mercredi 5 avril 2023

Face à la fin de vie de leurs patients, paroles de médecins de famille : « Je suis là au moindre signe de détresse »


 



Par   Publié le 01 avril 2023

Peu entendus jusqu’à présent dans le débat sur l’« aide active à mourir », les médecins de famille sont nombreux à accompagner leurs patients dans leurs derniers instants. A la veille de la remise des travaux de la convention citoyenne, dimanche, ils racontent ces moments particuliers où il faut aborder la question de la mort.

Dans le cabinet d’un médecin généraliste, à Gragnague (Haute-Garonne), le 26 février 2021.

« Docteur, je voudrais mourir chez moi » : c’est la demande que tous (ou presque) les médecins de famille ont entendue, de la part de patients vieillissants, malades, en « fin de vie », selon l’euphémisme désormais partagé. Chez des personnes âgées, parfois chez des plus jeunes, à l’annonce d’une maladie.

Une fois le sujet posé dans le secret du cabinet médical, ce sont d’autres questions que ces médecins accueillent : « Docteur, vous m’accompagnerez jusqu’au bout ?  » ; « Vous ne me laisserez pas seul ? » ; « Vous ne me laisserez pas souffrir ? » Rien qui ne les étonne vraiment, eux qui, selon leurs propres mots, se voient autant comme des médecins du « premier » que de l’« ultime » recours. Quand bien même ils n’ignorent pas les statistiques : si autour de 80 % des Français déclarent dans les études d’opinion souhaiter mourir à la maison, un quart le peuvent, selon une enquête « Fin de vie en France » de l’Institut national d’études démographiques en 2015. « C’est ce paradoxe que nous éprouvons, aux côtés de nos patients, dans leurs dernières semaines, leurs derniers jours de vie, souffle une jeune généraliste parisienne sous couvert d’anonymat. Et c’est ça, aussi, qui nous émeut et nous questionne, dans notre exercice, nos pratiques, nos limites… »

La médecine de ville était, jusqu’à présent, restée plutôt discrète dans le débat actuel sur la fin de vie, qui a mis en alerte le monde des soignants. Alors que la convention citoyenne voulue par Emmanuel Macron rendra ses travaux très attendus sur une possible évolution de la loi Claeys-Leonetti de 2016, dimanche 2 avril, le Collège de la médecine générale, réuni en congrès du 23 au 25 mars, a esquissé un pas en avant : l’instance a appelé à poser la question, « légitime », de permettre l’accès, pour certains patients et dans une procédure bien définie, au suicide médicalement assisté.

« Cadre protecteur »

« Pour que notre devoir d’accompagner dignement jusqu’au bout nos patients puisse se faire dans les meilleures conditions de respect du patient et de ses désirs, nous avons besoin d’un cadre clair, protecteur aussi bien pour le patient que pour sa famille et pour les professionnels », a fait valoir Sylvain Bouquet, vice-président du bureau exécutif du Collège, durant la conférence de presse inaugurale. Un groupe de travail spécifique a été formé dans la foulée. « La démarche engagée au niveau politique et citoyen a contribué à libérer la parole parmi les médecins, analyse le docteur Bouquet. Il faut profiter de ce moment opportun, dans nos rangs, pour ouvrir encore la réflexion. »

Voilà pour la contribution au débat. En pratique, c’est un autre « moment opportun » dont témoignent les généralistes : celui qui doit leur permettre de poser des mots sur la mort, quand il est possible de l’anticiper, et sur les fameuses « directives anticipées » créées par la loi en 2005 et renforcées en 2016 – la loi Claeys-Leonetti les ayant rendues opposables à la décision médicale, à de rares exceptions près.

Une étude remontant à 2012 faisait état de 2,5 % de Français en fin de vie ayant rédigé ces directives. « Des données plus récentes attestent d’une appropriation croissante, mais la France reste parmi les pays aux taux les plus faibles d’Europe », rapporte Clément Guineberteau, médecin et enseignant-chercheur à la faculté de santé d’Angers. En 2018, il a mené des entretiens avec des généralistes : « Le recueil et l’aide à la rédaction des directives anticipées sont évoqués par ces médecins comme une mission inhérente à leur rôle. Mais, en dehors des situations particulières de fin de vie, ils identifient assez difficilement le moment adéquat pour en parler, et jugent plutôt au cas par cas », en a-t-il retenu.

« Lien privilégié »

« Faut-il déjà parler de la “fin” quand le patient va bien ? N’est-il déjà pas trop tard quand le patient va mal ? Je crois qu’il n’y a pas de bonne réponse ou de bonne méthode, souligne Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants, mais qu’il faut faire au cas par cas. C’est souvent plus naturel, peut-être, de se saisir du sujet quand il vient du patient et le préoccupe déjà. Le cheminement avec le médecin est, alors, partagé. »

« “Hors de question que je sois réanimé” : les directives anticipées chez mes patients âgés peuvent se résumer à ça, témoigne Margot Bayart, qui exerce dans le Tarn depuis trente ans. Mais certains ont du mal à en parler. Alors j’y vais pas à pas, pour ne pas les brusquer : comment envisagez-vous les choses ? Quel est votre projet ? Avez-vous une personne de confiance ? » Des questions à renouveler « aussi souvent que possible », précise celle qui est aussi vice-présidente du syndicat MG France. Parce que les directives peuvent rapidement être « obsolètes », quand l’état de santé se dégrade, mais aussi parce que la demande peut évoluer. Ou pas.

« Qu’un patient me dise “je ne veux pas d’acharnement thérapeutique”, ou, au contraire, “je veux que vous tentiez le tout pour le tout”, les deux positions sont cruciales à respecter pour moi », témoigne M. Bouquet, qui exerce en Ardèche. En libéral, mais aussi dans un hôpital, où il accompagne « jusqu’au bout » ceux de ses patients dont l’hospitalisation s’impose ou est privilégiée. « Quel que soit le sens de la demande, elle joue comme un déclencheur, raconte-t-il. Je sais qu’à partir de là je vais me rendre disponible, jour et nuit, pour le patient comme pour ses proches. Ce sont des jours, des heures où l’expression “médecin de famille” prend tout son sens. »

Philippe Marissal, à la retraite après avoir exercé quarante ans – dont trente-cinq en Ehpad – dans l’Ain, continue de parler au présent de ces moments et de ce « lien privilégié », tant ils ont compté : « Je donne mon numéro de téléphone portable. Je suis là au moindre signe de détresse. Je ne veux pas qu’un autre médecin puisse se déplacer et décider d’une hospitalisation, si mon patient ne le veut pas. J’ai passé un contrat moral avec lui. Lorsque vous suivez quelqu’un depuis dix, vingt, trente ans, il y a un deuil à préparer, pour le médecin aussi. Je veux être là pour signer le certificat de décès, pour fermer les yeux. Et faire mes adieux. »

« Piquez-moi ! »

Ces médecins le soulignent : ils ne sont pas seuls – ou rarement – quand arrive le moment de la « bascule » pour le patient des soins curatifs aux soins dits de confort. Avant ça, en milieu hospitalier – quand un suivi à l’hôpital a eu lieu –, une « consultation d’annonce » a souvent été organisée, avec les spécialistes référents. Après ça, pour le maintien à domicile, les soignants vont œuvrer « en équipe » avec des infirmières, des professionnels de l’hospitalisation à domicile et/ou des unités de soins palliatifs.

Des « fins apaisées », ces généralistes en ont connu. Des « fins difficiles », aussi. « Piquez-moi ! On pique bien les animaux ! », fait partie des phrases qu’ils ont parfois entendues. « C’est rare, mais quand ça arrive, j’explique pourquoi je n’ai pas le droit de le faire, reprend Margot Bayart. Et j’explique aussi ce que je peux faire : une sédation profonde jusqu’au décès. J’ajoute que la procédure est collégiale, que ça prendra un peu de temps. Le temps, pour mon patient, de se préparer. Cela peut l’aider à retrouver une forme de sérénité. »

Cette « sédation profonde et continue jusqu’au décès », introduite par la loi en 2016, semble très peu mise en pratique, selon le rapport de la mission d’évaluation parlementaire de la loi Claeys-Leonetti, remis mercredi 29 mars. Les députés y font état d’une « réticence » chez certains soignants à la pratiquer, mais aussi d’un sentiment d’« hypocrisie », sur le terrain, face à ce geste médical qui ne s’apparente pas officiellement à une « aide active à mourir », mais revient à plonger le malade dans l’inconscience jusqu’au décès.

« Ils ressentent quoi, nos patients, une fois endormis ? Il se passe quoi, si je pousse un peu plus la seringue ? Ces questions-là n’ont pas de réponse claire », reprend Philippe Marissal. Le 24 mars, il a introduit et modéré une conférence du congrès des généralistes. Son thème : « L’euthanasie, un soin ultime en Belgique, vingt ans après la loi de dépénalisation ». La salle était pleine à craquer ; le public, plutôt jeune. Au terme de la séance, beaucoup de médecins ont fait part de leurs inquiétudes quant à une possible évolution du cadre légal : « Quel regard, quelle réponse apporterait-on, demain, aux personnes âgées dépressives ? » « Comment articulerait-on l’aide active à mourir et les soins palliatifs ? » Ou encore : « Le travail de deuil se ferait-il plus facilement ? »


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