lundi 27 mars 2023

Déconstruire les lieux communs sur l’habitat

 




par Eve Szeftel   publié le 26 mars 2023 
Avec «En finir avec les idées fausses sur l’habitat», l’ex-journaliste Catherine Sabbah démonte 70 idées reçues sur l’habitat, des bienfaits de la cuisine ouverte à la mauvaise réputation du logement social en passant par la rénovation thermique ou l’accessibilité de l’espace public.

Dans les trois priorités définies par Emmanuel Macron le 22 mars, le logement est absent malgré la gravité de la crise. Ici, vue sur la résidence Lorilleux, à Puteaux. (ERIC BERACASSAT/Hans Lucas via AFP)

Le logement est complexe au sens d’Edgar Morin : il ne peut être appréhendé que de façon globale tant il est multidimensionnel, touchant aussi bien à l’architecture qu’à la fiscalité, à l’intime qu’au collectif, à la ville qu’à la campagne, au public qu’au privé. Un sujet pris dans les faisceaux d’attentes et de politiques difficiles à concilier. Un sujet social, économique et écologique de premier plan, mais qui fait rarement l’objet de débat public.

Quand Emmanuel Macron a pris la parole le 22 mars pour tenter de reprendre la main, il a ainsi défini «trois priorités» de son action des prochains mois : l’éducation, la santé, et l’écologie. Le logement n’y figure pas, malgré la gravité de la crise sociale actuelle et l’enjeu que représente la décarbonation d’un secteur qui contribue à un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. «A chaque fois, c’est pareil, déplore Catherine Sabbah, c’est un sujet essentiel qui concerne tout le monde mais il n’est pas traité politiquement et avec l’attention dont il devrait bénéficier.»

C’est à la fois pour tenter de pallier cette absence dans le débat politique, et permettre à chacun de s’approprier un sujet «dont tout le monde se croit expert», que la directrice de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal), longtemps journaliste aux Echos, a écrit ce petit livre indispensable : En finir avec les idées fausses sur l’habitat. A travers 68 entrées touchant à tous les sujets, l’autrice de l’Immobilier pour les nuls nous guide de la cave au grenier, et de la chambre au territoire. Petit florilège : «Les HLM, ce sont des ghettos pour les pauvres !» ; «Habiter une maison individuelle, c’est l’avenir !» ; «Le Covid a provoqué un exode urbain» ; «Dans vingt ans, on ne construira plus rien, on ne fera que rénover» ; «Les plus-values immobilières ne sont pas imposables».

«Le Covid a changé la perception qu’on a de son logement»

Le livre n’oublie pas de se pencher sur une dimension essentielle depuis la crise sanitaire, dans la droite ligne des enquêtes menées par l’Idheal pendant et après le confinement : la qualité du logis, et son confort d’usage. «Le Covid a changé la perception qu’on a de son logement : les balcons, le rapport à l’extérieur, ce qu’on peut faire et ne pas faire chez soi, comment on peut travailler», juge Catherine Sabbah. Cela donne des entrées très pratiques : «Une cuisine ouverte, c’est bien suffisant, c’est moderne et c’est désaliénant» ; «Les couloirs, c’est de la place perdue !», ou «Une chambre, cela ne sert qu’à dormir».

Puisant aux sources les plus diverses et récentes, Catherine Sabbah fait le tour de chaque question qu’elle problématise avec talent. Sa grande connaissance du sujet lui permet de se tenir à distance des discours corporatistes – ceux du lobby du BTP, notamment – ou militants. Ce qui ne l’empêche pas d’être engagée : voir le chapitre «Reloger tous les SDF, c’est impossible». Le coliving, nouvel eldorado des investisseurs, mais qui n’est rien d’autre qu’une façon de monétiser cette «sympathique envie de vivre ensemble», en prend pour son grade : «Tous ceux qui rêvaient d’une utopie abordable voient prendre forme un modèle fondé surtout sur la rentabilité, autour de 1 000 euros à Paris pour ce type de chambre “augmentée”.»

Autre exemple d’une de ces fausses évidences qu’on entend souvent en ce moment : «Il manque des logements, il suffit de transformer des bureaux vides.» Pas si simple. Si les bâtiments haussmanniens, situés en ville, renouent assez facilement avec leur origine d’habitation, la plupart des immeubles de bureaux se prêtent mal à une transformation, explique l’autrice. D’abord, ils sont souvent situés dans des zones où personne n’a envie de vivre, en bordure d’autoroute. Ensuite, la transformation d’un grand plateau en plusieurs petits espaces fait perdre de la surface utile. Si l’on ajoute que la TVA n’est pas récupérable, l’opération ne s’avère pas très rentable. Enfin, un dernier obstacle tient à l’urbanisme : des logements, cela veut dire des crèches, des écoles, des équipements publics, etc.

Absence du logement dans les débats : tentative d’explication

Autre exemple : «La ville est un espace public, elle est accessible à toutes et à tous.» Ça, c’est la théorie ! Mais qu’advient-il du «droit à la ville» quand le mobilier urbain n’a plus comme but que «d’empêcher, qu’il s’agisse de la présence, du passage, de la possibilité de s’asseoir, jusqu’au droit de voir» ? Et l’ex-journaliste de regretter que l’espace public soit devenu aujourd’hui payant, «puisque lié à la capacité d’y consommer, soit pour quelques minutes en s’offrant un café, ou pour quelques années en y habitant».

Dans «Le ministre du Logement est un poids lourd du gouvernement», Catherine Sabbah tente une explication à l’absence du logement dans les débats. Peut-être parce que c’est un sujet «difficilement exploitable politiquement : comment, en effet, s’adresser en même temps aux locataires et aux propriétaires […] ; aux urbains et aux ruraux, à ceux pour qui le logement est d’abord un toit et à ceux pour à qui il sert à se constituer un patrimoine ou à payer moins d’impôts ?»

En finir avec les idées fausses sur l’habitat. De la chambre au territoire, aux Editions de l’atelier, 288 pp.

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