mardi 16 mai 2023

Interview Réintégration à l’hôpital : «Le soignant croquemitaine antivax est un fantasme»

par Nathalie Raulin  publié le 15 mai 2023

«500 jours d’enfer», des injures, un sentiment d’injustice… Frédéric Pierru, sociologue au CNRS, qui a recueilli des centaines de témoignages de soignants, revient sur les raisons de leur défiance envers le vaccin anti-Covid. Et ses lourdes conséquences.
publié le 15 mai 2023 à 3h39

Au travers d’une étude lancée à l’automne 2022 et toujours en cours, le sociologue du CNRS Frédéric Pierru, spécialiste des politiques de santé publique, et son collègue Alexandre Fauquette cherchent à comprendre pourquoi certains soignants ont préféré se mettre dans une «souricière sociale et professionnelle» plutôt que de répondre à l’injonction vaccinale contre le Covid. Des quelque 80 entretiens et 400 témoignages écrits recueillis, le chercheur dessine les profils de ces réfractaires et analyse les raisons de leur refus.

Que ressort-il des témoignages que vous avez recueillis ?

Avant tout, une grande détresse. Les soignants non vaccinés sont très massivement des femmes, et le gradient professionnel de vaccination [le taux de vaccination en fonction du niveau de qualification, ndlr] est très net. Même si l’on rencontre des médecins, la plupart sont aides-soignantes, infirmières, et employées dans le secteur médico-social. Elles font en général partie des classes populaires. Quand les suspensions ont commencé à tomber en septembre 2021, elles ont perdu leur salaire, mais sans avoir le droit d’exercer une autre activité professionnelle. Cela a généré des tensions dans de nombreux couples, des difficultés avec les parents et les amis, du surendettement. Certaines n’ont tenu que grâce à des distributions alimentaires organisées par des réseaux de solidarité nés notamment au moment des gilets jaunes. Mais ce qui est frappant c’est que ces femmes auraient pu tricher, présenter de faux certificats de vaccination pour continuer à travailler. Elles ont choisi d’assumer leur choix, même si le coût était exorbitant.

Ont-elles compris la logique collective de protection des plus vulnérables qui sous-tendait ces suspensions ?

Clairement non. Elles l’ont vécu comme une immense injustice. Quand l’épidémie a démarré, elles étaient sur le pont d’abord sans masque, puis avec deux masques seulement pour la journée qu’elles faisaient sécher sur une poignée de porte… Qu’on soit passé en un an du laxisme total à l’intransigeance absolue les a totalement déroutées. Surtout, elles se sont vite rendu compte que l’application de la loi du 5 août 2021 était à géométrie variable. Dans certains territoires et notamment aux Antilles, peu de soignants ont été suspendus alors qu’une majorité refusait la vaccination. Grâce aux boucles Telegram, elles se sont aussi rendu compte que la contrainte était aussi variable d’un établissement hospitalier à l’autre, selon l’intransigeance de la direction ou la tension sur les ressources humaines. Cela les a entretenues dans la conviction que la loi était inique.

Comment expliquer qu’un soignant préfère se mettre en difficulté économique et sociale, plutôt que de se faire vacciner ?

On a souvent présenté ces soignants comme des antivax, des obscurantistes. C’est absurde. Par définition, les soignants sont tous soumis à des obligations vaccinales diverses pour pouvoir exercer leur métier. Ils ne peuvent donc pas y être opposés par principe. Le soignant croquemitaine antivax est un fantasme. Leur rejet portait uniquement sur le vaccin anti-Covid. Ce n’est que par la suite que certaines se sont mises à lire des thèses alternatives.

De quoi avaient-elles peur exactement ?

Pour ces soignantes, le vaccin anti-Covid avait été mis au point trop vite et avec une technique trop nouvelle, l’ARN messager, pour être véritablement sûr. Elles ne voulaient pas servir de cobayes. Ces femmes âgées en moyenne d’une trentaine d’années avaient compris n’avoir pas grand-chose à craindre du virus. En revanche, certaines étaient paniquées à l’idée qu’une «injection» – elles refusent d’utiliser le mot vaccin – puisse altérer leur fécondité ou menacer la santé de leurs futurs enfants. D’autres, déjà mères, pratiquaient ce que j’appelle le «syndrome du barrage». Elles avaient la conviction que si elles ne s’opposaient pas à l’injection pour elles-mêmes, on finirait par l’imposer à leurs enfants…

Ces craintes ne se sont-elles pas estompées au fil du temps ?

Pas vraiment. Une fois suspendues, ces personnes se sont mises à lire y compris des études scientifiques internationales pointues, et elles ont acquis une vraie connaissance des limites du vaccin anti-Covid. Elles ont découvert que ses bénéfices, en termes de protection comme de transmission, étaient limités. Or pour ces profanes, un produit ne mérite le nom de vaccin que s’il protège pleinement durablement et complètement d’un virus. Mais plutôt que de discuter et de convaincre, on a préféré les contraindre et les injurier. Beaucoup l’ont vécu comme un mépris de classe. Il est vrai qu’il y a quelque chose d’illogique à les traiter d’«anti-science»quand même la Haute autorité de santé estime que l’obligation vaccinale des soignants n’a plus lieu d’être…

Les soignants non vaccinés vont pouvoir réintégrer l’hôpital. Craignent-ils de «ne pas être accueillis avec des fleurs» comme a prévenu le ministre de la santé François Braun ?

Beaucoup ont déjà démissionné. J’ai rencontré un chef de service de soins palliatifs qui s’est reconverti en conducteur d’engins de chantiers à 59 ans, une infirmière qui est devenue maraîchère, d’autres se sont tournés vers les médecines alternatives ou naturelles. Il en reste toutefois qui souhaitent réintégrer leur établissement de santé. Mais après 500 jours d’enfer, la défiance est forte vis-à-vis d’une institution qui les a maltraités. A l’inverse, les soignants qui ont consenti avec réticence à la vaccination dans l’unique but de ne pas perdre leur emploi pourraient concevoir du ressentiment devant ces réintégrations. Tout cela laissera des traces durables au sein de l’institution hospitalière.


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