vendredi 12 mai 2023

La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté alerte une nouvelle fois sur les conditions de détention déplorables

Par    Publié le 11 mai 2023

Dans son rapport annuel d’activité, Dominique Simonnot dénonce une réalité invivable rendue possible par un « calcul à court terme, sans vision ni réalisme, répondant au populisme par des incantations et des roulements de biceps ».

Un détenu dans sa cellule à la prison de Gradignan (Gironde), le 3 octobre 2022.

C’est un tableau apocalyptique. Dans son rapport annuel d’activité – qui doit être présenté jeudi 11 mai lors d’une conférence de presse –, Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), décrit une situation où règne une « inertie coupable » et où les conditions de détention sont déplorables.

Un constat sévère établi à partir de 115 visites de contrôle d’établissements effectuées en 2022, soit vingt-huit établissements pénitentiaires, vingt établissements de santé mentale, dix hôpitaux recevant des personnes privées de liberté, cinq centres de rétention administrative et zones d’attente, trois centres éducatifs fermés, cinq tribunaux, quarante-trois locaux de garde à vue et de rétention douanière, et une procédure d’éloignement forcé.

Avec un ton particulièrement libre pour ce genre d’exercice, Mme Simonnot dénonce une réalité invivable rendue possible par un « calcul à court terme, sans vision ni réalisme, répondant au populisme par des incantations et des roulements de biceps ». La contrôleuse générale estime ainsi que « notre société tolère ce qui, à bien des égards, s’apparente aux antiques châtiments corporels ».

L’ancienne journaliste n’épargne personne, pointant aussi bien les « magistrats, qui cèdent trop souvent à la facilité d’enfermer » que les « élus, qui connaissent l’état de nos prisons et appellent sans cesse à plus de vengeance et d’enfermement », ou encore « l’Etat, qui détourne le regard ». Elle en est persuadée, « la France n’échappera pas à de nouvelles condamnations européennes ». Et conclut : « C’est triste à dire, mais surnage de ces constats le sentiment d’un abandon de l’Etat. » Cependant, elle ne renie pas de maigres « espoirs » que les choses changent. Elle met en avant notamment les visites des bâtonniers des ordres des avocats, ainsi que des élus. Pour Dominique Simonnot, plus ce qu’elle dénonce sera vu, « plus vite avanceront les chances de changement ».

Nouveau record d’incarcérations

Le premier point soulevé par le rapport est d’importance : la surpopulation carcérale et les atteintes à la dignité en prison. Avec 73 080 détenus au 1er avril et un taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt à 142,2 %, la France a atteint un nouveau record d’incarcérations.  « Aucune des visites du CGLPL dans les maisons d’arrêt et quartiers maison d’arrêt (seuls touchés par la surpopulation) n’a permis de voir un taux d’occupation inférieur à 135 %, et trois prisons affichaient des taux supérieurs à 200 % au moment du contrôle », indique le rapport, qui évoque une situation inacceptable au regard des droits de l’homme. La vie en prison devient alors intenable, puisque la surpopulation a pour conséquence directe les violences, un manque d’hygiène, l’entrave aux activités, au travail et à l’enseignement.

Face à ce constat, la CGLPL recommande notamment la mise en place, dans la loi, d’une régulation carcérale qui confierait à une commission locale, présidée par l’autorité judiciaire, le soin de ne pas dépasser un taux donné de densité carcérale. Une demande qui date de 2017 et qui est restée lettre morte jusqu’à présent.

La réponse de l’exécutif face à la surpopulation ne serait pas la bonne, selon Mme Simonnot. Pour elle, le plan de construction, à l’horizon 2027, de 15 000 nouvelles places nettes de prison défendu par Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux, est une« promesse fleurant le rance ». La contrôleuse insiste : « Plus on construit, plus on remplit. » Un axiome que rejette le ministre.

« [On] a laissé la prison se substituer aux asiles »

Autre point soulevé par le rapport annuel : la psychiatrie. Là aussi, l’état des lieux est sévère, notamment en raison du manque de personnel. Conséquence : emplois vacants ; lacunes dans l’organisation de soins ; prévention insuffisante des risques, conduisant à des hospitalisations en urgence qui pourraient être évitées ; recours excessif à la contrainte ; nombreuses atteintes à la liberté d’aller et venir. Cependant, Mme Simonnot et ses équipes notent que « les conditions matérielles de prise en charge observées sont en général correctes, sous réserve de deux difficultés. L’une, de plus en plus fréquente, résulte de la saturation des espaces (…). L’autre, en voie de résorption, est la protection insuffisante de la sécurité des patients ou de leurs biens ».

La question psychiatrique ne se résume pas aux établissements spécialisés mais déborde sur les prisons, avec des conséquences souvent dramatiques. « [On] a laissé la prison se substituer aux asiles d’antan, enfermant dans ses murs plus de 30 % des prisonniers atteints de troubles graves. Voilà comment, à leur corps défendant, surveillants et détenus ont, en quelque sorte, été contraints de se muer en infirmiers psychiatriques. »

La pédopsychiatrie, quant à elle, est un « secteur en grande difficulté », touché par une grave carence de moyens et de lourdes défaillances. Certains territoires n’ont aucune offre dans ce domaine. Cela engendre une prévention des risques insuffisante, des hospitalisations avec des adultes ou encore l’absence d’accès à la scolarité.

Manque d’hygiène et de maintenance

Le document de près de 200 pages met en évidence également une « gestion de plus en plus sécuritaire de la rétention des étrangers ». Les auteurs notent que certains locaux connaissent de graves défauts d’entretien, avec un manque d’hygiène et de maintenance. Les personnes retenues le sont « dans des espaces sales et dégradés », et disent « souffrir de faim et maigrissent pendant leur séjour ». D’autres centres sont entretenus et servent de la nourriture correcte, précise néanmoins le rapport.

De plus, l’enfermement des enfants se poursuit malgré les « demandes insistantes du CGLPL » et la jurisprudence européenne. « Leur hébergement se déroule parfois sans jouets ni matériel de puériculture, y compris lorsque tout cela existe mais reste inaccessible car les fonctionnaires en ignorent l’existence », peut-on encore lire.

Enfin, toujours concernant les mineurs, les centres éducatifs fermés présentent des réalités diverses, allant du pire (dysfonctionnements cumulés, manque de personnel qualifié) au meilleur (équipe compétente, centre intégré dans son environnement, bonnes conditions de vie, suivi éducatif rigoureux). Entre les deux, une situation « fragile », au bord de la rupture, avec, notamment, des effectifs en tension et une qualification insuffisante.

Alors qu’Eric Dupond-Moretti a annoncé la poursuite du plan de construction de centres éducatifs fermés, avec vingt-deux nouveaux centres, le rapport préconise, sur le sujet, « plus de mesure » et affirme que « ce plan présente des risques importants et documentés, alors que les bénéfices pour les enfants sont mal connus ». Un élément de plus qui vient nourrir un bilan globalement négatif.


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