vendredi 14 avril 2023

Le secteur public expérimente timidement la semaine de quatre jours

Par   Publié le 12 avril 2023 

Deux services publics testent la semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail, pour gagner en attractivité. Une organisation quasi sur mesure pour s’adapter au rythme des agents, qui ne se bousculent pas vraiment pour l’expérimenter.

Au jardin du Luxembourg, à Paris, en février 2021.

Le mercredi, Séverine Clémente, 41 ans, profite de son temps libre pour faire de grandes balades avec sa chienne le long de la Marne. « Concentrer ma semaine de trente-sept heures de travail sur quatre jours m’a permis de trouver du temps pour moi et pour ma santé », témoigne cette travailleuse handicapée souffrant de douleurs fibromyalgiques. Le reste de la semaine, elle commence le travail tôt, à 7 heures, pour terminer sa journée à 17 heures, avec une courte pause déjeuner.« Neuf heures quinze par jour, c’est effectivement intense, mais cela apporte un réel bénéfice sur la qualité de vie », soutient cette salariée de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV).

Comme l’Urssaf de Picardie depuis janvier, la CNAV expérimente depuis février la possibilité de travailler quatre jours par semaine sans réduction du temps de travail. « Beaucoup de Français aspirent aujourd’hui à travailler différemment » et sont « favorables à plus de liberté dans leur organisation », assurait fin janvier Gabriel Attal, le ministre chargé des comptes publics dans L’Opinion, rendant alors publiques ces expérimentations.

Si le dispositif est plébiscité par les salariés du privé, où il est généralement accompagné d’une réduction du temps de travail, il peine à convaincre ceux du secteur public. A ce jour, seuls quatre expérimentateurs sur trois cents agents ont été recensés à l’Urssaf, et une vingtaine sur les 3 600 agents de la CNAV, régis par le droit privé. Mais, loin de chercher à devenir une norme, cette innovation managériale vise plutôt à permettre plus de flexibilité et une organisation du temps de travail quasi sur mesure.

Un questionnaire anonyme

En septembre 2022, après avoir obtenu de nouveau le label de l’Institut Great Place to Work, qui distingue un environnement où il fait bon travailler, l’Urssaf de Picardie a fait circuler dans ses rangs un questionnaire anonyme dont les résultats ont été sans appel. « Il y avait une demande forte de notre personnel d’être plus flexible sur les horaires, malgré cinq modalités d’organisation de la semaine déjà disponibles », rapporte Pierre Feneyrol, directeur de l’organisme.

Un accord a ainsi été négocié en octobre 2022 avec quatre syndicats, ouvrant la voie à deux nouvelles dispositions expérimentées pendant neuf mois : une semaine à trente-neuf heures avec vingt jours annuels de RTT, et la semaine de quatre jours à trente-six heures, dont le jour chômé est laissé à l’appréciation du travailleur. « Cent vingt personnes sur trois cents nous ont fait savoir qu’elles étaient potentiellement intéressées, et trente-huit qu’elles l’étaient à court ou moyen terme », précise le directeur régional.

S’ils sont encore peu nombreux, les salariés passés à la semaine de quatre jours plébiscitent cette organisation. « C’est un avantage employeur très important, aussi fort que la possibilité de télétravailler et presque aussi fort que la rémunération », appuie Sarah Couillaud, cheffe de projet innovation et usages de la CNAV qui, depuis deux mois, apprécie cette journée « qui n’est pas du week-end, ni du temps travaillé, et ne doit surtout pas devenir une journée consacrée aux tâches ménagères ».

La concurrence du privé

Comme l’Urssaf, la CNAV est confrontée à une raréfaction des profils, et doit faire face à une concurrence du privé d’autant plus importante que les services publics ont la mauvaise réputation d’une rigidité dans leurs ressources humaines. « Nous ne sommes pas compétitifs sur le salaire, alors nous devons l’être sur les conditions de travail et l’individualisation de l’organisation », souligne Jérôme Friteau, directeur des relations humaines et de la transformation (DRHT).

Dans cette entreprise à mission de service public, 82 % des salariés bénéficient d’une dose de télétravail. « Nous avons pensé la semaine de quatre jours pour permettre à ceux dont le télétravail est impossible de passer, s’ils le souhaitent, une journée supplémentaire à la maison », poursuit le DRHT, citant notamment le cas des salariés à temps partiel ayant réduit leur durée de travail pour passer le temps ainsi dégagé avec leurs enfants et qui peuvent désormais bénéficier de leurs mercredis, en travaillant à temps complet et en augmentant leur rémunération.

Pourtant, parmi les profils de volontaires, peu utilisent ce temps pour s’occuper de leurs enfants, et priorisent plutôt les loisirs. « Le rythme intense des journées suppose un repos plus important. Cela convient plutôt à de jeunes travailleurs ou des parents d’enfants autonomes. C’est une journée que l’on consacre à soi, à la lecture, au jardinage, à une activité physique que l’on n’a pas le temps de faire le week-end, et cela fait vraiment du bien », confie Séverine Savoye, 50 ans, qui travaille aux ressources humaines de l’Urssaf, et est elle-même travailleuse à quatre jours par semaine. A la CNAV, les premiers retours de neuroscientifiques mobilisés sur l’expérimentation font état d’une baisse générale de la fatigue corporelle et d’un meilleur cloisonnement entre vie privée et vie professionnelle.

Individualisation de l’organisation

Dès lors, pourquoi si peu d’expérimentateurs ? Les organisations syndicales, marquées par de nombreuses années de dialogue social compliqué, sont les premières à porter un regard dubitatif sur cette disposition. « Jusqu’à présent, tout ce qui nous a été proposé visait à faire des économies. Nous sommes donc particulièrement méfiants, même si nous ne sommes pas hostiles par principe à la semaine de quatre jours, qui est intéressante sur le papier. Il ne s’agit pas seulement d’une modalité de travail, mais de l’organisation du travail, et elle doit être pensée avec les organisations représentatives », souligne Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT-Fonction publique.

D’ailleurs, si ces expérimentations concernent le service public, la fonction publique, par exemple l’hôpital, utilise déjà largement la semaine de quatre jours pour les besoins des services. Les directeurs interrogés assurent vouloir avant tout une organisation au bénéfice des salariés, mais ils ne perdent pas de vue les avantages possibles pour les services. « Sur les plates-formes d’accueil téléphonique, savoir que des salariés sont présents neuf heures par jour, cela pourrait, peut-être, nous permettre de couvrir une amplitude horaire plus grande », remarque Pierre Feneyrol.

Surtout, le dispositif n’a pas vocation à être généralisé. A la CNAV comme à l’Urssaf, on souligne que le dispositif ne peut pas être efficace sans s’inscrire dans un projet du salarié. « Il n’y a pas de durée optimale du temps travaillé pendant la semaine, soutient Andrea Garnero, économiste du marché du travail à l’Organisation de coopération et de développement économiques. Dès lors, cela peut être intéressant pour l’organisation et pour le salarié de donner la possibilité de choisir une certaine flexibilité. » Le chercheur cite notamment l’exemple allemand, où les syndicats négocient de travailler plus ou moins selon les phases de vie. Une autre manière d’adapter l’organisation au rythme de chacun.


Les chiffres

79 %

C’est la part des agents du secteur public favorables à l’établissement de la semaine de quatre jours, comme compensation pour ceux qui ne peuvent pas télétravailler, selon une enquête OpinionWay pour Le Sens du service public.

56

C’est le nombre d’entreprises du Royaume-Uni, sur les 61 ayant expérimenté la semaine de quatre jours pendant six mois, qui souhaitent pérenniser le dispositif sans perte de salaire et avec une baisse de 20 % du temps de travail hebdomadaire, selon une étude réalisée par l’université de Cambridge, avec le Boston College.
65 %

C’est la baisse de l’absentéisme dans ces entreprises, où le nombre de candidatures a augmenté de 88 %, selon cette même étude.


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