système d’information unique, avec les maisons départementales des personnes handicapées [MDPH] et l’ensemble des services. Je souhaite que ce chantier aboutisse cette année, ou à défaut, début 2024.

L’objectif est de créer une solution d’accompagnement pour 50 000 personnes d’ici à 2030. Quels moyens y seront consacrés ?

Nous avons déjà précisé que 500 millions d’euros seront investis afin de transformer l’offre. Au total, je vous annonce que l’Etat consacrera un budget de 2 milliards d’euros afin de déployer ce plan d’ici à 2030, auquel s’ajoutera la participation financière des départements. Il s’agira de fluidifier en priorité les parcours en instituts médico-éducatifs [IME]. Destinés aux enfants, ils comptent 73 000 places, mais 10 000 sont occupées par de jeunes adultes, faute d’alternative. Nous allons leur trouver des solutions, en créant des hébergements, ou en développant des réponses innovantes, avec des dispositifs ouverts sur la société.

Nous voulons aussi renforcer l’offre, notamment dans la vingtaine de départements qui en manquent : toute l’Ile-de-France et les départements ultramarins notamment. Enfin, nous voulons répondre aux besoins particuliers : mieux accompagner les personnes polyhandicapées, celles avec un trouble du spectre de l’autisme complexe ou vieillissantes…Nous finissons d’évaluer les besoins avec chaque département. Tout se construira à partir du terrain.

En quoi consistera l’acte II de « l’école pour tous », objectif que s’était fixé Emmanuel Macron mais qui n’a pas été encore atteint ?

Beaucoup a déjà été fait : aujourd’hui, 430 000 enfants en situation de handicap sont scolarisés à l’école de la République. C’est une augmentation inédite de 34 % depuis 2017. Mais des difficultés subsistent. Nous voulons déployer beaucoup plus d’équipes médico-sociales dans les écoles, y compris quand il n’y a pas d’accompagnants d’élèves en situation de handicap : il s’agira d’éducateurs spécialisés et de psychomotriciens notamment, qui pourront soutenir les enfants et épauler les professeurs. L’objectif est qu’en 2027 3 000 équipes mobiles puissent intervenir sur tout le territoire.

Autre changement : l’école deviendra la principale porte d’entrée pour la scolarisation d’un enfant en situation de handicap, sans devoir passer au préalable par la MDPH. Nous comptons aussi installer, d’ici à 2027, 100 IME au sein même de l’enceinte de collèges ou d’écoles. Les interactions avec les autres élèves sont bénéfiques pour tous. Notre vision, avec le ministre de l’éducation nationale, est que l’école soit ouverte à tous, en s’adaptant aux enfants handicapés, et non que ces enfants s’adaptent à l’école.

Quels autres chantiers de la CNH vous paraissent particulièrement importants ?

Nous allons créer un vrai service public du repérage précoce et de l’accompagnement précoce des enfants, quel que soit le handicap, en allant plus loin que ce que l’on a commencé à faire dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme. L’accompagnement sera financé par la Sécurité sociale, sans reste à charge pour les familles, jusqu’aux 6 ans de l’enfant. C’est très important : plus on intervient tôt, plus on évite le surhandicap, et mieux se passe l’intégration à l’école et dans la société. Autre chantier important, la formation professionnelle et l’emploi. Les employés en ESAT [établissement et service d’aide par le travail] vont, dès l’an prochain, accéder aux mêmes droits que tous les salariés : complémentaire santé, droit de grève…

Quelles seront les prochaines étapes ?

Je souhaite construire un plan d’investissement et de déploiement pluriannuel pour piloter l’ensemble des transformations annoncées, dès 2024. On a besoin de visibilité. Nous allons aussi suivre, année après année, les engagements pris lors de la CNH. Un comité de suivi sera créé dans les prochains mois, en associant les collectivités locales et les associations. Il nous permettra d’être proactifs et d’aiguillonner le terrain. Et dès cet été, chaque ministre rendra publique sa feuille de route avec les jalons et les trajectoires financières associées.


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