dimanche 28 mai 2023

«Papa, je suis schizophrène…» : médecin et père d’un enfant malade, il témoigne pour défendre la psychiatrie publique

par Philippe Bizouarn, Médecin, service d’anesthésie-réanimation à l'Hôpital Laennec (CHU Nantes) et philosophe, laboratoire Sphere, Université de Paris Cité

publié le 26 mai 2023

Alors qu’une infirmière a été tuée au CHU de Reims par un homme souffrant de troubles mentaux, un médecin et père d’un jeune homme atteint de schizophrénie témoigne de l’abandon du système psychiatrique public et de la difficulté à faire face à la maladie.

La tragédie de Reims nous rappelle, nous citoyens ordinaires, que les patients dits «psychiatriques» peuvent être dangereux. Ils peuvent, rarement certes, passer à l’acte : tuer. Les chaînes d’information se déchaînent. Pourquoi avoir laissé cet homme en liberté ? Comment protéger les soignants des violences vécues quotidiennement ? Le «système» psychiatrique est à l’abandon. Ce constat a été fait depuis si longtemps : locaux délabrés, personnels en sous-effectif, augmentation irrémédiable du nombre des patients en demande de soin. Comment allier sécurité, soin et liberté ? En ces lieux de privation de liberté, les soignants débordés ne trouvent plus de solution adéquate aux crises parfois très bruyantes des patients : seulement les enfermer, les attacher, les anesthésier, jusqu’à ce que la crise passe. Il faut bien sûr qu’elle passe !

Dans ce contexte d’effondrement de la psychiatrie publique, je me permets de raconter une histoire, qui ne vise qu’à rappeler la difficulté, pour les patients et les familles, à faire face, avec les soignants démunis.

Crises délirantes

Je suis parent d’un jeune homme devenu schizophrène. En deux ans, il a dû être hospitalisé de nombreuses fois, lors de ces crises délirantes très agitées, nécessitant un «transport» – c’est proprement le mot – en ambulance après un passage à domicile du médecin accompagné d’un policier le menottant. Je me rappelle sa première sortie d’hôpital, après deux semaines de neuroleptiques : plus calme, il ouvrit la fenêtre de la voiture en savourant l’air sur son visage, comme après un séjour carcéral. Et puis, les traitements arrêtés volontairement – «parce qu’ils m’endorment» -, tout recommençait : hallucinations, agitation, refus de tout dialogue devenu impossible, médecin, police, urgences psychiatriques, enfermement, retour au calme, acceptation des traitements, et retour chez nous, où il vivait. Le diagnostic n’était pas certain. «Il faudrait envisager une psychanalyse», disait le psychiatre hospitalier. Et puis, lors d’une énième consultation au Centre médico-psychologique, constat d’échec du médecin face au fils se moquant d’elle : «vous ferez aussi bien que moi» ! L’impression d’abandon, du fils et de sa famille, était immense. Aucune proposition de soutien ne fut faite.


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