dimanche 18 juin 2023

Au Palais de la Porte-Dorée, à Paris, un nouveau récit de l’immigration

Par   Publié le 17 juin 2023

Le Musée national de l’histoire de l’immigration, rouvert le 17 juin après trois ans de fermeture, propose un parcours repensé, riche en documents d’époque, œuvres d’art, objets et témoignages filmés.

« Sur la route de Barcelone à la frontière française » (janvier 1939), de Robert Capa.

Question classique des musées d’histoire : comment raconter, donner à voir, faire ressentir et expliquer, tout cela ensemble, parce qu’il est aussi nécessaire de toucher que d’instruire ?

Pour y réussir, le nouveau parcours du Musée national de l’histoire de l’immigration, installé dans le Palais de la Porte-Dorée, dans le 12e arrondissement de Paris, choisit le modèle de la corde. Celle-ci serpente d’une section à l’autre et suit la galerie qui contourne le forum, grand vide au centre du bâtiment, avant de revenir à son point de départ. C’est donc une très longue corde, à trois brins méthodiquement tressés.

Le long du brin chronologique, onze dates font autant de nœuds, de 1685 à 1995 : 1685 est l’année du code noir, qui règle « la police des esclaves des îles de l’Amérique française » par la pire violence, et de la révocation de l’édit de Nantes, qui force les huguenots à l’exil ou à la conversion au catholicisme ; 1995, c’est l’ouverture de l’espace Schengen en Europe, peu après l’éclatement de la Yougoslavie, peu avant les « printemps arabes » et le début du mouvement migratoire des populations chassées du Moyen-Orient et d’Afrique par les guerres et la misère. Ces dates sont celles d’événements politiques et économiques essentiels : révolutions françaises de 1789 et de 1848, guerres mondiales, choc pétrolier de 1973. Elles structurent le récit.

Le deuxième fil est documentaire, et c’est une fort épaisse guirlande. Elle est chargée de textes, d’images et d’objets. Il y a beaucoup à lire : lois et décrets, passeports et laissez-passer, rapports de police et refus de naturalisation, articles de presse et pétitions, correspondances publiques et privées.

Il y a autant, sinon plus encore, à regarder : des photographies de familles italiennes immigrées à Paris à celles des associations cultuelles et sportives polonaises au pays des mines ; de celles des camps où la IIIe République enferme les républicains espagnols et le régime de Vichy, les familles juives, aux vues des bidonvilles de Nanterre : des portraits d’ouvriers venus d’Europe du Sud et du Maghreb, dans les années 1960 et 1970, à ceux des personnels de santé durant l’épidémie de Covid-19.

Place à la création actuelle

Beaucoup émeuvent, par exemple l’image prise par Robert Capa (1913-1954) d’une jeune femme marchant seule, une couverture roulée sur les épaules, entre Barcelone et la frontière française, en janvier 1939. Quelques-unes révulsent, dont celle d’un groupe d’étudiants français en médecine, en 1935, réunis derrière une banderole qui dit : « Contre l’invasion métèque, faites grève ».

Des objets servent aussi la narration : douilles d’obus ouvragés par des travailleurs et des soldats venus des colonies durant la première guerre mondiale, bottes de Lazare Ponticelli, le « dernier des poilus », mort en 2008, qui était né en Emilie-Romagne en 1897, faux passeport qu’un étudiant guinéen doit employer, dans les années 1970, pour rentrer en France avec sa femme et leur fille. Le document glisse alors vers le symbole, truelle d’un maçon portugais.

« Jeune serviteur tenant un arc » (vers 1700), de Hyacinthe Rigaud.

Le troisième brin est artistique, et il est aussi fourni. Si la suite de lithographies d’Honoré Daumier (1808-1879), Les Etrangers à Paris, de 1844, n’a rien de haineux, en dépit de son titre, il n’en est pas de même des dessins antisémites de Caran d’Ache (1858-1909) et Jean-Louis Forain (1852-1931) au moment de l’affaire Dreyfus. La certitude de la supériorité blanche s’étale tranquillement sur les affiches pour l’Exposition coloniale de 1931, dont le bâtiment du musée est lui-même le produit.

Ce chapitre aurait pu aisément être complété par des œuvres relevant de la « mode nègre » de l’entre-deux-guerres. Mais il a paru plus utile de faire place à la création actuelle : les vidéos de Zineb Sedira et de Valérie Mréjen, les photos de Samuel Fossoposant en tirailleur sénégalais, la barque allégorique surchargée de ballots de Barthélémy Toguo, le distributeur automatique devenu La Machine à rêve, de Kader Attia, les mots entrelacés de Babi Badalov, le dessin de la répression meurtrière des manifestations d’octobre 1961 par Eric Manigaud.

Et le cinéma aussi, en huit extraits de films. Les uns sont très connus, Toni (1934), de Jean Renoir, et Les Enfants du paradis (1945), de Marcel Carné. D’autres le sont moins. L’Américanisé (1912), d’Alice Guy-Blaché, met en scène de façon quelque peu utopique la métamorphose d’un émigrant russe de mari brutal en époux obéissant. En 1975, Nationalité immigré, de Sidney Sokhona, est une satire de l’exploitation des immigrés par des recruteurs racistes et crapuleux. Faute de producteur, le Mauritanien Sokhona, lui-même alors travailleur immigré, en finança la réalisation avec son salaire.

Musée national de l’histoire de l’immigration. Palais de la Porte-Dorée, 293, avenue Daumesnil, Paris 12e. De 7 € à 10 €. Du mardi au vendredi de 10 heures à 17 h 30, les samedis et dimanches de 10 heures à 19 heures. Gratuit les 17 et 18 juin. Histoire-immigration.fr


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