jeudi 22 juin 2023

« Chez les jeunes, les religions s’effritent mais les spiritualités fleurissent »

Propos recueillis par    Publié le 12 juin 2023

Chute du nombre de jeunes croyants et de la culture religieuse, succès des retraites spirituelles, retour en grâce du scoutisme… Pour le sociologue des religions Jean-Paul Willaime, même si « une partie des jeunes est devenue analphabète en matière de religion », leur intérêt pour la spiritualité reste fort.

Le sociologue et directeur d’études émérite à l’Ecole pratique des hautes études (université PSL) Jean-Paul Willaime, auteur avec Philippe Portier de La Religion dans la France contemporaine. Entre sécularisation et recomposition (Armand Colin, 2021), analyse les évolutions du rapport des jeunes à la religion.

Quelle place prend la religion chez les jeunes en 2023 ?

L’enquête de l’Insee sur la diversité religieuse parue en avril est venue confirmer le vaste mouvement de désaffiliation religieuse à l’œuvre en France : une majorité de Français (51 %) se déclarent désormais « sans religion ». Dans la vaste étude sur les valeurs des Européens de 2018 (European Values Study), ce chiffre montait même jusqu’à 58 %. Et les jeunes sont particulièrement touchés puisque 67 % des 18-29 ans se disent désormais « sans religion ». Mais cela ne signifie pas que la religion et la spiritualité en tant que telles ne les intéressent plus.

Comment cet effritement se traduit-il dans le rapport des jeunes à la religion ?

La désaffiliation religieuse à l’œuvre depuis les années 1960 concernait des personnes dont les parents étaient massivement croyants et pratiquants. Ils avaient reçu une éducation religieuse dont ils s’étaient éloignés par la suite. Nous avons désormais affaire à une génération qui se déclare majoritairement« sans religion », avec des parents eux-mêmes « sans religion ». Autrement dit, il y a eu une panne de la transmission, de la socialisation religieuse au sein des familles.

Les mouvements de jeunesse, tels le scoutisme, qui, hier, avaient contribué de façon non négligeable à la socialisation religieuse, n’ont plus aujourd’hui, malgré un regain de vitalité, le même impact. Cela se traduit par une perte de familiarité avec le phénomène religieux, et une difficulté à le comprendre. Une partie des jeunes est ainsi devenue analphabète en matière de religion, avec parfois des difficultés à saisir les références culturelles religieuses, omniprésentes dans les arts et la littérature par exemple.

Qu’en est-il pour les jeunes qui croient et pratiquent encore ?

Le fait de se déclarer catholique, musulman, juif ou protestant est devenu très minoritaire chez les jeunes. En 2018, parmi les 18-29 ans, on dénombrait sur cent personnes, soixante-sept se déclarant « sans religion », quinze catholiques, treize musulmans et cinq « autre religion ». Dans un environnement social composé majoritairement de personnes sans religion, en pratiquer une constitue donc désormais un non-conformisme.

Mais la conjoncture religieuse actuelle se manifeste surtout par un affaiblissement des institutions religieuses et de leur pouvoir d’encadrement. En résultent une individualisation des pratiques et trajectoires, et une religiosité flottante, instable, qui cherche des mots pour se dire et des liens pour se vivre collectivement. De là vient la multiplication, notamment chez les jeunes, des rendez-vous particuliers et des temps forts religieux (entre autres dans le cadre scout) centrés sur l’étude, la méditation, l’expression, les arts, le partage… où l’on cherche moins la vérité que « sa » vérité.

Les jeunes sont-ils plus « ouverts » que leurs aînés à la religion ?

Les études sur les jeunes et la religion montrent en effet que, malgré cette désaffiliation dont on a parlé, ils ont intégré le pluralisme culturel et religieux comme une norme de société, qu’ils soient croyants ou non. Ils défendent d’ailleurs en grande partie une laïcité inclusive qui prend en compte et ne cache pas les différences « convictionnelles » et religieuses.

Autrement dit : le rapport des jeunes vis-à-vis de la religion, des religions, est beaucoup plus décomplexé que celui de leurs aînés. On ne constate d’ailleurs pas une vitalité exceptionnelle de l’athéisme chez les jeunes non croyants. On voit même parfois une forme d’intérêt, voire de fascination, des jeunes non croyants envers leurs camarades croyants.

Malgré la difficulté de ces derniers à être, de fait, une « minorité », ce qui n’est jamais anodin dans ces âges, le fait qu’ils semblent trouver du sens et une identité dans la religion ne les laisse pas indifférents. Parfois, cet intérêt les amène même à se tourner à leur tour vers la foi, alors qu’ils n’avaient initialement pas de bagage religieux. Mais ces « baptêmes » de jeunes adultes sont loin de compenser la chute vertigineuse du nombre de jeunes enfants baptisés. En résumé : les religions s’effritent, mais les religiosités et spiritualités fleurissent, chez les jeunes en particulier.

Sous quelles autres formes ces spiritualités chez les jeunes se manifestent-elles ?

Pour donner du sens à leur existence, aux questions de vie et de mort ou aux incertitudes de la société, une partie d’entre eux se tournent vers des pratiques plus ou moins ésotériques (néochamanisme, intérêt pour Nostradamus, astrologie…), mais aussi vers le développement personnel ou les thérapies alternatives (méditations, expériences mystiques, religions dites « de guérison »…), vers les mondes fictionnels que l’on trouve sur Internet. Le succès planétaire de Harry Potter, tout particulièrement chez les jeunes, est à ce titre significatif. Même si J.K. Rowling, son autrice, dit ne pas avoir voulu délivrer un message religieux, elle a donné sciemment à son personnage les traits d’un messie et nourrit son roman de spiritualités diverses avec une réflexion permanente sur la mort, le sens de la vie, etc.

Autour de l’écologie, des crises climatiques, énergétiques, et des immenses défis qu’ils représentent, on observe aussi une efflorescence de pratiques spirituelles interrogeant la place de l’homme parmi tous les êtres vivants. Ces pratiques chez les jeunes, sans rattachement avec les grands récits et cadres symboliques des religions traditionnelles qui s’affaissent, démontrent une vivacité et une résistance importante du fait religieux en France comme ailleurs.


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