vendredi 12 mai 2023

Mathias Wargon, médecin urgentiste : « La réintégration des soignants non vaccinés est une réponse facile et démagogique »

Mathias Wargon  


Publié le 11 mai 2023

Le médecin urgentiste s’indigne, dans une tribune au « Monde », de la décision du gouvernement de suspendre l’obligation vaccinale et d’autoriser le retour des personnels non vaccinés. Il s’agit, selon lui, d’un « coup de boutoir démagogique contre les devoirs des soignants ».

Il y a quelques années, lors de mes tentatives annuelles de promouvoir la vaccination antigrippale parmi le personnel des urgences, une aide-soignante m’avait interpellé sur l’obligation vaccinale. Si l’on tenait tant à ce que les soignants soient vaccinés, pourquoi ne rendait-on pas obligatoire la vaccination contre la grippe, d’autant qu’elle était jeune et ne craignait rien ? Et dans le cas où on ne la rendait pas obligatoire, pourquoi la forcer à se vacciner ? Une des cadres infirmières la soutint publiquement, en affirmant que la vaccination l’avait rendue plus malade que la grippe et qu’elle ne se ferait plus vacciner. De la transmission aux patients, il ne fut pas question.

Au premier trimestre 2021, la vaccination contre le Covid-19 est devenue disponible et obligatoire. Nous avions passé deux vagues très difficiles, avec de nombreux morts et malades, des hôpitaux débordés, des difficultés matérielles et d’organisation. Nous entrions dans la troisième vague. Il y avait de multiples interrogations sur ces nouveaux vaccins, des incertitudes sur la protection et déjà beaucoup de désinformation. Quand la plupart des soignants sont allés se faire vacciner, certains ont choisi de se retirer. Soit parce que la peur des effets indésirables a pris le dessus, soit parce qu’ils adhéraient aux thèses parfois farfelues qui déferlaient déjà sur les réseaux sociaux et dans les médias.

On oublie souvent que ce n’est pas le premier épisode. La vaccination contre l’hépatite B avait provoqué une énorme méfiance, déjà dans un contexte de « fake news » antérieur à l’avènement des réseaux sociaux. Mais, pour reprendre les termes de l’Académie de médecine : « Loin d’être une atteinte à la liberté individuelle, les obligations vaccinales qui s’appliquent aux professionnels de santé sont des mesures préventives indispensables pour éviter la transmission nosocomiale des infections ; admises par les soignants parmi les pratiques visant à protéger les malades (…), elles font l’honneur de leur profession. » Quelles qu’en soient les raisons, des soignants ont rompu avec les obligations de notre profession, dans une défiance de ce qui constitue la pratique médicale fondée sur les études et le consensus scientifique.

Situation de non-retour

Depuis, le virus a évolué, les patients graves sont devenus moins fréquents et le Covid est souvent le déclencheur d’autres pathologies chez des malades fragiles. Le taux de rappel des professionnels a aussi baissé, en même temps que le respect des mesures barrières. La Haute Autorité de santé (HAS) a publié le 30 mars un texte incompréhensible et sans explication où elle préconise de « recommander fortement la vaccination », tout en levant l’obligation vaccinale pour le Covid, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, mais en conservant l’hépatite B. Où est la cohérence et, surtout, pourquoi tout mélanger ? On oublie aussi que la recommandation de l’HAS précise que sa décision se fait « sans préjuger de l’avis du CCNE [Comité consultatif national d’éthique] sur les aspects éthiques et d’acceptabilité sociale », qui, lui, s’est bien gardé de le donner.

Le gouvernement non plus n’a pas attendu l’avis du CCNE pour « suspendre » l’obligation vaccinale et décider la réintégration des soignants qui n’ont pas respecté les règles de notre profession. Un dernier coup de boutoir démagogique contre les devoirs des soignants est venu de l’ensemble de l’opposition, droite et gauche réunies, pour en finir avec l’obligation vaccinale contre le Covid, ouvrant la porte à la fin de l’obligation vaccinale tout court des soignants et à une situation de non-retour en cas de nouvelle épidémie.

On sait très bien que de nombreux soignants laissés dans une situation sociale suspendue ont probablement quitté définitivement le secteur. Il fallait bien vivre. On peut regretter qu’aucune porte de sortie ne leur ait été proposée soit par le gouvernement, soit par les partisans les plus virulents de leur réintégration. Ce sont donc, probablement, les plus extrémistes ou ceux qui n’ont pas trouvé de solutions alternatives à qui l’on va proposer de revenir dans nos services. Il s’agira certainement, pour l’essentiel, de personnels paramédicaux et d’administratifs.

Accueil pas forcément cordial

Les rares médecins qui ont refusé la vaccination ne sont plus crédibles. On ne peut pas imaginer que ceux qui ont affirmé des inepties sur le vaccin, les traitements, dans l’ignorance complète des essais cliniques ou de l’épidémiologie, puissent se réinsérer dans la communauté médicale.

On n’accueille pas une idée, mais on accueille un collègue. Les moins militants vont revenir dans un hôpital en grande souffrance, qui sera heureux, probablement, de les accueillir. S’ils arrivent à se réadapter, ces quelques soignants ne poseront pas de problème. Plus difficile va être la réintégration de ceux qui ont milité contre les vaccins et les mesures barrières, qui se sont radicalisés sur les réseaux sociaux et ont tenu un discours revendicatif. L’accueil par leurs collègues, qui, eux, ont fait leur devoir depuis deux ans, dans des difficultés inédites, avec un Covid toujours présent, désorganisant l’hôpital, et des problèmes de personnel chroniques aggravés par l’épidémie, risque de ne pas être aussi cordial qu’ils l’espèrent. Mais peut-être ne le souhaitent-ils pas. Pourquoi revenir quand on pense que la médecine est un vaste complot et que les collègues sont des moutons ?

Le secteur médico-social manque beaucoup de bras. Or, on ne peut pas croire que l’arrivée de quelques soignants dont on ignore encore le nombre et les fonctions, aux dispositions hostiles vis-à-vis de l’institution, lui rendra service. Ce mouvement de réintégration ne peut être une solution et semble être une réponse facile et démagogique à une question nécessitant une refondation difficile de notre système de santé.

Mathias Wargon est chef de service urgences-SMUR (service médical d’urgence et de réanimation) au centre hospitalier Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

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