mercredi 29 mars 2023

Maison nationale de l’autisme : «Dans la détresse collective, où pouvait être l’urgence ?»

par Elsa Maudet   publié le 2 avril 2023

Ce lieu, qui ouvre bientôt en Seine-Saint-Denis, doit devenir la référence en matière d’informations fiables sur les troubles du spectre autistique. Mais ce projet d’Emmanuel Macron s’est construit sans les acteurs de terrain, qui mettent en doute sa pertinence.

Après deux reports, la Maison nationale de l’autisme va enfin ouvrir ses portes – le 11 avril, selon nos informations. Le président de la République devrait s’exprimer sur le sujet en début de semaine prochaine, dans la foulée de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, qui se tient ce dimanche 2 avril. «Je souhaite que nous puissions créer une maison qui sera le lieu de ressource pour les familles encore trop souvent désemparées», avait déclaré Emmanuel Macron le 11 février 2020, lors de la Conférence nationale du handicap. Trois ans plus tard, donc, ce vœu se matérialise. Non sans critiques.

La Maison nationale de l’autisme va prendre ses quartiers à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et sera gérée par trois entités : le Groupement national des centres ressources autisme, le centre ressources autisme d’Ile-de-France (Craif) et la plateforme d’écoute Autisme Info Service. Son but : proposer aux personnes atteintes de troubles du spectre autistique, à leurs familles, aux associations et aux professionnels des ressources sur le sujet. Un patron qui souhaite embaucher une personne autiste mais a besoin de conseils pour l’accompagner au mieux, un médecin généraliste qui désire mieux repérer les enfants concernés dans sa patientèle ou une association qui veut développer un projet innovant devront pouvoir y trouver des réponses à leurs questions et un accompagnement.

Le lieu se veut centralisateur d’informations fiables sur ce trouble du neurodéveloppement qui fait l’objet, depuis des décennies, de batailles idéologiques et d’une profusion d’informations face à laquelle les familles se trouvent souvent démunies. Les formations et conseils seront ainsi en accord avec les recommandations de la Haute Autorité de santé, et seront accessibles tant sur place que sur Internet, le projet ayant vocation à avoir une portée nationale. «On est là pour faire profiter des moyens qu’on a à tous les acteurs qui sont impliqués dans la question de l’autisme», revendique Marie Schuster, directrice du Craif. Il n’est en revanche pas question de diagnostic ni d’accompagnement médical ou médico-social.

«On n’avait pas le choix»

«Le milieu de l’autisme est très fragmenté, les acteurs sont isolés, il y a des centaines d’associations, des centaines d’aides, donc plein de gens ne savent pas à quelle porte taper. C’est absurde, il faut qu’il y ait un seul endroit où aller quand vous avez un problème», juge Florent Chapel, coprésident d’Autisme Info Service. Avec cette maison, la plateforme d’appel voit ses moyens renforcés, passant de quatre à huit répondants, et pourra élargir ses horaires d’écoute. Le Craif gagne, lui, trois postes afin de pouvoir accueillir les Franciliens en quête de renseignements.

Ça, c’est pour le positif. Mais le projet fait grincer de nombreuses dents. D’abord, parce que personne ne l’avait demandé. Ni les centres de ressources autisme ni les associations. «On nous a fait comprendre que c’était une idée du président de la République et donc qu’on ne pouvait pas s’y opposer, qu’on n’avait pas le choix, dénonce Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France. On ne comprend pas pourquoi on a fait dans notre dos, contre notre avis, un truc coûteux, complètement inutile.» La Maison de l’autisme bénéficie d’un investissement de 3,1 millions d’euros : 1,8 million venant de l’Etat, 1 million des départements franciliens, via le Fonds de solidarité et d’investissement interdépartemental, et 300 000 de la région.

La version bêta du site, pourtant censé être le garant de la fiabilité des informations, a fait hurler ceux qui y ont eu accès. «Il n’y avait que des âneries. Une définition pas à jour, des informations pas actualisées, une représentation fausse et désinvolte de l’histoire de l’autisme… Un tas de faits réduits à leur plus simple expression et tous mis sur le même plan alors qu’on a souffert depuis cinquante ans d’erreurs monumentales faites sur l’autisme», souffle Danièle Langloys. Le contenu a depuis été modifié.

«Sans doute un peu de la com»

Surtout, l’incompréhension règne quant à la décision d’ouvrir un lieu de ressources quand enfants comme adultes peinent à être diagnostiqués, et quand les professionnels manquent… «Dans la détresse collective, où pouvait être l’urgence ?» s’agace Danièle Langloys. «C’est un pognon de dingue qui sert à financer des murs, tacle, quant à elle, Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone de femmes autistes. Les lois ne sont pas appliquées, les recommandations de l’ONU et des droits humains ne sont pas respectés, il faudrait peut-être déjà commencer par là. L’argent n’est pas mis au bon endroit.» Elle regrette que la question des violences sexuelles à l’encontre des femmes autistes, dont elle a fait son combat, ne soit pas érigée en priorité, alors que 90 % disent en avoir été victimes.

Pas plus informée que les autres en amont, l’Unapei a fini par être conviée à des ateliers, mais n’a pas jugé bon d’y participer. «On est soumis à de telles difficultés sur le terrain qu’on s’est dit que c’était sans doute un peu de la com», indique Sophie Biette, vice-présidente de la fédération de défense des personnes handicapées, référente sur l’autisme. Elle cite l’exemple, en Loire-Atlantique, d’une adolescente de 16 ans, «en décompensation, enfermée vingt-deux heures sur vingt-quatre au fond d’un hôpital psychiatrique. Ça fait dix-huit mois qu’on se bat pour qu’elle sorte, on n’y arrive pas parce qu’on n’a pas de dispositif pour l’accompagner. Les millions d’euros, on aimerait qu’ils servent à monter des unités pour faire cette transition». Elle précise tout de même : «Maintenant que la Maison de l’autisme va ouvrir, on va essayer d’en profiter.»

Sandrine Sonié, pédopsychiatre et directrice du Centre de ressources autisme Rhône-Alpes, le reconnaît : en découvrant le projet, elle a eu la même réaction que les associations. «Mais avec le recul, je me dis que ça va nous aider. On avait besoin d’un lieu fédérateur. Ça ne viendra jamais combler les besoins des personnes et des familles mais il faut faire en sorte que ce qui est investi maintenant serve pour le reste», plaide-t-elle. A quelques jours de l’ouverture des portes, les acteurs de la Maison de l’autisme prônent l’humilité. «On va apprendre en marchant», termine Florent Chapel.


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