lundi 13 février 2023

Procès Johnny Depp-Amber Heard : des mensonges et le soupçon sur toutes les femmes

par Camille Nevers  publié le 12 février 2023

Poursuivie en diffamation par son ex-mari, l’actrice a subi une campagne de désinformation masculiniste et misogyne, visant à discrétiser son témoignage et, plus globalement, la libération de la parole des femmes. C’est ce que démontre «la Fabrique du mensonge», sur France 5.

On s’est trompé de mensonge. C’est ce que démontre par le menu l’épisode de la Fabrique du mensonge diffusé dimanche soir sur France 5, enquête qui revient sur le procès l’an dernier opposant Johnny Depp à Amber Heard, qu’il accusait de diffamation dans les pages du Washington Post, où la comédienne s’élevait contre les violences faites aux femmes sans mentionner son ex-époux. Ce, après un premier procès en 2020 en Grande-Bretagne à l’encontre du Sun, tabloïd qui avait fait cas des coups portés sur Heard par Depp, que ce dernier avait perdu. Les doutes sont levés : Heard disait vrai, puisque c’est de vérité plutôt que d’innocence qu’il est question. L’opinion a été sciemment manœuvrée et retournée contre la comédienne, comme une crêpe 2.0. Les scandales made in Hollywood sont aussi vieux qu’Hollywood, pas de surprise, mais ce qu’Amber Heard a subi, à une échelle hors de proportion, entache la nécessaire vigilance critique, noyée, démissionnaire ou absente. Le hashtag #AmberHeardDeservesAnApology («Amber Heard mérite des excuses»), apparut brièvement en août, trop tard, lors de révélations mettant au jour les turpitudes de Depp et ses avocats. Amber Heard a été calomniée de telle sorte que beaucoup ont cru à la vérité de la cabale, sans se douter qu’ils étaient eux la cible du coup monté. On a pris des contre-vérités pour des informations, des bidouilles pour des faits, on a pensé exercer une liberté de jugement quand des groupes constitués en «réseaux d’influence» ont attaqué la raison. Une nuée brune, l’attaque des mouches.

Fichiers bidouillés

L’émission, reprenant des éléments déjà dévoilés par des voies féministes trop peu relayées, relate la manœuvre pour exterminer Amber Heard menée par des franges de l’extrême droite masculiniste, incels, suprémacistes, gamers – enfants de chœur. Depp est devenu leur héros non parce qu’il a joué dans Edward aux mains d’argent ou Pirate des Caraïbes, mais parce qu’il a frappé une femme. Une alpha célébrité mâle pour tuer, au moins symboliquement, une moindre célébrité femelle (on a voulu faire de Heard une «starlette» alors qu’elle mène sa carrière d’actrice depuis vingt ans), et à travers elle, toutes les femmes qui l’ouvrent. Meute manipulée par Depp et sa défense, le plus que trouble Adam Waldman ayant été en contact avec deux mascus obnubilés par Heard qui mirent en ligne des enregistrements sonores fuités, supposés divulguer l’atroce vérité sur la violence de Heard envers Depp (et pas le contraire, CQFD). Fichiers bidouillés, remontés pour faire tenir un échange de sept minutes en quelques phrases. Des faux.

Bruit du plus fort

Cela nous regarderait donc, ce procès en «mensonge» intenté à Heard par la populace en réseau d’«influenceurs» et de bots, destinés à faire entrer le mensonge dans le tribunal et fausser le verdict. Puisque le grand soupçon porté sur elle fut finalement de «faire son cinéma». C’est ce «point faible» du sexe faible, ça va de soi, qu’a vendu la campagne mascu : Heard faisait son cinéma. Elle a menti, elle ment, elle mentira. Conjuguons : elle a joué, elle joue, elle trompera. Depp est la victime d’une comédienne – et d’une «mauvaise» comédienne donc d’une mauvaise femme. Car elle joue mal, en plus, regardez. Opération d’humiliation basique, se trouver le visage idéal et lui plaquer le mensonge sur les traits, la souiller en filtres insta de carnaval, tout traduire de ses expressions en fourberie, feinte, fausseté, pour finir par parvenir à imposer ce discours que tout, chez elle, est mensonge, parjure et dissimulation. Jeter le discrédit par le ricanement, les mèmes et les vidéos TikTok. Frapper une comédienne du péché originel : jouer la comédie, tenter le diable. C’est là le grand soupçon que met sur tout ce qu’elle touche la misogynie morbide : que toute femme est une comédienne, une menteuse qui a besoin de l’homme pour arriver à ses fins, de notoriété et de vénalité, en commandement mascu qu’elle se «le doit». Une comédienne ment sur tous les tableaux. La femme ment par essence. C’est ce que les bullshiters à l’agenda ciblé de post-vérité répondent à la vérité que #MeToo a portée justement d’abord via le cinéma. La célébrité est un pouvoir supérieur – la popularité comme force de frappe. C’est ainsi que les comédiens masculins restent omnipotents dans les films, aux cachets très supérieurs à leurs équivalents femmes (jamais leurs égales). Ils font ainsi plus de bruit. Le bruit du plus fort. Et contre le bruit des bots, on ne peut pas faire silence, il faut parler haut.

La Fabrique du mensonge : affaire Johnny Depp /Amber Heard, la justice à l’épreuve des réseaux sociaux. Dimanche soir sur France 5 et en replay sur France.tv


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