samedi 14 janvier 2023

Interview Uniforme à l’école : «C’est l’idée qu’on va gommer Mai 68, uniformiser l’adolescence»

par Romain Boulho   publié le 12 janvier 2023

Pour François Dubet, sociologue spécialiste de l’école et des inégalités, le retour de l’idée d’une tenue scolaire commune, comme le souhaite Brigitte Macron, est dérisoire face aux inégalités qui empoisonnent l’école.

Ritournelle à droite et à l’extrême droite, l’uniforme scolaire, qui serait l’antidote à tous les maux de l’école, a un nouveau porte-voix. Brigitte Macron, ancienne prof de français dans le privé, vient d’insérer une nouvelle pièce dans la machine. Mercredi, à la veille d’une niche parlementaire du Rassemblement national, qui porte une proposition de loi sur le sujet, la première dame s’est dit «pour»dans le Parisien : «Cela gomme les différences, on gagne du temps – c’est chronophage de choisir comment s’habiller le matin – et de l’argent – par rapport aux marques.» Pour François Dubet, sociologue spécialiste de l’école et des inégalités, ex-directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, l’idée relève d’une «pensée magique».

L’uniforme à l’école suscite énormément de fantaisies, la première étant son existence même…

Oui, il n’y en a jamais eu en France. Dans l’école républicaine, c’est une légende urbaine. Il y avait des blouses pour les filles et les garçons, mais pas d’uniforme. C’était, comme le dit Brigitte Macron, les jupes bleues plissées et autres, mais dans les écoles chics privées, pas dans l’école de Jules Ferry. On disait aux parents d’acheter une blouse pour que leurs enfants ne se salissent pas, mais pas du tout dans un souci d’anonymat. On vit aujourd’hui dans un imaginaire scolaire qui est largement une reconstitution. Je suis entré à l’école élémentaire en 1950 et quelques, je n’ai jamais vu d’uniforme. C’est absurde.

Brigitte Macron parle d’un moyen de «gommer les différences». Qu’en pensez-vous ?

Mais qu’est-ce qui est visé ? Les différences entre les riches et les pauvres ou bien est-ce plutôt une manière détournée de cibler les signes de différence religieuse ? Je n’en sais rien. En tout cas, l’idée que l’uniforme peut gommer les différences, c’est selon moi purement imaginaire. Les ados sont obsédés par leur style, leur look, leurs cheveux, teints ou pas, leur marque de basket… Quant aux différences scolaires, on a eu ces derniers temps les données du ministère de l’Education nationale sur la composition sociale des établissements, je ne vois pas en quoi cela va atténuer les disparités qui sont considérables entre les établissements chics, pas chics ou populaires et que tout le monde fuit. C’est de la pensée magique.

C’est-à-dire ?

Ça fait manœuvre de diversion. Au même moment, on n’arrive pas à recruter des enseignants, les résultats scolaires tels que les mesure le ministère lui-même sont un peu inquiétants, les classes moyennes supérieures sont regroupées ensemble, les catégories populaires également… Face aux inégalités, aux difficultés d’apprentissage, aux orientations qui sont un véritable tri social entre les élèves, cette idée de l’uniforme me paraît dérisoire.

En somme, ça n’est que de la nostalgie conservatrice…

Oui et qui, d’ailleurs, ne peut pas se targuer d’un retour à un ancien système puisqu’il n’a jamais existé. C’est l’idée qu’on va gommer Mai 68, uniformiser l’adolescence. Quelques établissements privés extrêmement chics adoptent l’uniforme. Pas pour créer de l’uniformité, justement, mais plutôt pour se distinguer, comme un signe d’appartenance à une caste. Des pays ont cette tradition aussi. J’ai travaillé au Chili et, là-bas, les gens y sont très attachés. Mais il y en a toujours eu un ! En France, on est en train d’inventer une tradition, une histoire. C’est étrange. Je pense que c’est pour faire plaisir aux courants les plus conservateurs, tout simplement. Ce thème, qui était minoritaire dans l’extrême droite, est repris aujourd’hui sans que personne ne semble s’en étonner. Zemmour l’avait mis au centre de son programme pour la présidentielle sur l’école. On n’attend plus que le retour des châtiments corporels…

Parmi les raisons souvent évoquées, la laïcité revient de plus en plus…

C’en est une conception très étrange. La laïcité, c’est le droit des individus d’être protégés dans leur singularité et là, on dit que tout le monde est pareil et qu’on sépare l’école de la société. C’est une laïcité autoritaire, pas la tradition laïque. La laïcité vue par Zemmour. On peut s’étonner que la première dame, ancienne professeure dans un lycée privé chic, fasse ce topo, de même qu’elle a émis l’idée il y a quelques semaines d’une dictée quotidienne. On sait qu’il y a des problèmes de gamins – et surtout de gamines – qui réintroduisent en douce des signes religieux à l’école, robes longues, etc. Mais c’est aux établissements d’avoir une politique là-dessus. Il y a quelques semaines, Pap Ndiaye assurait que ce n’était pas à l’Etat de légiférer sur les tenues des élèves, mais aux établissements de fixer des règles.


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