samedi 25 février 2023

Burn-out en série à Borgen

Par (Malmö, Suède, correspondante régionale) Publié le 23 février 2023

L’arrêt-maladie du numéro deux du gouvernement, Jakob Ellemann-Jensen, n’est que le dernier d’une longue liste, révélant l’ampleur du surmenage qui frappe des personnalités politiques du Danemark.

Le ministre danois de la défense, Jakob Ellemann-Jensen, lors du sommet de la Force expéditionnaire interarmées (JEF) à Riga en Lettonie, le 19 décembre 2022.

Le message du ministre danois de la défense, Jakob Ellemann-Jensen, publié sur Facebook le 6 février, a fait moins de bruit que les annonces des premières ministres néo-zélandaise et écossaise. A moins d’un mois d’intervalle, Jacinda Ardern et Nicola Sturgeon ont démissionné, avant même la fin de leur mandat. « Je sais ce que ce travail exige. Et je sais que je n’ai plus assez d’énergie pour lui rendre justice. C’est aussi simple que cela », expliquait la première, 42 ans, le 19 janvier, à Wellington. Comme en écho, le 15 février à Edimbourg, la seconde, 52 ans, constatait qu’elle aurait « pu continuer quelques mois, six mois, un an peut-être, mais [qu’]avec le temps, [elle] aurai[t] eu moins d’énergie à offrir à ce travail ». Elle a tenu à préciser : « Je suis un être humain, en plus d’être une femme politique. »

En poste depuis le 15 décembre 2022, Jakob Ellemann-Jensen, 49 ans, ne s’arrête, lui, que temporairement. Mais le même mal semble l’avoir frappé. Dans son message, le ministre danois remarque qu’il ne « peu[t] pas être à la fois père, ministre de la défense et président du parti si [sa] santé n’est pas bonne ». Il ne révèle pas l’affection dont il souffre, mais son épuisement l’a conduit à l’hôpital pour des examens en début d’année. Il a tenté de reprendre le travail, avant de comprendre qu’il n’était pas prêt : « J’ai été intensément occupé pendant longtemps, explique-t-il. Maintenant, mon corps envoie le signal qu’il est temps de faire une pause, si je ne veux pas que ça tourne mal. »

Au Danemark, cette annonce a pris tout le monde par surprise. Elu à la tête du Parti libéral du Danemark (le Venstre) en ­septembre 2019, Jakob Ellemann-Jensen venait d’atteindre le sommet de sa carrière. Certes, pas à la tête du gouvernement, comme il l’espérait encore avant les élections législatives du 1er novembre 2022, mais à la direction du ministère de la défense, alors que la guerre résonne aux portes de l’Europe et que le Danemark a prévu d’accroître ses dépenses militaires à 2 % du produit intérieur brut en 2030 (contre 1,4 % aujourd’hui).

Une épidémie de stress

Passé le choc de l’annonce, une discussion s’est rapidement engagée sur cette épidémie qui semble avoir frappé Christiansborg – « Borgen » pour les Danois –, le siège du pouvoir à Copenhague. Car ce burn-out est loin d’être un cas isolé. Henrik Dam Kristensen, président social-démocrate du Parlement du 21 juin 2019 au 1er novembre 2022, l’avait déjà signalé. « Pendant mon mandat (…), le nombre de députés s’arrêtant à cause du stress a battu un record », a-t-il regretté au moment de son départ, incitant son successeur, le libéral Soren Gade, à faire de la santé des parlementaires une priorité. En 2021, 40 % des députés danois, interrogés par le site A4 Aktuelt, avaient reconnu souffrir de stress. Avec des conséquences graves pour certains.

En avril 2021, la députée conservatrice Brigitte Klintskov Jerkel avait ainsi été prise de vertiges, alors qu’elle participait à une émission de télévision. Trois jours plus tard, ses symptômes étaient revenus. A l’hôpital, les médecins ont découvert qu’elle avait fait un accident vasculaire cérébral. En cause : le stress. En mars 2022, Jacob Mark, son collègue du Parti populaire socialiste (SF), s’est, lui, rendu compte qu’il ne voyait presque plus. Une perte de vision également due au stress.

Un tabou brisé

Le surmenage a aussi causé les crises d’angoisse du chef de file de l’Alliance libérale, Alex Vanopslagh : « Je pouvais assister à des réunions et avoir des trous de mémoire – comme si je venais d’arriver et que je n’avais aucune idée de ce que je faisais (…). J’avais une sorte de brouillard dans la tête », a-t-il confié au quotidien danois Berlingske en décembre 2019. Souffrant de dépression, le député du Parti populaire danois Alex Ahrendtsen a, lui, été arrêté dix mois en 2021, tout comme l’avait été l’élue sociale-libérale Ida Auken, en 2019.

Tous ont depuis témoigné, brisant le tabou sur le burn-out en politique. Leurs récits présentent de nombreuses similitudes : d’abord, le refus de voir les symptômes, puis la détermination à continuer comme si de rien n’était, avant le crash. « En tant que politiciens, nous sommes passionnés par nos sujets, et il y a toujours plus à faire, constatait la députée Brigitte Klintskov Jerkel, le 8 février. Toujours une interview de plus à donner, un projet de loi à préparer pour le ministre, des négociations, des consultations, des réunions de comité, et cela recommence. » Elle-même avoue avoir réagi « trop tard, en ignorant tous les signaux d’avertissement » envoyés par son corps.

Dans une tribune publiée dans Berlingske le 10 février, Özlem Cekic, députée du SF de 2007 à 2015, dénonce le « ­harcèlement » à Christiansborg, qui, selon elle, « rend les gens malades ». Elle décrit « une concurrence féroce, des luttes de pouvoir et un système avec une forte hiérarchie », où les avis divergents au sein du parti ne sont pas tolérés. Elle aussi a fini à l’hôpital, souffrant de trous de mémoire et d’une perte de 70 % de la vision de l’œil droit.


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