par Laure Hubidos, Fondatrice de la première Maison de vie, lieu d’accueil, d’accompagnement et de répit pour des personnes gravement malades ou en situation palliative, créée en 2011, à Besançon, et présidente du Collectif national des maisons de vie
publié le 6 mars 2023
Le 9 décembre 2022, la Convention citoyenne sur la fin de vie a été lancée. Elle doit examiner si le cadre actuel de l’accompagnement de la fin de vie est adapté aux différentes situations individuelles ou si d’éventuels changements doivent être introduits. Ce débat a pour objectif de «donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir».
Si officiellement, il n’est pas directement question de se prononcer sur l’euthanasie ou le suicide assisté, cela est sous-jacent. Deux options sont possibles à l’issue de ce débat : soit le maintien de la situation actuelle, sans «aide active à mourir», avec des recommandations pour améliorer les dispositifs existants, notamment l’accès aux soins palliatifs, soit la légalisation de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté.
Enjeu sociétal majeur, la question de la fin de vie ne devrait pas se cantonner à la seule question de l’aide à mourir. Elle devrait être beaucoup plus large. En effet, on peut s’étonner qu’un sujet si délicat et éminemment éthique se résume à un «pour ou contre l’euthanasie». Car évidemment, si l’on questionne les citoyens sur la manière dont ils envisagent leur fin de vie, ils seront majoritaires à dire qu’ils sont pour l’aide à mourir car ils ne veulent pas souffrir et décéder dans l’isolement. Mais ne pouvons-nous pas pousser un peu plus loin cette réflexion méritant bien plus qu’un questionnement binaire ? Il n’y a rien de plus délicat et subjectif que la fin de vie. Dans cette étape ultime, chacun devrait pouvoir être assuré que sa prise charge sera digne, humaine et la plus sereine possible. En outre, la réflexion personnelle sur ce sujet peut évoluer en fonction de notre âge et de notre état de santé et psychologique.
Plus de vingt ans après la loi Kouchner
C’est le rôle des soins palliatifs de garantir cet accompagnement. Mais plus de vingt ans après la loi Kouchner qui en garantissait l’accès, où en est-on vraiment ? Y a-t-il des unités de soins palliatifs (USP) dans chaque département ? Combien de territoires peuvent-ils avoir accès à des équipes mobiles de soins palliatifs ? Les établissements médico-sociaux bénéficient-ils tous de solutions garantissant ces prises en charge ? Nos futurs soignants sont-ils vraiment formés pour la fin de vie de leurs patients ? La réponse est malheureusement non.
Les dispositifs restent encore inégalement répartis sur le territoire national. Plus d’une vingtaine de départements sont dépourvus d’unité de soins palliatifs, et il y a moins de 500 équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) en France. La place des soins palliatifs dans le secteur médico-social et à domicile reste lui aussi encore très inéquitable.
Dans le dernier Plan national (2021-2024), un axe vise à renforcer la place de ces soins dans les structures médico-sociales mais aussi à former et à sensibiliser les professionnels et à renforcer leurs relations avec les équipes expertes. L’enseignement théorique reçu au cours des études médicales (DSEM) a pour objectif l’acquisition de connaissances minimales en soins palliatifs requises pour passer le concours de l’internat (ECN). Mais suivant différentes enquêtes et études, la majorité des internes estiment la formation reçue insuffisante et se retrouvent parfois extrêmement démunis face à la fin de vie.
Marie est revenue à la vie, un cas non isolé
Le vécu de la Maison de vie de Besançon a montré que rien n’est jamais totalement figé. Ni l’état d’esprit de la personne malade ni sa capacité, parfois, à avoir un regain de vie après avoir été proche de la mort. Un exemple, un seul mais si éloquent. Une femme, atteinte d’une tumeur cérébrale avait été adressée à la Maison de vie par des médecins ayant déclaré : «On vous demande de l’accueillir mais, a priori, il ne lui reste plus que quelques jours à vivre.» A son arrivée, Marie (1) était très faible et tout laissait à penser qu’il fallait se préparer à vivre avec elle ses derniers instants. Elle a été prise en charge avec un plan de soins adapté (gestion de la douleur, soins de confort, etc.) et l’équipe lui a prodigué cet accompagnement si important pour les personnes proches de la mort. De jour en jour, Marie est revenue à la vie. Elle a vécu près d’une année à la Maison de vie. Evidemment, elle n’était pas guérie mais ces mois d’existence supplémentaires ont été précieux. Elle a pu renouer des liens avec sa fille et a retrouvé de la joie et la paix intérieure. Et Marie n’est pas un cas isolé.
Nous assistons à une dégradation de notre système de santé. Les soignants sont exténués et l’hôpital est exsangue. Parallèlement, il y a une augmentation des maladies chroniques et un isolement grandissant des personnes vulnérables médicalement parlant. Alors, oui, des adaptations devraient être introduites dans le cadre de l’accompagnement de la fin de vie. Car il est question, en partie, de «cadres» : nos règlements sont rigides et notre système si difficile à faire évoluer que les changements sont extrêmement lents pour ne pas dire impossibles pour certains.
Des structures encouragées mais pas concrétisées
Ce type de structure innovante initié par la Maison de vie de Besançon a fait des émules, et depuis 2017, de nombreux porteurs de projets se sont regroupés autour du Collectif national des maisons de vie (CNDMV). Mais vingt ans après les prémices, les écueils restent les mêmes : les initiatives sont encouragées verbalement par les agences régionales de santé (ARS) mais ne parviennent pas à se concrétiser (même si chacun s’accorde à en reconnaître la nécessité) car les cadres juridiques et financiers ne sont pas adaptés. Ce qui est d’autant plus difficile à comprendre que le coût d’un séjour hospitalier est en moyenne de 1 500 euros par jour (tous services confondus) alors que le prix de journée dans une Maison de vie est de l’ordre de 250 euros par jour. Le calcul est rapide et pourtant…
Le développement de ces lieux alternatifs entre l’hôpital et le domicile, outre d’apporter des solutions d’aval afin de désengorger les services hospitaliers, proposerait des solutions de répit au domicile, favoriserait un accompagnement à dimension humaine, et permettrait également de générer des économies. Mais l’écueil majeur réside dans le fait que ces structures sont à la croisée des champs sanitaire et médico-social. Et n’ont pas de cadre réglementaire propre. C’est toute la difficulté pour leur développement. Lors de sa pérennisation à l’issue de sa période expérimentale, la Maison de vie de Besançon avait un statut d’établissement médico-social d’accueil temporaire. C’est le statut le moins mal adapté qui avait été trouvé. Son financement provenait pour partie de l’ARS (60 %) et du conseil départemental (40 %).
Depuis la création du CNDMV, nous avons été reçus par les ministères successifs. Nous avons mobilisé des parlementaires. Tous nos interlocuteurs affirment que ce type de projet est extrêmement pertinent et répond à un réel besoin. Mais les gouvernements se succèdent, les années passent, et rien n’avance vraiment. Pourtant il y a urgence.
(1) Le prénom a été modifié.
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