jeudi 2 février 2023

Crise du logement : les femmes et les enfants d’abord




par Eve Szeftel   publié le 31 janvier 2023

Dans son rapport annuel, la Fondation Abbé-Pierre alerte sur «l’enracinement du mal-logement», qui touche plus fortement les femmes que les hommes.

«Mes amis, au secours, une femme vient de mourir, gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol.» C’était le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait son appel à ouvrir, «dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris», des «centres fraternels de dépannage». Soixante-neuf ans plus tard, la crise, réapparue à la fin des années 90, «s’enracine», dénonce la Fondation Abbé-Pierre (FAP) dans son 28e rapport sur «l’état du mal-logement en France» publié ce mercredi. «L’écart a rarement semblé aussi grand entre, d’un côté, l’état du mal-logement, sa permanence, comme ses manifestations aggravées (augmentation du nombre de personnes sans domicile, hausse des coûts, nombre d’habitats énergivores…), et d’un autre côté, l’insuffisance des réponses publiques pour rendre le logement abordable tant dans le parc existant dont l’ouverture aux plus modestes se restreint, que dans la construction neuve, qui reste insuffisante au regard de l’ampleur et des caractéristiques de la demande», résume la fondation.

Tous les voyants sont au rouge. Du côté de l’offre, la production de logements neufs et sociaux se casse la figure, créant de la pénurie ; les prix dans l’ancien continuent de grimper au point de devenir «insoutenables» pour les ménages modestes mais pénalisants aussi pour la classe moyenne ; le parc HLM est saturé (2,3 millions de personnes sur liste d’attente). Du côté de la demande, le poids de l’habitat ne cesse d’augmenter dans le budget des ménages, déjà miné par l’inflation : il est devenu le premier poste de dépenses en 2021, à hauteur de 28 % (contre 20 % en 1990).

«1 000 enfants sans place d’hébergement»

Résultat, «les phénomènes de grande exclusion se sont amplifiés». Sur 4,1 millions de mal-logés, plus de 1 million sont privés de toit personnel, un chiffre en hausse de 130 % sur dix ans : deux tiers sont hébergés chez des connaissances, un tiers sont «sans domicile». Parmi ces SDF, 25 000 vivent à l’hôtel, 100 000 dans des habitations de fortune et 27 000 sont sans abri, d’après le dernier recensement qui remonte à 2016. Le reste des mal-logés vivent dans des «conditions très difficiles» (privation de confort ou surpeuplement), sans oublier les gens du voyage ou les résidents de foyers de travailleurs migrants. «Le gouvernement a créé 40 000 places d’hébergement d’urgence pendant la crise du Covid, et a décidé de les maintenir», portant leur nombre total à 200 000.

«C’est une très bonne décision, mais on assiste à une augmentation du sans-abrisme : on avait 3 500 personnes sans solution en janvier 2022, c’est monté à 6 000 en octobre avant de redescendre à 4 000 en décembre avec l’activation du plan grand froid. Mais fin décembre, on avait encore 4 000 personnes qui ont appelé le 115 et n’ont pas eu de place. Parmi eux, il y avait 1 000 enfants», a dénoncé Christophe Robert, le délégué général de la FAP, lors d’une conférence de presse.

Face à l’ampleur de la crise, les rédacteurs, avec un sens éprouvé de l’euphémisme, s’«étonn[ent] de la faible place que les responsables politiques accordent à la question du logement au début de ce second quinquennat d’Emmanuel Macron». Au contraire, le premier texte de la législature sur le sujet, adopté en première lecture à l’Assemblée et en cours d’examen au Sénat, «s’attaque aux pauvres plutôt qu’à la pauvreté», comme l’a résumé Christophe Robert concernant la proposition de loi portée par le député Renaissance Guillaume Kasbarian, qui durcit la réglementation sur les squats et affaiblit les protections des locataires ayant des impayés de loyer. Attendu ce mercredi midi à la Mutualité, dans le cadre d’une journée de débats qui verra notamment s’affronter les députés Aurore Bergé (Renaissance) et François Ruffin (LFI), le ministre délégué au Logement, Olivier Klein, qui vient des rangs de la gauche, risque de passer un moment difficile.

Les mal-logées vulnérables à l’exploitation et aux violences sexuelles

Cette année, le rapport explore de manière approfondie le «vécu genré du mal-logement». «Jusqu’à présent, le sexe a rarement été considéré comme un facteur déclenchant ou aggravant du mal-logement. Pourtant, être un homme ou une femme, ou appartenir à une minorité sexuelle, affecte considérablement les risques de subir diverses dimensions du mal-logement et bouleverse la manière même de vivre» ces difficultés, souligne la fondation. Plus les femmes, du fait de leur statut précaire, ont du mal à accéder à un toit, plus elles sont vulnérables à l’exploitation et aux violences sexuelles – c’est le cas notamment de celles récemment arrivées sur le territoire français.

Celles qui vivent dans la rue «élaborent des stratégies pour se dissimuler dans l’espace public» ; celles qui sont hébergées «sont davantage contraintes que les hommes à réaliser du travail domestique peu ou non rémunéré (garde d’enfants, ménage, cuisine, soin aux personnes âgées…) ou dans des situations extrêmes à se soumettre à des relations sexuelles». Les prostituées en particulier «se retrouvent fréquemment sous l’emprise de bailleurs abusifs, parfois marchands de sommeil», qui exigent des loyers exorbitants ou un paiement «en nature». Même quand elles ont un toit à elles, les femmes ne sont pas non plus à égalité avec les hommes, et plus encore quand elles vivent en dehors des grandes villes, l’éloignement avec leur lieu de travail les poussant plus facilement à renoncer à leur emploi. Et «d’autant plus dans un contexte de crise énergétique renchérissant le coût des déplacements en voiture».

 

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