lundi 3 avril 2023

« Si le monde a une chance de rester vivable à la fin de ce siècle, ce sera grâce aux femmes »

Publié le 2 avril 2023

CHRONIQUE

Philippe Bernard

Editorialiste au « Monde »

Si l’autonomisation des femmes est déterminante pour une meilleure maîtrise démographique, elle l’est aussi pour la réduction de l’impact écologique, et donc pour la survie de la planète, analyse Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.

L’avenir de l’humanité dépend de sa moitié féminine. Louis Aragon et Jean Ferrat l’ont proclamé et chanté. Les démographes, leurs calculettes et leurs scénarios le confirment à leur manière, moins poétique : si le monde a une chance de rester vivable à la fin de ce siècle, ce sera grâce aux femmes. Une étude, publiée lundi 27 mars par le groupe de chercheurs Earth4All, lié au Club de Rome, apporte de nouveaux arguments convaincants pour ériger l’autonomisation des femmes (« women empowerment ») en facteur déterminant non seulement d’une croissance démographique soutenable, mais aussi de la réduction de l’impact écologique, et donc de la survie de la planète. L’idée n’est évidemment pas nouvelle. Dans les pays déshérités, on sait depuis longtemps que l’éducation des filles est un levier majeur du développement : plus la scolarité se prolonge, plus tardives sont les maternités et larges les possibilités d’une vie autonome. Dans le monde développé aussi, l’égalité hommes-femmes favorise le progrès social.

Mais l’étude en question affirme innover en construisant des projections de la population mondiale tenant compte, pour dix zones de la planète, non seulement des taux de fécondité et de mortalité, mais aussi des interactions entre de multiples données comme le produit intérieur brut par habitant, l’éducation, la santé, le réchauffement climatique. Ayant étudié « les évolutions possibles au cours de ce siècle en matière d’énergie, de nourriture, d’inégalités, de tension sociale, de pauvreté, de croissance démographique et économique, nous avons établi que nous ne ferions de progrès dans aucun de ces domaines sans une plus grande autonomisation des femmes », écrivent les chercheurs, qui remettent en cause – dans un sens plus optimiste – les projections de population de l’ONU.

La naissance du huit milliardième habitant de la Terre, en 2022, a confirmé l’accélération démographique désormais indissociable des préoccupations climatiques : la planète comptait 1 milliard d’hôtes en 1803, 2 milliards en 1927, 3 milliards en 1960, 4 milliards en 1974, 6 milliards en 1999 et donc 8 milliards en 2022. Mais le franchissement de ce nouveau palier a aussi été l’occasion de souligner un point central de consensus entre les démographes pourtant coutumiers des polémiques : après avoir connu une croissance impressionnante ces six dernières décennies, la population mondiale va amorcer sa décrue d’ici à la fin du siècle grâce à une décélération spectaculaire de son taux de croissance.

Toute la question est de savoir quand interviendra ce renversement de tendance. Dans les années 1980, l’ONU estimait qu’il n’aurait pas lieu avant la fin du XXIe siècle et à un niveau sans doute problématique pour la planète : 12 milliards d’humains. La baisse du taux de fécondité, plus forte et plus généralisée que prévu – 2,3 enfants en moyenne par femme aujourd’hui et 2,1, soit le taux de renouvellement, en 2050 – a conduit l’organisation mondiale à réviser ses projections de population à la baisse. Elle situe désormais le pic en 2080 avec 10,5 milliards d’humains, précédant une légère décroissance.

Un impératif de stabilisation

Mais d’autres experts contestent à la baisse ces évaluations. Une étude américaine publiée en 2020 dans la revue scientifique The Lancet anticipe le pic à 2064 et l’évalue à un niveau moins élevé, 9,7 milliards, suivi par une nette baisse. Les chercheurs d’Earth4all, eux, pensent que la population du globe ne dépassera pas 8,5 milliards et commencera à décliner dès 2050, et même dès 2040 si des investissements sans précédent sont consentis en matière d’éducation, de santé, de sécurité alimentaire et… d’égalité hommes-femmes.

La capacité des femmes à « décider de leur propre destin en matière d’éducation, de travail et de vie familiale est l’un des facteurs expliquant la différence avec les estimations des Nations unies, explique Beniamino Callegari, l’un des auteurs de l’étude, professeur associé à l’université Kristiania, à Oslo. Lorsque les femmes sont autonomes, elles expriment en moyenne une préférence pour un équilibre entre ces éléments, ce qui se traduit par un report des grossesses et donc une réduction de la taille des familles ».


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