jeudi 9 mars 2023

Mineures mariées de force aux États-Unis : “Les Américains n’ont pas conscience de l’ampleur du phénomène”

Par  Carole Lefrançois  Publié le 06 mars 2023 

La journaliste Valérie Cantié est partie pour France Inter à la rencontre de quelques-unes des trois cent mille Américaines mariées de force ces vingt dernières années, en toute légalité. Entretien.


Dans 80 % des cas, les fillettes sont livrées à des hommes adultes. Mais de puissants lobbys, au nom de la liberté individuelle, déjouent toute tentative de modifier les lois.

Dans 80 % des cas, les fillettes sont livrées à des hommes adultes. Mais de puissants lobbys, au nom de la liberté individuelle, déjouent toute tentative de modifier les lois.  Photo Gabriel Bouys/AFP



Cest le secret le plus honteux des États-Unis : trois cent mille enfants y ont été mariés de force en moins de vingt ans.Ces mariages de mineures sont légaux dans quarante-trois des cinquante États du pays, et sans aucune limite d’âge pour neuf d’entre eux, comme en Californie, pourtant réputée progressiste. Valérie Cantié a enquêté sur la côte Ouest pour Interception, le magazine de la rédaction de France Inter. Un reportage fort où elle recueille les témoignages bouleversants de jeunes victimes d’abus sexuels, livrées en pâture dans 80 % des cas à un homme adulte, et ainsi poussées par leurs parents, leur communauté religieuse ou leur milieu social à une union qu’elles ne désiraient pas. La journaliste revient sur les dessous d’une formalité administrative dévastatrice, qui se suffit du consentement des parents et de l’approbation d’un juge pour sceller le sort de jeunes filles en moins de cinq minutes.


Pourquoi le mariage des moins de 18 ans n’est-il interdit que dans sept États sur cinquante aux États-Unis ?
À cause de puissants lobbies, dont l’Union pour les libertés civiles, qui défend avec acharnement les libertés individuelles. Les représentants de cette dernière ont refusé de me parler. Par ailleurs, les Américains ne s’intéressent pas au sujet, ou n’ont pas conscience de son ampleur, pensant que cela ne concerne que des religions marginalisées, comme celle des Amish.

Vous avez rencontré une militante qui fut mariée enfant, et raconte la difficulté de faire prendre conscience aux élus de leur responsabilité dans ce type de situation…
En 1986, à Sacramento, Dawn, elle, a été obligée d’épouser l’homme qui la violait depuis deux ans. Elle était alors enceinte, avait 13 ans, et lui, 32. Le mariage avait eu lieu pour éviter à cet ami de la famille une peine de prison, et aux parents d’être poursuivis pour négligence, mise en danger et abandon d’enfant. Et puis aussi pour échapper à l’avortement et au déshonneur. Ce type d’union protège le prédateur, aucunement l’enfant.

Alors quelles sont les issues pour ces jeunes mineures, une fois mariées ?
Elles sont piégées et n’ont pas la possibilité de demander le divorce car elles dépendent d’un tuteur légal, leur mari. À 16 ans, Dawn s’est enfuie avec ses deux enfants, « les fruits du viol », comme elle les appelle. Aucun refuge n’a accepté de l’accueillir, elle était considérée comme fugueuse. En général, et même si elles subissent des maltraitances, ces jeunes filles sont reconduites chez elles par la police. Une situation impossible.

Le mariage des mineures aux États-Unis, dans Interception, sur France Inter. Réalisation : Charles de Cilla. 47 mn.


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