mardi 14 mars 2023

La crise du nursing au Québec Jean-Claude Bernatchez

JEAN-CLAUDE BERNATCHEZ  le 13/03/2023

L'auteur de cette lettre estime que pour régler la pénurie d’infirmières, les Québécois doivent impérativement être informés des beautés du métier et non d’une litanie de difficultés.

POINT DE VUE / Jusqu’à la Révolution tranquille de Jean Lesage des années soixante, le modèle nursing est fondé sur le don de soi et un salaire de subsistance. Dirigées par des communautés religieuses, les écoles d’infirmières étaient intégrées aux établissements de santé. À un certain stade de sa formation, reconnue par les religieuses pour son mérite, la jeune dame était alors «sacrée» infirmière.

La crise du nursing provient d’abord d’une pénurie d’infirmières alors que le vieillissement de la société augmente la demande de soins. Les ressources humaines sont donc abondamment sollicitées car les soins de santé se prêtent peu à la robotisation. Or, les jeunes ne voient pas suffisamment les avantages du métier car nulle autorité n’est vraiment parvenue à les faire connaître dans l’opinion publique.

La grève générale des hôpitaux de l’été 1966 entraîne la mise en tutelle des communautés religieuses jugées financièrement trop pauvres pour satisfaire les exigences syndicales. Ainsi, de 1966 à 1972, les conditions de travail des infirmières seront largement bonifiées par une échelle salariale nationale, un mois de vacances après un an de travail, une sécurité d’emploi après deux années de service dans un poste et un régime de retraite.

La Loi sur les infirmières et les infirmiers est adoptée en 1973. Les infirmières s’approprient un champ d’exercice exclusif constitué de 17 activités allant de la vaccination aux mesures d’isolement des patients en passant par l’administration des médicaments selon l’ordonnance médicale. Le système des actes professionnels exclusifs, qu’il s’agisse du nursing ou d’une autre profession, est rigide. Faute de mobilité interprofessionnelle, l’hôpital doit annuler les traitements.

À la rigidité corporatiste précitée s’ajoutent les frontières syndicales. Un syndicat contrôle lui aussi un champ d’exercice. Les tâches sont décrites dans les conventions collectives. En fonction d’un principe de représentation fondé sur la propriété du travail, un salarié non infirmier n’est pas légalement autorisé, même s’il en était jugé apte par la direction, à accomplir une activité constitutive de l’acte infirmier. Cette réalité de métier est généralisée en contexte hospitalier.

Le système de santé est donc coincé par diverses exigences: administratives, corporatistes et syndicales. Or, la population québécoise vieillissante amène chaque jour dans les hôpitaux des citoyens davantage malades en nombre plus nombreux. Par conséquent, si rien n’est fait au plan de la flexibilité opérationnelle, il est prévisible que les ruptures de services hospitaliers, déjà observables présentement, se multiplient dans le futur. Vraisemblablement, des Québécois le paieront de leur vie.

Depuis la laïcisation du système de santé il y a maintenant 50 ans, nulle réforme n’a pris soin de faire ressortir la noblesse d’une carrière en santé. Les citoyens n’entendent parler que de problèmes qui, depuis une année ou deux, vont d’une autochtone hospitalisée mal traitée à Joliette à une infirmière suspendue dans un CHSLD de Longueuil pour avoir mangé une «toast» au beurre d’arachide…suspension annulée depuis par Québec.

Environ 70 000 infirmières oeuvrent dans les établissements de santé. La quasi-totalité d’entre elles sont des professionnelles compétentes qui se dévouent sans réserve pour les patients. Pour régler la pénurie d’infirmières, les Québécois doivent impérativement être informés des beautés du métier et non d’une litanie de difficultés. Il s’impose aussi d’intéresser les hommes à la profession car leur participation actuelle se limite à un maigre 14%. Face à la crise du nursing, l’État s’est lancé dans une stratégie de marchés en prônant une valorisation salariale ciblée. Mais la rémunération, considérée en vase clos, est un coup d’épée dans l’eau si l’attrait de la profession demeure faible.

Le réseau de la santé doit projeter une image qui reflète les valeurs qui l’ont fait naître. Évidemment, les salaires doivent être décents. La compétence des ressources est là. C’est le cadre légal qu’il faut assouplir et la communication externe qu’il faut repenser afin d’inciter les Québécois à faire carrière en santé spécialement en soins infirmiers.


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