lundi 29 mai 2023

Acouphènes : une prise en charge thérapeutique est possible

Par   Publié le 24 avril 2023

Environ 15 à 20 % de la population en France déclarent souffrir d’acouphènes. Si l’origine de ces troubles est méconnue, certaines techniques peuvent soulager ces sifflements qui peuvent devenir invalidants.

A l’aéroport international Logan, de Boston, le 21 novembre 2022.

Sifflements, bourdonnements, grésillements… les acouphènes polluent la vie d’un grand nombre de personnes. « Toujours ce même sifflement et, dans mes insomnies, j’en pleure », chante Angèle. « J’ai des bruits dans la tête, ça arrive d’un seul coup », slame aussi Grand Corps Malade dans sa chanson Acouphènes. Environ 15 à 20 % de la population en France déclarent souffrir d’acouphènes, dont 1 % d’entre eux sont invalidants, avec un retentissement sur la qualité de vie (sommeil, concentration, isolement, anxiété). Si le pic se situe vers 65 ans, ils peuvent survenir à tout âge.

Pour Antoine, quinquagénaire parisien, « c’est arrivé progressivement, avec des sifflements assez aigus. Puis ça s’est accentué, ça sifflait sans cesse, ça ne s’arrêtait pas, c’était insupportable, ça me réveillait la nuit »« L’acouphène est une sensation auditive sans stimulation sonore extérieure, qui peut être vécue comme une expérience désagréable pouvant impacter la qualité de vie », selon la définition de l’Association francophone des équipes pluridisciplinaires en acouphénologie (Afrépa), qui regroupe des cliniciens spécialisés.

« Survenant dans une seule ou dans les deux oreilles, de façon continue ou intermittente, l’acouphène diffère par son intensité, sa fréquence, sa durée… Il peut être transitoire ou persistant. Il traduit une souffrance de l’oreille interne, à l’instar de la douleur », décrit Jean-Luc Puel, directeur de l’équipe audition (Inserm) et professeur à l’université de Montpellier.

Des causes multiples

Dans des cas rares (environ 5 %), les acouphènes sont dits « objectifs », pouvant être entendus par une personne extérieure, car liés à une source sonore provenant du corps, comme des contractions spontanées de muscles ou des bruits vasculaires. Mais la majorité sont des acouphènes dits « subjectifs », sans source sonore externe. Les causes sont multiples. Environ 80 % sont associés à des troubles auditifs, la presbyacousie (vieillissement de l’oreille) et/ou la surdité liée à l’âge. Des traumatismes acoustiques répétés liés à l’écoute de musique très forte ou un environnement professionnel exposé au bruit peuvent également en provoquer. Une étude avait ainsi montré que 75 % des disc-jockeys de 26 ans travaillant trois nuits par semaine depuis six ans souffraient d’acouphènes.

« Certains médicaments, des bouchons de cérumen, les otites, des maladies inflammatoires de l’oreille ou encore la maladie de Ménière… peuvent aussi être à l’origine de ces troubles », selon le docteur Alain Londero, chargé d’une consultation acouphènes et hyperacousie à l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP). Il n’existe pas forcément de corrélation entre la sévérité de l’acouphène et le degré de surdité. Ils peuvent aussi être associés à des douleurs cervicales ou des contractions de la face et du cou, des signes neurologiques…

Le mécanisme des acouphènes reste méconnu. « On ne sait pas très bien d’où ils viennent, concède Jean-Luc Puel, également président de l’association Journée nationale de l’audition (JNA). Des études d’imagerie cérébrale supposent un fonctionnement anormal du cortex auditif, mais aussi des perturbations au niveau des zones cérébrales impliquées dans les émotions, comme l’amygdale, la mémoire. » Les acouphènes sévères peuvent créer de l’anxiété, voire de la dépression dans certains cas. Une recherche, appelée Audicog, est actuellement menée par deux hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (le HEGP et la Pitié-Salpêtrière), par l’Institut du cerveau et l’université de Lille sur « toutes les dimensions cognitives et attentionnelles qui peuvent perturber les patients acouphéniques, en comparant 300 patients acouphéniques épileptiques ou non et des volontaires sains », explique Alain Londero, qui est un des coordonnateurs de l’étude.

Thérapie sonore

Contrairement à l’idée reçue, des prises en charge existent. En cherchant l’origine, dans un premier temps. Des aides auditives sont souvent proposées pour soulager les acouphènes. Mais si le patient n’a pas de déficience auditive, « le port d’une aide auditive visant à amplifier les sons n’a pas d’intérêt », prévient Jean-Luc Puel. « Le port d’un générateur de bruit portatif, qui diffuse un stimulus sonore de basse intensité pour masquer l’acouphène et en diminuer l’impact peut être indiqué », ajoute-t-il. Cela peut aussi être couplé à un accompagnement psychologique. « Des études ont montré une certaine efficacité de ces thérapies, mais l’absence de groupe contrôle ne permet pas d’évaluer la part de l’effet placebo », tempère Jean-Luc Puel, convaincu que la thérapie sonore a sa place dans l’arsenal thérapeutique.

 Travaux de voirie.

Autre approche, les thérapies cognitives et comportementales permettent de mieux vivre avec les acouphènes en modulant leur perception. Cette technique est la mieux validée, ont montré plusieurs études publiées sur la Cochrane Library. Les techniques dérivées des méthodes de relaxation ou de méditation de pleine conscience comme la sophrologie peuvent être utilisées. Après avoir eu des réticences, Antoine a ainsi été orienté vers un sophrologue par une ORL spécialisée, qui n’avait détecté aucune anomalie par ailleurs. « Les acouphènes ont commencé à baisser à la troisième séance », décrit ce patient.

Des techniques de neuromodulation bimodale consistent à faire une stimulation sonore en même temps qu’une stimulation électrique de la langue ou de nerfs crâniens dont une étude publiée en juin 2022 dans Scientific Reports a montré l’efficacité. Un bémol, ces méthodes nécessitent des dispositifs coûteux, non remboursés.

Des médicaments (anxiolytiques, antidépresseurs) peuvent aussi être donnés pour soigner les symptômes associés tels les troubles du sommeil, l’anxiété, la dépression. « Certains prescrivent des antiépileptiques, mais les risques semblent supérieurs aux bénéfices dans la majorité des cas », selon Alain Londero. Des essais de médicaments sont en cours sur de nouvelles voies d’administration à l’intérieur de l’oreille et sur de nouvelles cibles moléculaires.

Dans tous les cas, la prise en charge doit être multidisciplinaire. De nombreux patients sont encore dans l’errance, sans être soulagés. Constatant des abus dans certaines pratiques médicales et paramédicales, les associations JNA et France Acouphènes espèrent conduire une étude pour calculer le coût financier pour le patient.


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