mardi 2 mai 2023

Le portrait Anne Souyris, santé pour tous

par Charles Delouche-Bertolasi et photo Christophe Maout  publié le 28 avril 2023

Ancienne journaliste, la maire adjointe écolo de Paris chargée de la santé, en première ligne pendant le Covid, vient à la rescousse des consommateurs de drogues et des travailleuses du sexe.

Prostituées, séropositifs, injecteurs d’héroïne, fumeurs de crack, sans domicile fixe… Une carrière à travailler auprès des plus démunis vaut à Anne Souyris le surnom de «Mère Teresa écolo». Ce quolibet dont l’a affublée la droite parisienne, elle préfère en sourire. Epouvantail des chantres du «c’était mieux avant» réunis sous la bannière de #SaccageParis, elle s’est habituée aux critiques.

C’est dans le tumulte des tasses qui tintent et du percolateur qui ronronne qu’on retrouve Anne Souyris, veste de costume passée par-dessus un pull rouge aux motifs chatoyants, châle gris noué autour du cou. Non loin de l’hôtel de ville de Paris, assise à une table du café le Sarah-Bernhardt, l’élue aux yeux bleus cerclés de lunettes rondes en écailles a commandé un thé vert. D’ordinaire, on la croise aux abords du périphérique, dans la pagaille d’une expulsion d’un camp de consommateurs de crack. Avant, on écoutait ses briefs angoissants sur les plateaux télé, masque sur le nez, annonçant les chiffres des contaminations de Covid-19 à Paris.

Avant même de boire une gorgée, elle évoque la pandémie. «Notre gestion à Paris a montré qu’un écolo pouvait assumer des responsabilités à un moment de crise aigu», répète-t-elle, faisant allusion à «l’expérience la plus dure qui soit». Elle se remémore l’année 2020, «les tête-à-tête» quotidiens avec Anne Hidalgo, «à compter les morts», à se demander «comment faire bouger les lignes malgré un Etat vertical qui refuse de laisser la main». L’adjointe vante l’instauration des tests systématiques décidée à Paris pour les Ehpad, devançant ainsi le gouvernement. «Si on avait donné plus de pouvoir aux collectivités locales, je fais le pari qu’on se serait débarrassé bien plus vite du Covid-19, et il y aurait eu moins de dégâts pour les jeunes et leur santé mentale», assure Anne Souyris.

Née en Charente à Angoulême, Anne Souyris a grandi à Maisons-Alfort dans le Val-de-Marne. Fille unique, ses parents divorcent alors qu’elle a 2 ans. Elle ne rencontrera son père qu’une fois adulte : «Un homme qui a fait des enfants un peu partout.» Elle est élevée par sa mère, diététicienne à l’hôpital Saint-Antoine, «militante à la CFDT et à SUD». «Une vraie gauchiste. Elle faisait des gardes le week-end et rentrait à 9 heures tous les soirs. J’écoutais ses histoires de syndicats, ses récits de manifestation. J’ai été à bonne école», souligne-t-elle. Sa mère était en totale opposition avec sa famille de Cognac, «de droite et bourgeoise». Les souvenirs de dîners qui se transforment en «engueulades à n’en plus finir» remontent à la surface. C’est «le fait de vivre avec une mère célibataire qui devait lutter tous les jours» qui l’a amenée à s’engager pour des gens en rupture : «On vivait dans un appartement avec un loyer non encadré. On n’était pas malheureuses mais hyper-modestes et hyper-seules.»

Après son bac scientifique, elle étudie la littérature à la Sorbonne et les sciences politiques. La jeune femme devient rédactrice auJournal du sida, fondé en 1988 par Frédéric Edelmann et le médecin Jean-Florian Mettetal. Elle découvre la France de l’héroïne. Les morts par injection. La «blanche» et le sida qui fauchent une génération. Anne Souyris vit alors une «révolution culturelle». A 30 ans, sa rencontre avec la militante et travailleuse du sexe Lydia Braggiotti, fondatrice du Bus des femmes, est un tournant. Pensant réaliser une banale interview, elle se retrouve finalement seule face à 70 femmes séropositives. «Pendant trois heures, ces femmes m’ont raconté leur histoire. J’étais néophyte. J’ai réalisé l’insupportable violence que subissaient les prostituées et la discrimination du corps médical à leur égard, liste-t-elle. Elles étaient vues comme la lie de la société. Plutôt que de savoir si elles avaient le VIH, on préférait les faire avorter.» La politique, elle y touche pour la première fois en s’insurgeant en 2001 contre un projet de loi opposé à la marchandisation des corps. Militante depuis peu chez les Verts, elle profite de l’occasion pour ouvrir le débat et faire évoluer la position de son parti, à l’époque «classiquement féministe abolitionniste» vers une approche centrée sur la «réduction des risques» pour les travailleuses du sexe.

Un temps porte-parole du parti EE-LV, proche de la ligne de Yannick Jadot, elle est élue depuis 2014 au conseil de Paris et est tentée par le Sénat. Devenue adjointe à la santé d’Anne Hidalgo, Anne Souyris a vu grandir la consommation de crack dans la capitale jusqu’à ce qu’il s’implante durablement dans le Nord-Est parisien. Depuis l’évacuation en novembre 2019 de la «colline» du crack située Porte de la Chapelle, les usagers vivent au gré des évacuations répétées. Tantôt à Stalingrad ou au jardin d’Eole, pour finir coincés durant un an Porte de la Villette au square Forceval.L’ultime évacuation de septembre dernier a poussé les usagers dans la rue, «des gens moins suivis par les associations, qui prennent plus de drogues». «L’obligation du sevrage est revenue au goût du jour alors qu’on sait depuis des années que ça ne marche pas», regrette-t-elle, forcée de constater un retour en arrière dans les mentalités. Elle évoque le cas de Nicolas Jeanneté, élu du XVe arrondissement mis en examen en mars pour trafic de stupéfiants notamment lors de soirées chemsex «J’aurais attendu de lui du courage pour dire qu’il faut un accompagnement supplémentaire en matière de drogues.»

D’après elle, l’affaire Pierre Palmade a été encore un «moyen de faire gagner une hypocrisie bon teint» et d’aller vers la répression plutôt que vers la santé. L’élue plaide pour un débat national type «conseil national pour la lutte contre les addictions». Pour l’addictologue William Lowenstein, Anne Souyris possède une «force tranquille»«Elle est un peu socialiste à l’ancienne. Elle écoute avec attention tous ceux qui la sollicitent pour en tirer l’élément constructif qui s’intégrera dans son projet. C’est une femme politique ouverte», salue le praticien. Ouverte, elle l’est aussi avec ses deux garçons adolescents qui lui font découvrir les joies du rap français. Pourtant son trip, ce serait plutôt la musique classique ou bien le hard rock façon Led Zeppelin. Le premier livre qui lui vient à l’esprit, un ouvrage de Thomas Bernhard. Et un titre évocateur aux yeux de son parcours : le Naufragé.

29 août 1964 Naissance à Angoulême (Charente).

Janvier 2009 Essai avec Catherine Deschamps Femmes publiques. Les Féminismes à l’épreuve de la prostitution.

3 juillet 2020 Elue adjointe à la Maire de Paris en charge de la santé publique.

Avril 2023 Candidature à la consultation citoyenne EE-LV pour les sénatoriales.


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