dimanche 21 mai 2023

Reportage Village santé en Dordogne : «Ça ne remplace pas un suivi mais je me suis sentie écoutée»

par Apolline Le Romanser   publié le 17 mai 2023

Pendant deux jours, une centaine de soignants et bénévoles ont proposé près de Bergerac des ateliers de santé et de prévention pour des habitants souvent dépourvus d’accompagnements médicaux.

Ses doigts palpent, dans de petits mouvements circulaires, le sein qu’elle examine. Attentive, Maéva ne repère d’abord rien d’anormal, mais en appuyant un peu plus, elle détecte une grosseur. «Ça ressemble à un kyste, non ?» s’enquiert la jeune femme de 27 ans. Ses yeux bruns scrutent la poitrine en silicone face à elle – il ne s’agit que d’un mannequin. «Pour être sûre, il faut consulter un professionnel», insiste Jessica Poussart. La bénévole de l’association Jeune et Rose, qui accompagne les femmes de moins de 45 ans atteintes d’un cancer du sein, énumère les différents examens, insiste sur l’importance du dépistage«On nous répète qu’il faut s’autopalper une fois par mois, sans vraiment expliquer comment faire, regrette-t-elle. Ici, on prend le temps de le montrer.»

Son atelier ne représente que quelques tables parmi la trentaine de stands qui composent un vaste «Village prévention» installé les 12 et 13 mai à Prigonrieux, ville de Dordogne de 4 100 habitants voisine de Bergerac. Une première dans ce territoire rural, en manque chronique de soignants. Pendant ces deux jours, les paniers de basket ont été supplantés par des mannequins de premiers secours, lunettes simulant une forte alcoolémie, quiz sur les infections sexuellement transmissibles. Une centaine d’infirmières, médecins, dentistes, sages-femmes, bénévoles ont accueilli et conseillé près d’un millier de personnes. Essentiellement des élèves de primaire et de lycée le vendredi, puis du tout public le lendemain.

«S’engager dans la prévention, c’est investir dans l’avenir», martèle Vincent Desnoyers, président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de Bergerac, groupement de 140 soignants à l’origine de l’événement. «Le but est d’informer de manière ludique, démocratiser des messages que les personnes reçoivent sans trop les comprendre», souligne-t-il. Alors ils ont voulu brasser large, tant par les thématiques – de l’hygiène aux violences intrafamiliales, en passant par le «sport-santé» et le «bien-vieillir» – que le public visé.

Un brouhaha résonne dans le gymnase, beaucoup de familles circulent entre les stands. Certains enfants restent sagement à côté de leurs parents, d’autres commentent chaque nouveau thème, courent pour changer d’atelier. Il y a ceux qui passent leurs mains dans une «boîte à microbes» pour s’assurer de les avoir bien lavées, ou qui soulèvent les gobelets d’une table remplie de céréales, faux hamburgers, frites, et découvrent, yeux écarquillés, le nombre de carrés de sucre qu’ils contiennent. Un peu plus loin, d’autres bambins s’emparent de brosses à dents pour faire briller celles de petits monstres en peluche.

«C’est le branle-bas de combat tous les soirs pour qu’ils se brossent les dents !» raconte Delphine. Veste noire, cheveux bruns noués, elle observe en souriant ses enfants de 11 et 13 ans – son garçon est déjà plus grand qu’elle. «J’ai beau leur répéter, le message ne passe pas. Avec les soignants, c’est différent, ils leur expliquent pourquoi c’est important.» Raison de plus pour cette mère de 34 ans d’amener ses préados, quitte à rouler quarante-cinq minutes depuis son village. Elle en profite pour passer au stand sur la maladie d’Alzheimer et ramener de la documentation à sa grand-mère. En somme, amasser le maximum d’informations et conseils, tant qu’elle a des soignants sous la main. «C’est tellement galère d’obtenir des rendez-vous médicaux, souffle la cuisinière. Pour le dentiste, on est obligés d’aller jusqu’à Bordeaux, à une heure et demie de chez nous. Forcément, on y va moins. C’est ça pour tout…»

«Laissés-pour-compte»

L’inquiétude revient souvent dans les paroles des participants, surtout les plus âgés. Car dans le Bergeracois, comme de nombreux territoires partout en France, les médecins manquent. En Dordogne, ils étaient 239 pour 100 000 habitants au 1er janvier 2022, tandis que la moyenne nationale s’établissait à 338, selon les données de l’Insee et de la Drees (direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques). Le sud-ouest du département, où se trouve Bergerac, est encore plus sous-doté. Et les cabinets implantés croulent sous la demande. «La prévention fait partie de notre métier. Le problème, c’est qu’on est noyés dans le travail journalier», déplore Vincent Desnoyers, aussi chirurgien orthopédiste. Réunir les professionnels, les «sortir des murs» des hôpitaux et cabinets pour aller au contact de la population était d’autant plus nécessaire.

Lunettes noires levées vers le nom des stands et sac à main brun à bout de bras, Muriel se balade entre les thèmes. La retraitée de 65 ans, cheveux courts grisonnants, est venue «pour voir». «Dans ma cambrousse, il n’y a rien pour nous, plus d’ophtalmo, plus de podologue, plus de dentiste. Si vous êtes malade ou âgé, vous êtes isolé.» Elle soupire. «On est laissés-pour-compte.» Les mêmes mots s’échappent des lèvres d’Annick, petite dame de 85 ans enveloppée dans une polaire rose. «A [son] âge», l’habitante de Prigonrieux essaie de se maintenir en forme, mais les rendez-vous médicaux sont durs à obtenir. «Les jeunes», peut-être, peuvent s’adapter, se déplacer plus loin. Pas elle. Sa main presse une pile de prospectus. «Ça ne remplace pas un suivi… mais au moins, tous les thèmes sont rassemblés, j’ai pu être conseillée. Je me suis sentie écoutée.» Sa voix se serre un peu plus. La retraitée a pu aborder ses problèmes de sommeil et même d’autres, plus intimes, qu’elle avait tus jusqu’ici.

Dans les allées de ce village provisoire, entre sourires et gestes bienveillants, les regards se font parfois plus graves, les voix basses ; certains enfants se serrent contre leur mère. A côté de passants, au milieu de tables à peine séparées les unes des autres, on parle de ses propres maladies ou celles de ses proches, isolement, violences familiales, orientation sexuelle, addiction. Et les langues se délient. «On crée un espace d’échange, de dialogue, analyse Prisca Ballon, chargée de mission en santé publique au centre hospitalier Vauclaire. Si, en quelques minutes, des enfants et des adultes se confient à des inconnus, c’est qu’ils n’avaient pas de place pour ça jusqu’à présent.»

Portée d’entrée

Les soignants comme les visiteurs le reconnaissent volontiers : ces ateliers ne vont pas résoudre en quelques discussions le manque criant de professionnels de santé et de suivi. Ni même faire évoluer, seuls, les comportements durablement. Mais ils sont une «porte d’entrée» à ne pas négliger.

Le village revêt aussi un autre intérêt. Il se devine lors des pauses déjeuner et des accalmies, lorsque certains exposants quittent leur stand pour aller voir leurs collègues, échanger des anecdotes ou des rires, voire tester eux-mêmes des ateliers. Tous le répètent : grâce à cet événement, ils se connaissent mieux et imaginent déjà de nouvelles collaborations entre soignants. «Certains pensaient que ça ne mènerait nulle part, mais on a réussi à créer dynamique, se réjouit Laëtitia Carlier, coordinatrice de la CPTS du Bergeracois qui a mené le projet pendant un an et demiLes organisateurs ne comptent pas s’arrêter là : ils entendent au moins reformer l’événement tous les deux ans. Et pourquoi pas imaginer des caravanes pour se déplacer au plus près des jeunes et des plus vulnérables.


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