mercredi 19 avril 2023

Pourquoi les Américains meurent de plus en plus jeunes

Par (New York, correspondant)  Publié le 18 avril 2023

L’espérance de vie aux Etats-Unis s’établit à 76,1 ans, au plus bas depuis 1996. Les armes, les accidents de voiture et les overdoses décimant les plus jeunes sont les principales causes de cette situation.

Le cimetière d’Arlington, dans l’Etat de Virginie, le 11 novembre 2021.
Au cimetière de Los Angeles, lors de la célébration de Memorial Day.

Le chiffre est connu, l’espérance de vie américaine est en chute libre depuis plusieurs années et s’établissait à 76,1 ans en 2021, soit le plus bas niveau depuis 1996, selon les données du NCHS (Centre national de statistiques sur la santé) de 2022. Le recul depuis 2019 est de 2,7 ans, du jamais vu depuis le début des années 1920, et le Covid-19 n’explique pas tout.

Moins connues sont en revanche les raisons de cette contre-performance. La première est digne de Monsieur de La Palisse : si les Américains ne vivent pas vieux, c’est qu’ils meurent avant. Un Américain sur 25 âgé de 5 ans aujourd’hui n’atteindra pas l’âge de 40 ans, comme le relève une enquête approfondie du Financial Times publiée le 31 mars : c’est quatre ou cinq fois plus que dans les autres pays développés. Les explications tiennent de la caricature : homicides, accidents de la circulation, overdoses, maladies liées à l’obésité, les Américains meurent des maux de l’Amérique, dans la force de l’âge.

La richesse des Américains et les sommes abyssales dépensées dans la santé (18,3 % du produit intérieur brut, contre environ 12 % en France et au Royaume-Uni) n’y font rien. Toutes catégories sociales confondues, les Américains vivent moins longtemps que les habitants des autres pays développés.

5,6 fois plus d’homicides en proportion qu’en France

Les chiffres détaillés pour l’année 2021 publiés par le CDC, le Centre de contrôle et de prévention des maladies, sont édifiants. Il y a eu cette année-là 26 000 homicides pour une population de 332 millions d’habitants. C’est en proportion 5,6 fois plus qu’en France (948 homicides pour 67,8 millions d’habitants). Le pays a aussi connu quelque 49 000 décès par accidents de la route et des transports. Certes, on se déplace beaucoup en voiture aux Etats-Unis, mais c’est 2,8 fois plus qu’en France. Le taux de suicide a augmenté de 70 % en vingt ans et est désormais proportionnellement comparable à celui de l’Hexagone, avec 48 000 morts environ (contre environ 9 000 en France).

Enfin, les overdoses par opioïdes ont provoqué environ 98 000 morts outre-Atlantique, 35 fois plus en proportion qu’en France (chiffres de 2020). Cet abus de substances médicamenteuses ou illicites frappe fortement les hommes jeunes : 85 % des 54 000 victimes âgées de 25 à 54 ans sont des hommes.

Ces statistiques sont aussi corrélées à la géographie, comme le montre une carte du pays datant de 2021 et publiée sur Twitter par le prix Nobel d’économie (2008) Paul Krugman le 2 avril. La carte des décès prématurés recouvre le centre et le sud des Etats-Unis, en descendant les fleuves Ohio et Mississippi : des zones habitées par des populations blanches, puis noires dans le sud, frappées par l’obésité, la malbouffe, la drogue, avec des taches rouges dans les déserts de l’ouest et de l’Alaska, où se trouvent les réserves et les zones de population amérindiennes. Le comté d’Oglala Lakota, dans le Dakota du Sud – où eut lieu le massacre des Sioux à Wounded Knee en 1890 par le 7e régiment de cavalerie –, affiche l’espérance de vie la plus basse : 66,8 ans. La plus élevée, 86,8 ans, se trouve dans un comté montagneux du Colorado.

La surmortalité frappe davantage les Etats républicains

La répartition raciale est tout aussi inégalitaire, surtout chez les hommes : ceux d’origine amérindienne ont une espérance de vie à la naissance de 61,5 ans, les Afro-Américains de 66,7 ans, les Blancs de 73,7 ans, les Latinos de 74,4 ans et les Asiatiques de 81,2. L’écart moyen entre les femmes et les hommes est de 5,9 ans. Selon une étude réalisée à Harvard par Raj Chetty sur la période 1999-2014, l’écart d’espérance de vie entre les 1 % les plus riches et les 1 % les plus pauvres atteignait 14,6 ans pour les hommes et 10,1 pour les femmes.

Paul Krugman note aussi que le fléau de la surmortalité frappe plus les zones administrées par les républicains que par les démocrates. « Il y a une forte corrélation avec l’inclination politique »écrit-il sur Twitter, en comparant les courbes de l’Ohio (républicain) et de l’Etat de New York (démocrate). Il note que ce phénomène est nouveau. En 1990, l’Ohio avait selon lui une espérance de vie d’environ 74,5 ans, légèrement supérieure à celle de l’Etat de New York, tandis que celle des pays comparables était de 79 ans. Trente ans plus tard, l’Etat du Midwest n’a vu l’espérance de vie de ses habitants progresser que d’un an et demi, atteignant 76 ans, tandis qu’elle s’établit à New York à 81 ans, talonnant les pays comparables (82 ans). Selon le prix Nobel, les Etats centraux auraient renâclé à financer l’accès de la santé aux plus démunis (le système Medicaid), ce qui aurait entraîné une réduction du nombre des hôpitaux et de l’accès aux soins.

A partir de 65 ans, la santé de la quasi-totalité des Américains – 60 millions – est financée par le système public Medicare. Selon l’étude du Financial Times, une fois qu’ils ont atteint 75 ans, ils peuvent espérer vivre environ 11,5 ans supplémentaires, rejoignant alors les statistiques des pays riches.

A ces constats s’ajoute une autre spécificité américaine : un taux de mortalité maternelle de 32,9 pour 100 000 naissances, largement supérieur à celui observé dans les pays comparables (trois fois plus qu’en France, dix fois plus qu’en Espagne). En 2021, 1 205 femmes sont mortes durant la grossesse, l’accouchement ou dans les premières semaines suivant la naissance, une augmentation de 40 % par rapport à l’année précédente, selon des chiffres rendus publics par les CDC à la mi-mars. Les mesures restreignant l’accès à l’avortement ou la fermeture des services de maternité pourraient expliquer cette hausse.


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