lundi 24 avril 2023

« La Folie art brut », sur Arte, invite à faire tomber les cloisons et les clichés

Par   Publié le 23 avril 2023

En donnant la parole aux créateurs contemporains, le réalisateur Simon Backès met en évidence le foisonnement esthétique, au-delà du trouble mental de nombre d’artistes. 

Hans-Jörg Georgi, à l’Atelier Goldstein de Francfort (Allemagne).

ARTE – DIMANCHE 23 AVRIL À 17 H 25 – DOCUMENTAIRE

Tant d’étiquettes ont été accolées à l’art brut : art des fous, des autodidactes, outsider art… L’un des grands mérites du documentaire de Simon Backès, La Folie art brut, est de réinterroger ces vocables, forcément réducteurs ou fourre-tout, auprès de collectionneurs, de galeristes, etc. Surtout, le réalisateur donne la parole à des artistes vivants – Julius Bockelt, Jill Galliéni, Marilena Pelosi, George Widener… – et c’est avec ce dialogue entre experts et créateurs contemporains que s’affûte la réflexion, au-delà des catégories esthétiques, mentales.

C’est à Jean Dubuffet (1901-1985) que l’on doit l’expression « art brut » : en 1945, le peintre avait été à l’initiative d’une collection d’œuvres réalisées par des pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques, des détenus, des personnes dites marginalisées, lesquels créaient sans se soucier des codes en vigueur ni de la critique. Une irruption artistique pure que Dubuffet ne limitait pas à l’expression d’une maladie.

Revenant sur le parcours de ces hommes et de ces femmes – notamment celui d’Aloïse Corbaz (1886-1964), qui devint la figure de proue de l’art brut –, le film pose cette question centrale : alors que ces artistes créent de la valeur (en témoigne aujourd’hui l’emballement lors des ventes aux enchères), comment préserver l’authenticité de leur démarche, tout en leur permettant de tirer parti de leur travail ?

Irruption du marché de l’art

Quelques entretiens bien choisis permettent de saisir les enjeux, passés et présents : Bruno Decharme, grand collectionneur qui a donné l’intégralité de son trésor, en 2021, au Centre Pompidou, à Paris (921 œuvres de 229 auteurs), retrace l’inéluctable irruption du marché de l’art, et souligne l’« ironie » de l’histoire, la plupart des créateurs ayant vécu « dans des conditions terribles ». Le galeriste parisien Eric Gauthier (Le Moineau écarlate, dans le 20e arrondissement) évoque l’histoire de l’artiste Hassan, d’origine sénégalaise, qu’il découvrit en 2009 à Barcelone : il vivait dans la rue et récupérait le bois de caisses de vin pour y dessiner des maisons, très graphiques, dont la cote s’envola après sa mort, en 2012.

L’une des initiatives fécondes fut la création de l’Atelier Goldstein, à Francfort (Allemagne), lequel accueille en résidence des artistes issus de lieux psychiatriques : il fallait absolument les en faire sortir, car ils n’avaient guère la possibilité de s’y exprimer, explique sa fondatrice, Christiane Cuticchio. La caméra capte les portraits flottants de Perihan Arpacilar, les avions de papier de Hans-Jörg Georgi, la chorégraphie de lignes dessinées par Julius Bockelt, en écho aux vibrations que le jeune homme entend.

Le foisonnement esthétique rend caduque toute tentative de définition. Jill Galliéni, ancienne gardienne du Musée national d’art moderne de Paris, raconte comment elle a commencé à transcrire sur des carnets, d’une écriture indéchiffrable, les « prières » qu’elle adressait mentalement à une sainte ; Marilena Pelosi s’installe devant sa feuille blanche, dans le calme, pour que ses femmes bourreaux et victimes jaillissent de son inconscient, dit-elle ; George Widener, atteint du syndrome d’Asperger et rendu célèbre par ses toiles remplies de chiffres et de dates, résume ainsi le débat : « J’espère qu’on voit en moi plus qu’un autiste surdoué du calendrier. »

La Folie art brut, documentaire de Simon Backès (Fr., 2020, 52 min). Sur Arte.tv jusqu’au 21 juin.


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