mardi 21 février 2023

La mort de Béatrice Stambul, psychiatre et pionnière de la réduction des risques


 



Par (Marseille, correspondant)  Publié le 14 février 2023

Militante acharnée de l’accès à la santé pour les personnes stigmatisées ou exclues, la psychiatre intervenait dans les zones de conflit à l’étranger comme dans les quartiers défavorisés de Marseille. Elle s’est éteinte le 8 février, à l’âge de 74 ans.

Béatrice Stambul, lorsd’une mission pour l’ONG Médecins du Monde, date indéterminée.

Jusqu’au bout, Béatrice Stambul a porté ses combats. Malgré la maladie qui l’a emportée, mercredi 8 février à son domicile marseillais à l’âge de 74 ans, cette psychiatre, militante acharnée de l’accès à la santé pour les personnes stigmatisées ou exclues, travaillait toujours à la concrétisation d’un projet qu’elle poussait depuis plus de vingt ans. L’ouverture dans le centre de Marseille d’une salle de consommation à moindre risque pour les usagers de drogue. Une Halte Soins Addiction, nom officiel du lieu, que Béatrice Stambul ne verra pas se concrétiser mais qui lui devra tout.

C’est sur le terrain que cette femme pugnace, dotée d’une énergie inépuisable et d’un verbe vif – « une tornade »s’amusaient ses proches – a conquis sa réputation. La psychiatre, à qui de très nombreuses associations et la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives ont rendu hommage, disait aimer « s’engager dans des situations extrêmes et aller où les autres ne vont pas ». Zones de conflit à l’étranger comme quartiers défavorisés de Marseille.

Pionnière dans le domaine de la réduction des risques pour les usagers de drogue, Béatrice Stambul résumait clairement les bases de son engagement : « Soigner les personnes telles qu’elles sont, sans jugement ni stigmatisation, reconnaître le rôle central et l’expertise des usagers, promouvoir des actions pragmatiques. » « Elle ressentait le besoin absolu de soulager les plus fragiles », complète Pierre Stambul, son frère cadet.

En recevant la Légion d’honneur en décembre 2013, Béatrice Stambul a tenu à rappeler le poids de son histoire familiale dans son parcours personnel. Fille de parents résistants, juifs nés en Europe de l’Est et forcés à l’exil en France, elle disait avoir tiré de cette ascendance une certitude : « Que nos vies devaient poursuivre un combat, démontrer qu’on n’était pas là pour rien. »

A 19 ans, elle participe au soulèvement de mai 1968 à la faculté de médecine de Paris, où elle étudie. Devenue psychiatre, elle pratique à Clermont (Oise) pendant dix ans, avant de s’installer en 1982 dans le Sud-Est, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Au Centre hospitalier Montperrin, où elle fera l’essentiel de sa carrière, cette passionnée d’opéra participe à la création d’une unité spécifique pour autistes adultes. Son activité au sein de l’établissement ne ralentit ni son militantisme ni l’investissement sur d’autres terrains.

« Nous étions avant la loi »

Comme son frère Pierre, porte-parole de l’Union juive française pour la paix, elle défend la cause palestinienne. Parlant six langues, dont le russe et le yiddish, Béatrice Stambul s’engage en janvier 1990 à Médecins du Monde, « sa deuxième famille », et part comme coordinatrice terrain pour l’ONG en Roumanie.

Suivront des missions au Kosovo, en Palestine et en Tchétchénie, où elle est référente pour des programmes de santé mentale. Puis en Birmanie en 2004. Dans cette zone de forte consommation d’héroïne frappée par l’épidémie de sida, Béatrice Stambul pilote un programme de réduction des risques. Car, depuis le milieu des années 1990, la psychiatre est devenue une des voix qui militent pour le développement de cette approche.

L’explosion des contaminations au virus du sida en France dans le milieu des usagers de drogue injectable la pousse dès 1994 à lancer avec Médecins du Monde, un « bus échange de seringues » à Marseille. Ce lieu d’accueil inédit met à disposition, alors sans base légale, du matériel stérile et permet ainsi de freiner la propagation du virus, mais aussi des hépatites entre consommateurs.

« L’urgence sanitaire était là et il nous fallait de nouveaux outils pour agir. Nous n’étions pas hors-la-loi, nous étions avant la loi », expliquera Béatrice Stambul. Plus tard, elle se dira « fière que les actions de terrain aient inspiré la loi d’orientation de santé publique de 2004, faisant de la réduction des risques la politique officielle de la France ».

A Aix-en-Provence comme à Marseille, Béatrice Stambul aura participé à la création de nombreuses structures de soin à destination des usagers de drogue, mais aussi des personnes prostituées, des détenus, des sans-papiers et sans logement. En 1998, elle fait partie des fondateurs de l’Association française de réduction des risques (AFR), dont elle assurera la présidence pendant trois ans. Toujours méfiante à l’égard des promesses du monde politique, elle avait accepté récemment la vice-présidence du conseil de surveillance des hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM). Une autre façon, pour elle, d’aider à l’accès au soin pour tous.


Béatrice Stambul en quelques dates

24 novembre 1948 Naissance à Paris

1982 S’installe à Aix-en-Provence

1990 Première mission pour Médecins du monde en Roumanie

1994 Fonde le bus d’échange de seringues à Marseille, qui deviendra le bus 31/32

1998 Membre fondatrice de l’Association française de réduction des risques

8 février 2023 Décès à Marseille


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