vendredi 3 février 2023

“Cet observatoire interroge les raisons pour lesquelles les femmes sont plus pauvres que les hommes”

Maëlys Kapita   Publié le 02/02/23 

Une pancarte de soutien en faveur de l’égalité des rémunerations lors d’une manifestation à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, en mars 2021, à Paris.  

La Fondation des femmes lance ce jeudi l’Observatoire pour l’émancipation économique des femmes, pour documenter la précarité financière. Les explications de Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques au sein de la fondation.

« Le sexisme ne recule pas en France. » C’est le constat dressé par les auteurs du rapport 2023 du Haut Conseil à l’égalité(HCE), paru le 23 janvier. Et le monde du travail s’illustre comme l’un des espaces les plus inégalitaires. Les écarts salariaux y persistent. Au début de son premier mandat, Emmanuel Macron avait pourtant fait de l’égalité et l’émancipation économique des femmes un combat prioritaire, la grande cause de son quinquennat, renforçant en quelques années le corpus législatif (loi Rixain visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, index de l’égalité professionnelle, obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés…) Des mesures concrètes mais souvent jugées trop maigres par les associations féministes, ou mal appliquées. Référence en France sur les droits des femmes et la lutte contre les violences dont elles sont victimes, la Fondation des femmes donne ce 2 février le coup d’envoi d’un nouvel outil : l’Observatoire pour l’émancipation économique des femmes. Car « il n’y a pas de progression de l’égalité si elle n’est pas mesurée », assure Floriane Volt.

Il a pour but d’interroger les raisons pour lesquelles les femmes sont plus pauvres que les hommes – comme l’illustre le récent rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France. Le projet est né d’un constat commun avec le Crédit municipal de Paris (qui soutient cette initiative) : le manque de données et de statistiques sur la question de l’argent des femmes et de leur précarité financière. Depuis quelque temps, les choses commencent à bouger, grâce à des travaux précurseurs d’autrices féministes, notamment Le Genre du capital : Comment la famille reproduit les inégalités, de Céline Bessière et Sibylle Gollac. Mais à la Fondation des femmes, nous voulions faire exister ce problème de société dans le débat public.

Depuis combien de temps y travaillez-vous ?

Nous avons commencé à y réfléchir il y a un an, avec l’aide d’expertes et d’économistes, afin d’établir un plan d’action. Fin novembre, nous avons publié une première note sur le coût de la justice pour les femmes victimes de violences. Aujourd’hui, avec cet observatoire et la publication d’une nouvelle note, nous brassons plus large. L’objectif est double : sensibiliser les femmes afin qu’elles se posent les questions de leurs choix, y compris familiaux, et encourager les pouvoirs publics à agir. Il s’agit d’un laboratoire d’idées à destination de tous, y compris les parlementaires avec lesquels on échange beaucoup.

“Le modèle ‘familialiste’n’est plus du tout adapté aux schémas dans lesquels vivent les couples aujourd’hui.”

Quels sont les leviers d’action ?

Il ne peut pas exister de progression de l’égalité si elle n’est pas mesurée. Nous souhaitons, à partir des études menées et des datas, que soient faites des appréciations genrées des politiques publiques. Pour cela, nous devons d’abord identifier les facteurs à l’origine des écarts de richesse. L’observatoire va dans ce sens. Sur une base trimestrielle, nous allons publier des notes autour d’un sujet précis, qui nourriront le travail qu’exerce déjà la fondation, conjointement à d’autres associations. La première concerne le rôle de l’État dans la dépendance économique des femmes, énumérant une série de prestations sociales motivées par des fonctionnements hérités de l’après-guerre.

C’est tout un modèle que vous proposez de revoir…

Exactement. Le modèle « familialiste » n’est plus du tout adapté aux schémas dans lesquels vivent les couples aujourd’hui. Par conséquent, il enferme les femmes dans un fonctionnement sexiste. Il existe toute une série d’aides et de prestations sociales renforçant leur précarité. La note s’attaque notamment à la conjugalisation de l’impôt sur le revenu, obligatoire pour les couples mariés ou pacsés. La déclaration d’impôt commune favorise la personne qui gagne le plus dans le couple – dans les trois quarts ces cas, ce sont des hommes, d’après une étude de l’INSEE de 2019. Notre système de prestations sociales et fiscales considère le couple comme une sorte de boîte noire, dans laquelle il y aurait une solidarité absolue entre les conjoints. Or, le couple n’est pas imperméable aux inégalités salariales et de patrimoine.

Au début de son premier mandat, Emmanuel Macron avait fait de la parité femmes- hommes la grande cause du quinquennat. Le gouvernement en fait-il assez ?

Le début du quinquennat coïncidait quasiment avec le début de la vague #MeToo. Des mesures ont été prises, il ne faut pas le nier, le budget a augmenté, le Grenelle de lutte contre les violences faites aux femmes a été un acte fort. Néanmoins, une forme de tolérance au sexisme subsiste, comme l’a montré le baromètre du Haut Conseil à l’égalité il y a quelques jours. Surtout un aveuglement, parfois une absence de prise de conscience des impacts des lois, nouvelles et anciennes, sur les femmes.

“Non seulement les femmes ont des carrières hachées, mais parfois, en raison de stéréotypes sexistes très prégnants, elles sont orientées vers des professions moins bien payées.”

Le ministre chargé des relations avec le Parlement, Franck Riester, a déclaré que les femmes seraient « un peu pénalisées par le report de l’âge légal » de départ à la retraite…

Ce discours prononcé publiquement illustre la normalisation des inégalités liées au genre en France. Malgré la progression du niveau moyen d’éducation des femmes et l’interdiction de toute forme de discrimination, les disparités salariales puisent également leur source dans ce que les économistes appellent la « ségrégation professionnelle ». Non seulement les femmes ont des carrières hachées, mais parfois, en raison de stéréotypes sexistes très prégnants, elles sont orientées vers des professions moins bien payées. Selon une idée encore bien ancrée dans les mœurs de la société, nettoyer, soigner, accompagner ou encore éduquer serait une sorte d’apanage des femmes, et ces professions ne mériteraient pas de vraie reconnaissance salariale. De nombreuses économistes féministes militent pour une réévaluation générale de ces métiers dits « féminisés ».

Comment l’observatoire peut-il favoriser un changement des mentalités ?

En faisant exister le sujet de l’émancipation économique des femmes dans le débat public, et en faisant naître une réelle prise de conscience. Nous exhumons malgré tout des éléments encore tabous en France, de l’ordre du privé : l’argent et le couple. Il existe toujours une réserve à aller voir ce qu’il se passe chez les autres. Pourtant, plusieurs féministes l’expliquent depuis une cinquantaine d’années : le privé est politique.


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