jeudi 23 février 2023

Fera-t-on l’amour après la mort ? Ce qu’en disent les religions

Par  Publié le 14 février 2023

Pour la plupart des religions traditionnelles, le sexe est avant tout lié au besoin de procréation. Mais la question de sa place dans l’au-delà, où cet impératif n’existe plus, n’est pas totalement tranchée. A l’occasion de la Saint-Valentin, « Le Monde des religions » passe en revue les principaux arguments de ce débat torride.

Mosaïque de la réprimande de Dieu dans la haute nef et les bas-côtés de la cathédrale de Monreale à Palerme (Italie).

« On n’a qu’une vie. » La négation de la vie après la mort sonne, parfois, comme un appel à croquer la vie terrestre à pleines dents, y compris en matière de sexualité. « Hélas ! Vous prêchez la patience avec ce qui est terrestre ? C’est le terrestre qui a trop de patience avec vous, blasphémateurs ! », sermonnait Nietzsche, par l’intermédiaire de son porte-parole Zarathoustra, à l’encontre de ceux qui préfèrent se contenir en attendant l’au-delà. Le même Nietzsche pour qui « mépriser la vie sexuelle, la souiller par la notion “d’impureté”, tel est le vrai péché » (L’Antéchrist, 1865).

Mais lorsque l’on croit en un prolongement de l’existence après la mort, que penser ? Epoux et amants continueront-ils à faire l’amour au paradis ? A l’occasion de la Saint-Valentin, voici un petit tour d’horizon des principales traditions.

Qu’en dit la Bible ?

Pour un bon nombre d’entre eux, les juifs et les chrétiens croient en la résurrection des corps, lorsque le Messie reviendra au moment du Jugement dernier. Mais la question de savoir ce que les ressuscités feront de ce corps reste entière.

L’enfer promet pour sa part souffrance et tourments. Quant au paradis, les élus seront assurés de vivre dans la pleine présence de Dieu, en un état de béatitude éternelle. Mais est-ce tout ? La Bible hébraïque et la tradition rabbinique ne donnent que peu de détails sur ce qui se passera dans le « monde à venir », terme largement employé dans la tradition juive.

« Il n’y a dans le monde futur ni manger, ni boire, ni procréation, ni commerce, ni jalousie, ni haine, ni concurrence, mais les justes sont assis, leur diadème sur la tête, et jouissent de l’éclat de la présence divine », lit-on simplement dans le Talmud. S’il est question d’une absence de « procréation », le texte ne mentionne pas clairement le plaisir sexuel. « Quelque chose est promis, mais ce quelque chose est caché », commentera plus tard le rabbin Josy Eisenberg (1933-2017) dans La Survie après la mort (sous la direction de Maryse Choisy, éditions Labergerie, 1967).

Au sein des Evangiles, Jésus évoque, pour sa part, « le produit de la vigne », qu’il boira avec ceux qui accéderont au « royaume de son Père »« A la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel », dit-il tout de même dans Matthieu (22, 30), sans toutefois faire explicitement référence au plaisir charnel.

Cette diatribe vise, en fait, à répondre aux arguments des sadducéens, qui affirment que la résurrection est un mythe : pour prouver leur thèse, ils avaient demandé à Jésus, cherchant à le piéger, quel mari retrouvera après la mort une femme qui aura épousé plusieurs frères morts les uns après les autres. Quant à l’Apocalypse de Jean, elle prédit simplement que les « vainqueurs » mangeront « l’arbre de vie placé dans le paradis de Dieu », sans en dire plus.

Adam et Eve faisaient-ils l’amour ?

L’exégèse et la littérature essaieront de combler ce vide descriptif de la Bible, tentant d’imaginer la vie des justes dans l’au-delà. « Là [au ciel], c’est la lumière sans l’éclipse, la joie sans le gémissement, le désir sans la souffrance », écrira saint Grégoire le Grand (mort en 604). « Dans cette céleste patrie, la vie est sans la mort, la jeunesse sans la vieillesse (…), la délectation sans le dégoût (…), la beauté sans la honte, l’agilité sans l’obésité, la force sans la faiblesse, le plaisir sans l’anxiété », poursuivra plus tard le théologien Hugues de Saint-Victor (XIIe siècle).

Cependant, aucun texte faisant autorité ne mentionne clairement l’existence d’une vie sexuelle. Saint Augustin (354-430) l’exclut même complètement : pour ce Père de l’Eglise, la libido est liée au péché et l’homme ne ressentira plus le « besoin » d’avoir de relation sexuelle au paradis. Là-haut, il n’est plus besoin de procréer. L’homme n’a donc plus besoin de la sexualité.

Cependant, les juifs et les chrétiens ont-ils toujours lié le sexe à la procréation ? Pour une très large part, oui. Pourtant, saint Augustin lui-même a émis une hypothèse contraire (qu’il a fini par rejeter), se posant une question cruciale : dans le « paradis d’Eden », Adam et Eve faisaient-ils l’amour avant de croquer le fruit défendu ? Avant d’être contraints de se reproduire pour perpétuer la race humaine nouvellement soumise à la mort ?

« Adam ne se détourna pas, je pense, de sa belle épouse »

A ce sujet aussi, la Bible est ambiguë. Dans un premier temps, Adam et Eve « étaient nus, sans se faire mutuellement honte », dit la Genèse. Ce n’est qu’après la « faute » du couple primitif que la donne change et que les deux êtres se recouvriront le sexe d’un pagne. Un flou qui inspirera le poète anglais John Milton (1608-1674) : « Adam ne se détourna pas, je pense, de sa belle épouse, ni Eve ne refusa pas les mythes mystérieux de l’amour conjugal, malgré tout ce que disent austèrement les hypocrites de la pureté, du paradis, de l’innocence, diffamant comme impur ce que Dieu déclare pur ».

Aucun théologien de référence ne prit toutefois une telle hypothèse au sérieux. Quelques sectes millénaristes ont, néanmoins, dans les premiers siècles de notre ère, prêché l’instauration future par le Christ d’un règne terrestre qui doit durer mille ans, dans lequel les élus pourront s’adonner aux plaisirs charnels sans craindre le péché, avant d’intégrer le royaume de Dieu. Les millénaristes ont toutefois été vaillamment combattus par les tenants de l’orthodoxie.

En islam, des promesses de délices

Le Coran est peut-être le texte sacré qui donne le plus de détails sur les délices qui attendent les aimés de Dieu au paradis. Et s’il n’est pas explicitement mentionné, le plaisir charnel y est au moins suggéré.

Les élus « auront des houris (vierges ou jeunes filles pures) aux grands yeux, semblables à des perles en coquille, en récompense pour ce qu’ils faisaient », évoque la sourate 56. (Illustration : gravure vers 1840.)

Le Coran évoque « des belles aux grands yeux, au regard chaste » qui seront « placées auprès » des « serviteurs de Dieu ». Les élus « auront des houris (vierges ou jeunes filles pures) aux grands yeux, semblables à des perles en coquille, en récompense pour ce qu’ils faisaient », évoque la sourate 56. « Nous les avons faites vierges, gracieuses, toutes de même âge, pour les gens de la droite [les habitants du paradis] », lit-on encore.

Ces versets doivent-ils néanmoins être interprétés à la lettre ? Les élus de Dieu pourront-ils disposer librement du corps de ces « vierges gracieuses » ? Les femmes sont-elles, elles aussi, concernées par ces promesses ? Des siècles de tradition n’ont pas suffi à trancher ces questions.

Reste que s’il existe bien des comportements jugés illicites, variant selon les courants, l’islam ne marque pas le sexe dans son ensemble du sceau du péché, lui laissant ainsi la possibilité d’entrer au paradis. « Les théologiens musulmans soulignent souvent que, si la création est bonne, il ne faut pas s’étonner de retrouver le plaisir de cette création dans l’état paradisiaque », résume le professeur d’apologétique protestant Yannick Imbert, dans un numéro de La Revue réformée (avril 2014). Un « plaisir » qui serait alors dénué de souffrance, d’anxiété et de frustration, contrairement à celui vécu sur terre.

Il faut cependant se garder de toute conclusion hâtive. Car pour de nombreux exégètes musulmans, les versets cités plus haut sont avant tout symboliques et désignent des états spirituels, des « illuminations » divines que reçoit l’homme vertueux, « provenant d’une réalité infinie qui, à chaque moment, apparaît dans une gloire nouvelle », comme l’écrit le philosophe indien Mohamed Iqbal. N’oubliant pas que le Coran présente avant tout le paradis comme le Dar Al-Salam, la « maison de la paix », lieu de félicité et de béatitude avant tout, et que l’« agrément le plus grand » reste la communion avec Dieu (9, 72).

Certains ont d’ailleurs proposé de traduire le terme « houris » par « raisins blancs », faisant parfois référence au « fruit de la vigne » biblique, même si cette interprétation reste controversée, tant dans les milieux universitaires que religieux.

Quid des religions orientales ?

Dans de nombreuses traditions orientales (bouddhisme, hindouisme et jaïnisme en tête), l’être humain, pour parvenir à l’Eveil, doit atteindre le Nirvana. Etat difficilement descriptible, parfois présenté comme la disparition pure et simple de ce que l’on appelle « la conscience », comme sa fusion avec le Tout universel, ou encore comme un état de béatitude éternelle.

Il ne s’agit cependant en aucun cas d’un lieu. Et rares sont ceux qui atteignent le Nirvana. La plupart des hommes sont, en effet, destinés à la réincarnation. Après la mort, donc, l’homme, pour autant qu’il se réincarne en humain ou en animal, sera de nouveau en mesure d’avoir des relations sexuelles. Mais cela n’est pas vraiment conseillé ! Le sexe, souvent accompagné de son lot de souffrances (frustration, jalousie, addiction, impatience, peur…), est surtout considéré comme un frein sur la route de l’Eveil.

Seul le taoïsme se distingue vraiment. Pour les taoïstes, le sexe est un parfait terrain d’entraînement pour parvenir à un équilibre les énergies du yin et du yang. Ils ne croient pas, toutefois, en une « vie après la mort » à proprement parler. Les hommes les plus parfaits acquièrent une immortalité ici et maintenant. Et ils pourront en profiter dans des territoires inconnus des ignorants, bien destinés, eux, à la mort.

Cet article a initialement été publié dans « Le Monde des religions » n °89, mai-juin 2018


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