samedi 13 mai 2023

« Thomas W. Salmon. Médecin des sans-voix et des soldats » : un psychiatre (presque) idéal

Par    Publié le 11 mai 2023

L’historienne Sophie Delaporte publie une biographie sans concessions de cet inépuisable humaniste, refondateur de la psychiatrie américaine.

Le livre. Comment raconter la vie d’un grand homme sans tomber dans l’hagiographie ? Aussi vieille que la biographie, la question tient souvent du casse-tête. Surtout lorsque le public auquel on s’adresse n’est pas parfaitement familier du héros en question. En s’attaquant à la figure de Thomas W. Salmon (1876-1927), aussi célèbre dans le champ de la psychiatrie américaine que méconnu en France, l’historienne Sophie Delaporte s’est obligée à relever ce défi.

Rien ne semble prédisposer le jeune homme qui sort de l’école de médecine d’Albany, dans l’Etat de New York, en 1899, avec un diplôme de généraliste à devenir ce « psychiatre idéal », comme il fut souvent qualifié. Mais une tuberculose l’éloigne vite du cabinet new-yorkais qu’il a repris. Nommé bactériologiste à l’hôpital public de Willard, avec pour mission de combattre la diphtérie, il se retrouve dans un établissement accueillant deux mille aliénés. Dès lors, il se passionne pour la condition des « fous » et ne cessera, partout où il passera, de dénoncer le sort « épouvantable » qui leur est réservé.

Une position eugéniste

Ce souci se manifeste d’abord au centre d’accueil des étrangers d’Ellis Island. Thomas Salmon y est chargé de l’examen mental des nouveaux arrivants. Face à la vague migratoire sans précédent que connaît le pays, il plaide pour un contrôle plus rigoureux des entrées, afin, dit-il, de « protéger la santé mentale des futurs Américains ». Une position clairement eugéniste que Sophie Delaporte révèle et analyse. Certaines phrases qu’elle exhume, imputant par exemple à l’immigration la « seule responsabilité du taux de folie aux Etats-Unis », ont de quoi faire bondir. Mais le même homme dénonce aussi les conditions inadmissibles d’accueil, d’examen, de traitement ou de renvoi, réservées aux immigrants malades mentaux. Et il n’hésite pas à désobéir, ce qui aboutira à son renvoi.

Son charme et sa capacité de conviction hors du commun, il les met alors au service du Comité national pour l’hygiène mentale. L’institution entend faire sortir la psychiatrie du tout-asilaire et l’inscrire dans le domaine de la santé publique. Thomas Salmon y œuvre sans relâche, grâce à une série d’enquêtes édifiantes. Conférencier brillant, plaideur infatigable, il va ainsi contribuer à refonder la discipline, à l’installer « dans le champ médical, mais aussi au sein de la société tout entière », souligne Sophie Delaporte.


Une entreprise inachevée. Mort en mer, en 1927, alors qu’il souffrait d’une tumeur cérébrale inopérable, Thomas Salmon, devenu entre-temps professeur de psychiatrie à l’université Columbia, n’a cessé de regretter la faiblesse des transformations accomplies. Il est un domaine, toutefois, où son action a indiscutablement porté : la psychiatrie militaire. Nommé chef du département de psychiatrie du corps expéditionnaire américain en 1917, il prend le contre-pied des Anglais et des Français, qui voient dans tout soldat victime d’un choc nerveux un simulateur en puissance, voire un traître. Pour lui, la névrose de guerre est un « symptôme somatique », dont il étudie les manifestations, documente l’ampleur et impose la prise en charge précoce dans des unités spécialisées. Il analysera par la suite, avec une extrême finesse, la nature des « troubles mentaux différés » des vétérans. On ne parlait pas encore de stress post-traumatique. Mais, sous la houlette d’un médecin généraliste civil, la psychiatrie militaire américaine avait commencé sa mue.

Thomas W. Salmon. Médecin des sans-voix et des soldats, de Sophie Delaporte (Odile Jacob, 300 p.)


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