mercredi 17 mai 2023

Les raisons qui expliquent la fragilité des élèves français en lecture


 



ANALYSE

Les résultats sont en deçà de la moyenne européenne, d’après l’étude internationale Pirls. En cause notamment : la focalisation sur les apprentissages du CP, alors que la maternelle et les autres niveaux du primaire sont aussi importants.

Et si les difficultés en lecture s’avéraient être la source de toutes les inégalités scolaires ? L’étude internationale Pirls sur la lecture et la compréhension de l’écrit le montre dans sa dernière édition dévoilée mardi 16 mai : la catégorie sociale de la famille joue un rôle majeur dans les résultats des élèves, de même que toutes les activités liées à la lecture et au langage que les parents peuvent entreprendre dès le plus jeune âge.

Ces inégalités sont résumées par un chiffre éloquent tiré d’une étude américaine de 2004 : un enfant de 3 ans issu d’un milieu très défavorisé a entendu trente millions de mots de moins qu’un enfant élevé dans une famille favorisée. Revient aux systèmes éducatifs la gageure de pallier ces inégalités de naissance.

Or, si l’étude Pirls révèle une stabilisation des résultats des élèves français, voire une légère progression sur les compétences les plus complexes, ils restent bien en deçà de la moyenne européenne. Les évaluations menées par le ministère de l’éducation nationale, et systématisées sous l’ère Blanquer (2017-2022), complètent l’auscultation des fragilités du système éducatif français.

En CE1, près d’un élève sur trois ne possède pas une maîtrise satisfaisante de la lecture de mots et 17 % de la compréhension de textes. A l’entrée en 6e, un peu plus de la moitié des élèves peuvent lire cent vingt mots par minute, soit le niveau attendu, et un élève sur deux maîtrise la compréhension de l’écrit. En fin de 3e, enfin, un tiers des élèves se trouvent découragés ou démunis de stratégie de lecture quand on leur demande de lire une page de texte.

Polarisation sur les « petites classes »

Dès 2016, la conférence de consensus autour de la lecture orchestrée par le Centre national d’étude des systèmes scolaires aboutissait à cette conclusion : « Le système scolaire français a appris à former des élèves déchiffreurs, mais qui ne deviennent pas pour autant des lecteurs experts. »

Face à ces enquêtes nationales et internationales, les ministres de l’éducation ont annoncé les uns après les autres depuis vingt ans des plans axés sur les savoirs fondamentaux. L’apprentissage de la lecture s’est focalisé sur la classe de CP et les compétences cruciales en décodage à acquérir dès l’entrée en primaire. Le dédoublement des classes de CP et CE1 en éducation prioritaire, mis en place par Jean-Michel Blanquer, en est l’illustration.

Cette polarisation sur les « petites classes », que certains jugent encore insuffisamment efficace au vu de l’hétérogénéité des pratiques, a pu conduire à délaisser la poursuite de l’apprentissage de la lecture dans les autres niveaux, a fortiori sur la compréhension de l’écrit. Selon l’enquête Pirls, les enseignants des classes de CM1 sont à la fois moins nombreux que leurs homologues européens à poursuivre les exercices liés au décodage et moins nombreux à proposer des activités liées à la compréhension des textes. « Pirls évalue des compétences que l’on n’enseigne pas », affirme sans ambages Roland Goigoux, professeur émérite à l’université de Clermont-Auvergne.

« Nous devons aussi porter notre attention sur les classes de CM1, CM2 et 6e », assure désormais l’entourage du ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye. Une circulaire a été édictée en ce sens en janvier 2023, avec des consignes très précises. « Chaque semaine, au moins deux textes longs (au moins 1 000 mots) doivent être lus par les élèves », fait savoir ce texte. Une heure de soutien en mathématiques ou en français est créée en 6e.

L’apprentissage de la lecture doit s’apparenter à « un continuum qui commence à l’école maternelle avec le langage oral et se poursuit au collège avec les études de texte », analyse Roland Goigoux. « Y a-t-il un enseignant chargé d’apprendre à traiter les textes explicatifs ?, s’interroge le chercheur. Les professeurs d’histoire-géographie ou de sciences sont de formidables enseignants de lecture de textes informatifs qui s’ignorent. »

« Pratiques très hétérogènes »

Dans cette idée de continuum, l’école maternelle occupe une place centrale. De l’avis des scientifiques, et dans un rare consensus sur le sujet – les méthodes de lecture étant l’objet de controverses régulières –, la compréhension de l’écrit résulte de la maîtrise du déchiffrage, mais aussi du langage oral. Or, les inégalités sont criantes à ces premiers stades de la scolarité. En début de CP, les trois quarts des élèves hors éducation prioritaire comprennent de manière satisfaisante les mots énoncés à l’oral, contre 42 % en réseau d’éducation prioritaire renforcée. L’étude Pirls le révèle : les élèves français sont moins nombreux que la moyenne à effectuer des « tâches d’alphabétisation précoce » avant l’entrée à l’école primaire (22 % contre 33 %).

« Il n’y a pas un accord évident sur ce qui doit être su à l’entrée au CP. Les pratiques sont de fait très hétérogènes, constate Jérôme Deauvieau, professeur de sociologie à l’Ecole normale supérieure et membre du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN). Certains ne maîtrisent pas encore les lettres de l’alphabet quand d’autres sont quasiment déjà entrés dans la lecture. » Stanislas Dehaene, le président du CSEN, insiste sur le vocabulaire : « Il faut mettre les enfants dans un bain de langage le plus tôt possible », assure le spécialiste des sciences cognitives, estimant que les écoliers de maternelle « peuvent apprendre entre dix à vingt nouveaux mots par jour ».

Autre frein pour les enseignants français : la difficulté à gérer l’hétérogénéité des élèves et à proposer des activités différenciées, a fortiori dans des classes plus bondées que la moyenne européenne. Selon l’étude Pirls 2021, les enseignants français sont 16 % à déclarer avoir recours à l’enseignement individualisé pour la lecture de façon régulière, contre 36 % pour leurs collègues européens. Or, selon Bruno Suchaut, professeur à l’université de Lausanne, les élèves les plus en difficulté en lecture ont besoin de « trois à quatre fois plus de temps d’apprentissage » que les autres. « Ces activités différenciées demandent des organisations pédagogiques qui permettent de les mettre en place », tempère le chercheur.

« En France, on n’apprend pas forcément les gestes professionnels efficaces », remarque encore Bruno Suchaut. Un point de vue partagé par tous les spécialistes de la lecture, quelle que soit leur chapelle par ailleurs. Les pratiques des enseignants diffèrent fortement d’un établissement à un autre et même d’une classe à une autre.

« La formation initiale, si elle prend sa part, ne peut pas tout, surtout au vu de la charge de travail de nos étudiants en master métiers de l’enseignement », prévient Nathalie Catellani. Pour la directrice de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation d’Amiens, « il doit y avoir une continuité entre les formations proposées aux étudiants, aux nouveaux enseignants et aux plus chevronnés ».

Depuis trois ans, un plan de formation en français prévoit des actions à destination des professeurs des écoles. « Environ 40 000 enseignants sont formés chaque année », assure-t-on au ministère de l’éducation nationale. D’autres formations centrées sur l’école maternelle commencent à se déployer. Restera à en mesurer les effets.


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