mercredi 12 avril 2023

Chronique «Aux petits soins» «Un sentiment de vide, de flou, de panique» : paroles de soignants non vaccinés

par Eric Favereau   publié le 11 avril 2023 

Avec leur retour prochain dans les institutions de santé, la parole des personnels ayant refusé la vaccination contre le Covid-19 se fait jour. Le sociologue Frédéric Pierru a recueilli des centaines de témoignages à l’occasion d’une étude sur le sujet. 

Ce sont des témoignages que l’on a du mal à entendre, des mots qui décrivent une impasse. Certes, on peut se dire que ces personnels soignants qui n’ont pas voulu se faire vacciner contre le Covid l’ont bien cherché, il n’empêche, les voilà isolés, perdus, sans emploi : «Je travaille depuis 1984. J’ai commencé comme infirmière pendant sept ans à Paris. Après une formation de puéricultrice, j’ai travaillé deux ans en pédiatrie. J’ai travaillé en protection maternelle et infantile, j’ai été responsable de la pouponnière de mon département pendant trois ans. Je me suis formée régulièrement à la protection de l’enfance. J’ai également fait un DU en psycho-patho du nourrisson, et je me suis formée à la psychothérapie. Je fais partie des soignants mis au pilori pour avoir refusé de se faire vacciner contre le Covid-19.» Et cette femme de 63 ans, courageuse et déterminée, ne comprend pas : «Je vis cette situation comme une grande violence, violence qui a eu des conséquences sur ma santé. Jamais de ma vie je n’aurais imaginé vivre une telle expérience traumatisante, une telle maltraitance. J’ai cherché du travail, mais à mon âge, c’est difficile. Je vis actuellement sur un petit pécule que m’a laissé mon père à son décès, mais mes économies fondent comme neige au soleil.»

Aujourd’hui, il semble que la parenthèse va se refermer. Les personnels soignants non vaccinés vont pouvoir reprendre leur activité de soins, après que la Haute Autorité de santé (HAS) a décidé, le 30 mars, de proposer de lever l’interdit pour ceux qui avaient refusé de se faire vacciner contre le Covid – proposition aussitôt reprise par le ministre de la Santé, François Braun. Mais ce retour fait aussi polémique. De nombreux médecins comme des sociétés savantes s’en sont ouvertement agacés, se plaignant non seulement de son caractère symboliquement négatif vis-à-vis de la vaccination, mais aussi de risques cliniques car, «quoi qu’on en dise, le vaccin non seulement diminue fortement le risque de formes graves, mais il diminue aussi le risque de contamination», comme nous le rappelle un membre de la HAS.

«C’est une situation ubuesque»

Malgré tout, c’est la fin d’un épisode. Le sociologue Frédéric Pierru y travaille. Il termine une étude sur les soignants qui ont refusé la vaccination, reçoit des centaines de témoignages. Avec son autorisation, en voilà quelques-uns. «Bonjour, je suis infirmière, j’ai 58 ans, et je travaille dans une clinique privée au bloc opératoire. J’ai eu le Covid fin août 2021. Cela m’a permis de travailler jusqu’en février 2022, où j’ai été suspendue. J’ai à nouveau eu le Covid en novembre 2022, et j’ai pu reprendre, ce qui a fait neuf mois de suspension. Je suis en invalidité 2, donc je touchais mon allocation mais j’avais très peur qu’on me la supprime. J’ai demandé un arrêt de mes remboursements d’emprunt de maison durant six mois, mais j’ai dû demander à mes parents de m’aider financièrement, d’autant que je suis parent isolé avec un enfant étudiant à charge… Je cherche donc des petits boulots ne demandant aucune formation, dans l’agriculture ou autre… C’est une situation ubuesque. Psychologiquement, c’est très difficile à vivre. Je me sens paria, et je suis très angoissée pour mon avenir et celui de mon enfant : vais-je arriver à financer la fin de ses études ? Depuis novembre, je suis à découvert à partir du 20 du mois, ce qui ne m’est jamais arrivé de toute ma vie, c’est très angoissant. Vu mes antécédents, je suis d’autant plus inquiète des conséquences de ce stress sur ma santé. J’oublie probablement d’autres conséquences, mais cela impacte durement ma vie actuelle et les implications sur mon futur sont multiples, à commencer par ma pension de retraite.»

«Je le mérite, je n’ai plus rien !»

Ou encore ce récit de cette aide-soignante suspendue depuis dix-huit mois. «Après un sentiment de colère, c’est l’abandon et un sentiment de vide, de flou, de panique qui s’est emparé de moi. Du jour au lendemain, plus de salaire, pas de chômage, des factures, un loyer, 1 100 euros à trouver tous les mois pour payer mes charges fixes. Mes fils… les repas, l’école, les fournitures, les vêtements, tout est devenu un combat. Très vite, mon moral est tombé au plus bas. Après une expérience de travail au black, où j’ai fait des ménages et des gardes d’enfant auprès d’un homme qui a disparu sans me payer, finalement on m’octroie un RSA et des allocations logement… 750 euros. Je me suis isolée de ma famille, de mes amis et me suis vu prescrire un traitement antidépresseur et anxiolytique. Puis, après des mois de recherche, je trouve une formation qui me plaît, une reconversion qui me motive, mais là mon compte de formation est gelé. Aujourd’hui, je suis désespérée, seule, dans l’incapacité financière de me payer la formation qui me plaît. Je suis endettée. Je n’arrive même plus à passer en voiture devant l’hôpital, traumatisée par l’inhumanité de mes pairs, de mes chefs, de la direction, qui m’ont tous du jour au lendemain littéralement abandonnée, laissée sur le bord de la route, sans rien. Quand tous me félicitaient de mes qualités professionnelles… C’est vraiment dur, cruel, injuste. Je ne vois vraiment pas comment me sortir de cette impasse. La réintégration me fait paniquer. Ma reconversion est devenue un rêve mais ce projet est irréalisable seule. Poser une dispo ? Pour quoi faire ? Démissionner ? Pour quoi faire ? Caissière ? Manutentionnaire ? Pour un smic et des contrats de 26 heures ? Mais qu’au moins on me facilite la reconversion ! Je le mérite ! Je n’ai plus rien ! C’est si long ! Je n’arrive pas digérer tout ce que j’ai perdu, je me sens punie, bannie, salie, piétinée. Je suis triste pour moi, pour mes enfants, quel exemple suis-je devenue pour eux aujourd’hui ?»

Tous vont reprendre du service. Certains craignent que la cohabitation se passe mal entre les vaccinés et les non-vaccinés. D’autres non, attendant leur retour avec soulagement dans des services en mal chronique de personnel.


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