jeudi 12 janvier 2023

Le portrait Camille Chaize : Intérieur, extérieur

par Willy Le Devin  publié le 10 janvier 2023

Porte-parole de la Place Beauvau, la commissaire dynamique fait au mieux pour expliquer, commenter et déminer les polémiques qui flambent autour de la police.

On pourrait se dire qu’il faut une bonne dose de tempérance, de nos jours, pour accepter d’incarner le ministère de l’Intérieur sur les impitoyables réseaux sociaux. Au même titre que la laïcité et l’immigration, la police est au cœur d’une des guerres culturelles les plus acides de la société française, syndicats, militants, avocats et journalistes se chicanant parfois à traits grossiers, au grand dam de la rationalité, pour ne pas dire de la raison.

Au milieu, il y a donc Camille Chaize, 41 ans, chargée de faire «de la pédagogie» sur le lanceur de balles de défense, le racisme dans les rangs bleus ou l’inflation de personnes abattues après refus d’obtempérer… On aurait tôt fait de penser que ses timelines – le porte-parolat du ministère dispose de comptes sur LinkedIn, Twitter, Twitch et Instagram – sont des appeaux à trolls, des cimetières de commentaires cradingues. La quadra, joviale et énergique, jure que non, que la société est bien plus raisonnable et flegmatique que l’inframonde anonymisé du web, où prospèrent les sagouins et les Narcisse.

De toute façon, Camille Chaize, commissaire à la ville, apprend en marchant. Elle est la première à expérimenter ce poste nouveau au ministère de l’Intérieur – voulu par Christophe Castaner – et calqué sur le modèle de celui qui existe à la chancellerie. «Porte-parole de l’institution et non du ministre Darmanin», martèle la jeune quadra. Nulle défiance ici envers un locataire de Beauvau qu’elle estime«efficace et politiquement habile», mais une prévention : la sécurité et la police sont bien trop instrumentalisées en France. D’où l’idée de reprendre tout depuis le début, de dépassionner : «Dire qui fait quoi, comment. Clarifier les rouages de l’Etat pour éviter la grande confusion. Ça semble peu, mais à notre époque, c’est fort utile…»

Son poste englobe l’ensemble du portefeuille, Outre-Mer, police gendarmerie, sécurité civile, citoyenneté. Avec des interventions déclinées en modules grand public – «Une semaine, une pref», avec de beaux paysages de France, ou Face Cam, pour Face Camille, avec smileys qui rigolent. Un contre-discours républicain incarné et cool à souhait, à l’heure où l’institution est mise en cause pour racisme sous le gyrophare, mutilations en manifs et ingratitude à l’égard des travailleurs migrants.

Au-delà de cette mission, qui porte aussi une dimension évangélisatrice – le recrutement –, il y a la part la plus âpre du job : assécher les polémiques, gérer les bâtons merdeux sur les chaînes d’infos. Ça se passe souvent à pas d’heure, et lorsque les grands fauves de la sécurité ont soudain la tremblote. Apparaît ici l’une des lignes de fracture les plus intéressantes de la communication institutionnelle : faut-il faire front et rester ferme envers et contre tout ? Ou est-ce souhaitable, en démocratie, que le pouvoir régalien confesse aussi ses erreurs ? «Mon idée là-dessus est assez claire. Je pense que c’est bien d’expliquer de temps en temps que tout n’est pas parfait», clame Camille Chaize. Dans un univers où la culture du silence est d’or, cela sonne déjà comme une forme de panache.

Elle cite notamment les violences sexistes et sexuelles, «où l’Etat part de très loin», et où, surtout, les dysfonctionnements coûtent parfois des vies. «En tout cas, reprend-elle, il faut toujours être documenté lorsque l’on défend une position. Si je ne crois pas moi-même à ce que je dis, ça se voit.» On pense à cette fois où il a fallu faire le SAV du désastre de la finale de la Ligue des champions organisée au Stade de France… Est-elle cadrée, briefée, épiée par les hauts fonctionnaires qu’elle représente ? «Pas toujours, rit-elle.Parfois, j’aimerais bien en avoir des éléments de langage ! Au moins je suis libre, et ça veut dire qu’on me fait confiance.» On lui fait aussi remarquer que l’ensemble des porte-parole de la préfecture de Paris, de la gendarmerie, de la police, sont aujourd’hui des femmes, souvent jeunes, parfois issues de la diversité. Une riposte par l’image au durcissement à l’extrême droite des services de sécurité ? «Ça n’est sûrement pas le fruit du hasard», pirouette-t-elle.

Sportive, Camille Chaize s’est essayée à plusieurs vies avant de choisir la com. D’abord à la Croix-Rouge, «où elle n’a sûrement jamais autant travaillé», puis à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, où elle assurait les week-ends, du samedi au lundi 7 heures.«J’ai adoré l’univers du commandement, le souci de la sécurité en intervention, l’ambiance au sein d’un équipage, les débriefings. C’est comme ça aussi, via les contacts du quotidien, que j’ai expérimenté le métier de policier», narre-t-elle. Suivent trois ans au ministère de la Santé, à la planification des crises sous Xavier Bertrand. Et enfin, le grand saut, en 2008, avec le concours des commissaires.

En 2010, la voilà à la tête du commissariat de Vanves-Malakoff, dans les Hauts-de-Seine. Pas le territoire le plus criminogène de la République certes, mais 60 000 administrés et une centaine de fonctionnaires à coiffer à… 29 ans. Des années où l’on vieillit plus vite que le cycle des saisons, avec l’exigeante gestion des personnels. «Diriger un commissariat, c’est gérer le moral de troupes exposées à des tâches difficiles. Moi, j’ai toujours réussi à apprivoiser la violence des situations en intervention. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde et les soucis personnels fragilisent parfois les policiers. Il faut être attentif aux signes qui trahissent parfois un coup de mou», se remémore-t-elle, soudain grave. «A même pas 30 ans, vous devez à la fois inspirer la confiance, être respectée et prendre les bonnes décisions.» Elle cite cet agent en proie à des problèmes d’alcoolisme, à qui elle ordonnait, chaque soir, de laisser son arme à la remise.

Les relations sociales ont toujours été de première importance pour Camille Chaize. En déduire un peu vite qu’elle est de gauche l’amuse : «Tout le monde pense que je suis de gauche, mais moi, je crois que je suis de droite !» En poste au cabinet du directeur de la police avant la porte-parolat, elle s’est occupée du fils de Franck Brinsolaro, le garde du corps de Charb, tué lui aussi le 7 janvier 2015. Il est aujourd’hui pupille de la nation, père de famille et policier à son tour. «J’adore Camille, c’est un peu ma petite sœur professionnelle. C’est une force de travail formidable, à fleur de peau, qui a besoin de sentir la confiance et qui peut abattre des montagnes», dit d’elle Jérôme Bonet, l’actuel directeur central de la police judiciaire, avec qui elle partage une solide amitié.

Vu l’extrême exposition de son poste, Camille Chaize demeure pudique sur sa vie personnelle : père dans les PTT devenu boulanger, mère au foyer et deux sœurs. En couple avec un policier, elle garde de son Auvergne natale, où elle revient toujours, le goût de la marche. En vacances, elle est souvent entre deux sommets. Et souhaite à chacun de voir un jour une aurore boréale.

18 décembre 1981 Naissance au Puy-en-Velay.

2003-2008 Brigade des sapeurs-pompiers de Paris.

2010-2013 Cheffe du commissariat de Vanves.

Décembre 2019 Porte-parole du ministère de l’Intérieur.


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