mardi 10 janvier 2023

Le fentanyl, la drogue qui ravage les Etats-Unis

Par   Publié le 9 janvier 2023

Toutes les sept minutes, en moyenne, une personne meurt des effets de ce produit de synthèse peu onéreux, cinquante fois plus létal que l’héroïne, créé à l’origine pour soulager les patients atteints d’un cancer.

Saisie de 42 kg de fentanyl par la police du comté d’Alameda, en Californie, le 20 décembre 2022.

Gloria Chavez, cheffe de la police aux frontières dans la vallée du Rio Grande, au Texas, avait de quoi se réjouir, le 2 décembre 2022. Ses agents venaient de découvrir un chargement de drogue – du fentanyl – dissimulé sous forme liquide dans le réservoir à essence d’une voiture. « Cette quantité mortelle suffirait à tuer une population de 5,665 millions de personnes, ce qui représente deux fois et demie la taille de Houston ! », écrivait-elle sur Twitter. Derrière cette satisfaction ponctuelle et légitime se dessine un désastre national. Il concerne les quartiers chics comme les plus paupérisés, les zones urbaines comme les coins reculés du pays.

Aux Etats-Unis, toutes les sept minutes, en moyenne, une personne meurt des effets du fentanyl. Cette drogue de synthèse peu onéreuse, créée à l’origine pour soulager les patients atteints d’un cancer, est cinquante fois plus mortelle que l’héroïne et cent fois plus que la morphine. Elle se diffuse sous toutes les formes : liquide, en poudre, en comprimés. Depuis l’été 2022, la police antidrogue (Drug Enforcement Administration, DEA) a alerté au sujet de sa commercialisation sous une déclinaison multicolore pour séduire un public plus jeune et naïf. L’an dernier, la DEA a saisi près de 379 millions de doses de fentanyl, un record absolu.

Au total, selon les autorités sanitaires, 107 622 décès ont été enregistrés en 2021 pour usage de drogues, dont 66 % étaient liés au fentanyl. Les principaux importateurs sont deux réseaux criminels mexicains rivaux, le cartel de Sinaloa et le cartel de Jalisco nouvelle génération, l’une des cinq organisations les plus dangereuses au monde, selon le ministère de la justice américain.

Avant d’inonder les Etats-Unis, ces groupes n’ont plus besoin d’entretenir des plantations et de s’en remettre au beau temps, comme pour la marijuana ou l’opium. Ils acquièrent les composants chimiques en Chine pour ensuite fabriquer les pilules dans leurs laboratoires clandestins. Le transport de l’autre côté de la frontière requiert un mode opératoire classique. Quant à la dissimulation, c’est une affaire d’audace et d’ingéniosité : ces pilules ont notamment été retrouvées dans des boîtes de Lego ou des noix de coco. Le prix de vente varie en fonction du lieu, mais il est globalement en chute libre, en raison de l’explosion de l’offre.

L’administration Biden accusée de négligence criminelle

Dans une enquête remarquable en plusieurs volets, le Washington Post a récemment retracé tout ce parcours. Le quotidien a souligné les erreurs majeures commises par les administrations successives. « Le département de la sécurité intérieure, dont les agences sont responsables de la détection des drogues illégales aux frontières de la nation, a échoué à intensifier les technologies de scannage et d’inspection aux points officiels de passage, consacrant plutôt 11 milliards de dollars[10,3 milliards d’euros] à la construction d’un mur frontalier qui fait peu pour arrêter les trafiquants de fentanyl », expliquait le journal, le 12 décembre 2022.

Mais ce sont d’abord les chaînes conservatrices comme Fox News qui ont fait du fentanyl un sujet de prédilection, en le liant à la porosité de la frontière avec le Mexique. La crise migratoire est réelle : 2,4 millions de sans-papiers ont été arrêtés en un an, selon les statistiques officielles publiées fin octobre. Fox News dresse ainsi un acte d’accusation contre l’administration Biden, accusée de négligence criminelle. Mais la lutte contre les trafiquants de drogue et celle contre l’immigration illégale ne se recoupent pas de façon aussi caricaturale.

L’administration Biden a publié au printemps 2022 sa stratégie de contrôle des drogues. Outre son volet répressif classique, et un renforcement des moyens accordés à la DEA et à la police aux frontières, ce document préconisait de faciliter l’accès aux soins pour les malades. En 2020, parmi les 41,1 millions de personnes en détresse pour usage de drogue, seulement 2,7 millions avaient bénéficié d’un traitement dans un centre spécialisé. Il s’agit d’améliorer la distribution des seringues et du naloxone, un médicament qui bloque les effets d’opioïdes comme l’héroïne ou le fentanyl, empêchant l’overdose. Mais, derrière cet effort, les autorités américaines ne peuvent cacher leur désarroi, malgré une multiplication par 50 des saisies entre 2018 et 2021.

Des jeunes approvisionnés grâce à Snapchat ou TikTok

Comment prévenir les nouvelles formes de trafic, liées aux réseaux sociaux ? Le revendeur de rue, immortalisé, par exemple, dans la série télévisée The Wire sur la ville de Baltimore, n’est plus en situation de monopole. De plus en plus de jeunes se tournent vers Snapchat ou TikTok pour s’approvisionner en pilules en tous genres, qui sont, dans 90 % des cas, coupées au fentanyl. Ils entrent directement en contact avec des revendeurs de drogue en ligne, qui leur adressent la commande par simple courrier. Ces jeunes, qui sont à la recherche d’antidouleurs ou d’antidépresseurs (Xanax, OxyContin ou Percocet), se retrouvent ainsi rapidement en situation de dépendance.

La crise liée au Covid-19, qui a causé l’isolement et le mal-être de très nombreux lycéens et étudiants, est un facteur déterminant dans le nombre exponentiel d’overdoses mortelles depuis deux ans dans cette tranche d’âge. Les communautés les plus touchées se trouvent en Alaska et dans les réserves indiennes.

« Deux milligrammes seulement de fentanyl, soit l’équivalent de dix à quinze grains de sel de table, représentent une dose mortelle, expliquait la DEA en août 2022. Sans test en laboratoire, il est impossible de savoir quelle quantité de fentanyl est concentrée dans un comprimé ou une poudre. » Des kits sont distribués dans certains Etats pour permettre de vérifier la présence – mais pas la concentration – de ce produit. Toutefois, le caractère dissuasif et préventif de ce recours est très discuté.


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