lundi 3 avril 2023

TRIBUNE Les partisans de l’éducation positive et ceux du «time out» s’opposent-ils vraiment ?





par Pablo Votadoro, psychiatre au département de psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte de l'Institut mutualiste Montsouris

publié le 1er avril 2023

Pour le pédopsychiatre Pablo Votadoro, les deux discours reflètent les incertitudes sur ce qui fonde l’autorité, tout en étant traversé d’une même préoccupation commune : l’enfance et la maltraitance.

Rare sont les débats sur l’éducation. Pourtant, la société se transforme et avec elle les idées sur la meilleure façon d’élever un enfant. Passion française assurément, aujourd’hui elle oppose deux camps par voie de presse : «l’éducation positive» de Catherine Gueguen et le «Time out» de Caroline Goldman. Toutefois, il n’est pas certain qu’ils s’opposent vraiment, tant ils ne parlent pas de la même chose. Pourtant ces deux discours reflètent les incertitudes sur ce qui fonde l’autorité, tout en étant traversé d’une même préoccupation commune : l’enfance et la maltraitance.

D’un côté les tenants d’une éducation dite «positive», marketée à l’anglo-saxonne (mieux que la négative), propose une rupture par rapport à la tradition hexagonale, celle de l’élitisme et de la discipline, car souhaite encourager plutôt que sanctionner, soutenir plutôt que rabaisser. En cela elle répond aux malheurs quotidiens à l’école, dans l’entreprise et parfois en politique. Il est donc facile d’y adhérer. Surtout à partir du refuge pour la souffrance d’un centre hospitalier pour adolescents ayant perdu la santé psychique, car s’y vérifie tous les jours les drames d’un système scolaire excluant, la catastrophe de parents subissant un management violent, et entre les deux la tragique banalité de la maltraitance qui se transmet comme mécaniquement entre générations. La critique sur sa naïveté est pourtant très juste aussi, puisque dans les histoires de famille, comme à l’école ou dans l’univers du travail, il ne suffit pas de décréter la fin de la violence éducative (loi du 10 juillet 2019) pour empêcher qu’elle ne se transforme. En effet, la pratique positive de l’éducation néglige que la violence trouve ses racines dans le caractère affectif des relations, nécessairement ambivalent, puisque pris dans le conflit structurel de désir entre deux sujets.

Composer avec la réalité et une autorité

C’est pourquoi, on ne peut juste miser sur la promotion du libre choix, mais s’astreindre à aider au développement de sujets, des êtres affectivement en relation, capables de composer avec la réalité et une autorité. Comme en politique, les émotions ne se règlent pas avec la communication. D’ailleurs, cette attitude éducative, en prônant le contrôle, même positif, risque de déraper vers la maîtrise voire l’emprise, qui consiste à compenser le refus du conflit par la surveillance pouvant verser dans la manipulation ou la paradoxalité (qui paralyse la pensée et objective le sujet) ou encore l’abus, par des négociations qui placent l’enfant au niveau de l’adulte (niant la différence des générations). C’est en cela que la technique dite du «Time out» propose une médiation intéressante au conflit : envoyer l’enfant quelques minutes dans sa chambre pour que l’excitation retombe, quand la tension devient trop forte et que l’autorité du parent risque de céder à l’abus de pouvoir ou à la violence. La distance permet à chacun de souffler en sortant de la confusion due à l’empiètement des espaces propres. Pragmatique, elle évite les injonctions idéales censurant les parents de dire un non qui apaise. On peut toutefois s’inquiéter sur l’intérêt du conflit chez un trop jeune enfant, se voyant rejeté, cette technique peut reproduire l’autoritarisme qui empêche le dialogue, et l’humiliation qu’elle veut combattre.

Du point de vue pédopsychiatrique, on peut dire qu’il existe de multiples styles éducatifs possibles, la seule chose qui compte serait de trouver celui qui préservera plus facilement la santé psychique en évitant ce qui pourrait la compromettre. Respecter les besoins de l’enfant et son rythme équivaut à éviter la maltraitance qui concerne 22 % des mineurs (Unicef, 2022). L’éducation positive tentera d’éviter la violence et le «Time out» l’abus et la paradoxalité, et sans doute que les deux encourageront les parents à s’occuper de leurs enfants, car il est tout aussi dommageable quand personne n’y parvient (ni les parents, ni des substituts) par trop d’attentes ou pas assez.

Légitimité de l’autorité

L’autre élément absent du débat est celui du rapport à l’autorité. Son esquive montre moins son déclin que la difficulté à concevoir un nouveau pacte avec l’autorité qui ne soit pas uniquement disciplinaire. D’ailleurs ici, les références «scientifiques» neurobiologiques montrent justement que pour asseoir leur autorité, ces techniques se cherchent une légitimité dans le scientisme contemporain. En effet, quel discours scientifique tranchera entre l’explication ou la sanction, – en dictature ? – mais en démocratie l’éducation demeure un artisanat, un soin. Or, d’un point de vue psychologique, le rapport à l’autorité conditionne le souci de la différence, de l’altérité d’autrui, l’enfant pour le parent. Toutefois, comme nous le rappelle le film le Ruban blanc (Michael Haneke), c’est aussi une affaire politique, lorsqu’elle prépare les décideurs de demain à savoir composer avec l’autorité, la leur autant que celle des autres. Freud prévenait que soigner, éduquer et gouverner étaient des métiers impossibles, car sans résultats garantis.

Ce débat sur les techniques cache un autre inavoué, celui de la légitimité de l’autorité. En effet, les choix éducatifs ne doivent pas se prévaloir de la science mais de l’éthique, car ils renvoient à la croyance en des valeurs humaines et en l’avenir. C’est bien ce qui les légitime.

Or l’époque, avec le retour de la violence policière, la désorientation des parents, le silence et l’inaction politique face à la détresse des enfants et des adolescents, montre qu’elle refuse d’accepter que l’autorité n’aille pas de soi, mais qu’au contraire elle doive se construire en répondant à des besoins autres que matériels : la reconnaissance, la sollicitude, mais aussi particulièrement, celui de croire en l’avenir. C’est une question politique intime, car elle interroge au final l’éducation qu’ont reçue les gouvernants, et celle qu’il faudrait pour les décideurs de demain.

 

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