samedi 1 avril 2023

Fin de vie : « Le chantier est immense et nécessite de se pencher sur le problème du grand âge avant de légiférer sur l’aide à mourir »

Publié le 30 mars 2023

TRIBUNE

Le professeur de médecine Gérard Reach invite, dans une tribune au « Monde », à ne pas se tromper de priorité au moment où s’engage une réforme de la loi Claeys-Leonetti et recommande de s’attaquer, en urgence, aux questions liées à la perte d’autonomie.

Lors de la discussion au Sénat du projet de loi sur les retraites, certains parlementaires ont fait valoir qu’il aurait mieux valu se pencher d’abord sur le problème du grand âge que sur l’avenir de la retraite. Au moment où se pose la question de légiférer sur l’aide à mourir, on peut faire la même remarque. Certes, retarder l’âge de départ à la retraite a mis vent debout une majorité de Français, alors qu’une nouvelle loi destinée à remplacer le cadre actuel sur la fin de vie (loi Claeys-Leonetti de 2016) semble avoir l’assentiment d’un large pourcentage de nos concitoyens – ce qui pourrait plaider en faveur d’un nouvel acte législatif sur ce deuxième sujet. Certes, celui-ci aura été précédé par une consultation populaire sous la forme d’une convention citoyenne qui semble se prononcer pour l’acte de légiférer. Cependant, le principe même de cette convention et la manière dont elle a été conduite ont récemment fait l’objet de critiques publiées dans la presse.

La multiplicité des tribunes sur le sujet en démontre la complexité, et le travail législatif aura à démêler les arguments de ceux qui sont en faveur d’une légalisation de l’assistance au suicide, et éventuellement de l’euthanasie, de ceux qui s’y opposent : les arguments des deux bords sont entendables. Mais, avant ce travail législatif, il y a la décision même, par les plus hautes autorités de l’Etat, de faire un projet de loi, et c’est ici que revient la question : quelle loi ? On peut en effet se demander si engager un projet ou une proposition de loi sur la fin de vie ne masque pas la question plus générale de l’autonomie altérée du fait du handicap, de la maladie ou du grand âge. Pis, ne risque-t-il pas de conduire à retarder une réflexion législative sur ce sujet ? Or cette réflexion, pour des raisons démographiques, doit être considérée comme une urgence.

Principe de justice

Si l’ambition de mieux compenser la perte d’autonomie a été affirmée lors de chacun des trois quinquennats précédents, elle n’a jamais été sérieusement mise en œuvre, sans doute en partie du fait la pandémie de Covid-19 qui a retardé bien des projets. Une telle ambition ne devrait-elle pas conduire enfin à un acte législatif nécessaire à notre pays, et qui marquerait le quinquennat actuel ? Le chantier est immense, et nécessite d’aborder les conditions de « la fin de la vie », avant d’aborder les moyens de la « fin de vie ». Une fin de la vie qui soit humaine, c’est-à-dire essentiellement qui se passe en respectant les quatre principes éthiques de bienfaisance, de non-maltraitance, de respect de l’autonomie et surtout de justice. Incidemment, on remarquera qu’une des critiques du projet de loi sur les retraites est liée au fait que nos concitoyens n’ont pas été convaincus par l’argument qu’elle était compatible avec une meilleure justice.

Parmi les multiples dossiers du chantier d’un plan « grand âge », il faut se poser la question de savoir où l’on veut finir sa vie, et comment faire en sorte que cela soit possible, quel que soit le niveau social. Si, à nouveau, on écoute les Français, ceux-ci disent en majorité qu’ils souhaitent mourir à domicile – ce qui, de fait, n’est pas le cas de figure le plus courant. Pour mourir à domicile, il faut avoir vieilli à domicile et en avoir les moyens. Cela devient très difficile lorsque surviennent des maladies entraînant un déclin de l’autonomie des personnes. A l’évidence, une réflexion sur les moyens nécessaires à l’aide à la personne dépendante, impliquant les infirmières et aides-soignantes en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les auxiliaires de vie pour les personnes restées chez elles, devient une urgence absolue si on veut rendre attractifs ces métiers admirables – faute de quoi nous aurons bientôt à payer cher le déclin des recrutements face à une population vieillissante.

La maîtrise des soins palliatifs

Par ailleurs, toujours en ayant en mémoire le principe de justice, il faut admettre que rester à domicile lorsqu’on est en perte d’autonomie coûte très cher, sans doute encore plus qu’aller en Ehpad. Tous ces aspects seront sans nul doute abordés dans les nombreux chapitres de la proposition de loi « bien vieillir » qui doit être examinée le 11 avril à l’Assemblée nationale. Cette loi vise, enfin, à rendre humaine dans ses multiples aspects la manière de vivre, si possible avec les siens, le reste de son âge. Oui, c’est bien cette loi-là que notre pays attend !

Ce n’est néanmoins pas encore suffisant, et l’on revient alors à la fin de ce « bien vieillir »c’est-à-dire la vraie fin de vie : il faut aussi « bien mourir » – ou le moins mal possible. Cela pose la question de la nécessité de développer à la fois dans l’aménagement du territoire et dans la culture médicale la maîtrise des soins palliatifs. Tous les débats récents sur la légalisation éventuelle de l’aide à mourir ont mis en évidence l’insuffisance de développement des soins palliatifs dans notre pays : ainsi, près d’un quart des départements en sont totalement dépourvus, ce qui crée une insupportable inégalité. Ne faut-il pas aussi légiférer sur ce point ? Ou inclure le « bien mourir » dans le projet de loi « bien vieillir » ?

Alors, quelle loi ? Les moyens en soins palliatifs sont loin d’être accessibles partout dans notre pays, et la loi actuelle sur la fin de vie n’a ni été comprise (combien la connaissent vraiment ?) ni été appliquée faute de moyens. Ne doit-on pas conclure que proposer aujourd’hui une nouvelle loi légalisant le suicide assisté, voire l’euthanasie, reviendrait à se tromper et de loi et de priorité ?

Gérard Reach est professeur émérite de médecine à l’université Sorbonne-Paris-Nord, créateur de l’enseignement d’éthique médicale. Il a publié Pour une médecine humaine. Etude philosophique d’une rencontre (Hermann, 2022).


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