mardi 3 janvier 2023

Dry January : « Faire une pause dans sa consommation d’alcool permet de gagner du capital santé »

Propos recueillis par   Publié le 2 janvier 2022

Alors que débute le « Défi de janvier », encourageant à arrêter l’alcool pendant un mois, le spécialiste en addictologie Mickael Naassila insiste sur les bénéfices d’une réduction, même temporaire, de la consommation, néfaste dès le premier verre.

Mickael Naassila, à l’université de Picardie Jules-Verne, à Amiens, le 24 septembre 2018.

Alors que commence le « Défi de janvier » (Dry January), dont il est l’un des initiateurs en France, Mickael Naassila, président de la Société française d’alcoologie (SFA), déplore que « les professionnels de santé questionnent trop rarement sur la consommation d’alcool ». Professeur de physiologie à l’université de Picardie (Amiens) et neurobiologiste de l’addiction à l’alcool à l’Inserm, il rappelle les nombreux bénéfices pour la santé de l’abstinence.

Quels sont les effets du « Défi de janvier » sur la consommation d’alcool ?

L’opération, qui consiste à cesser, ou du moins à diminuer sa consommation d’alcool, marche très bien. Des institutions et des villes nous soutiennent. Rappelons qu’elle a été créée en Angleterre en septembre 2013. En France, c’est la quatrième édition. Environ 10 % des Français y participent, selon les sondages. En janvier 2022, il y avait eu 15 000 téléchargements à l’application Try Dry [qui accompagne les participants du « Défi de janvier »], soit une hausse de 15 %.

Il y a souvent une confusion, la campagne du « Défi de janvier » vise l’abstinence, certes, mais cela peut être aussi de réduire sa consommation d’alcool. L’enjeu est de déclencher une prise de conscience sur le niveau de consommation. Ce n’est pas moralisateur ni hygiéniste.

Plusieurs études anglaises ont montré un effet sur la fréquence de consommation. L’une d’elles mesurait que sept personnes sur dix consommaient moins d’alcool six mois après ce défi.

Où en sont les chiffres de consommation de l’alcool ?

Si la consommation diminue depuis les années 1960 en France, le pays se place cependant dans le peloton de tête des pays de l’OCDE qui boivent le plus, avec 10,5 litres d’alcool par an pour les 15 ans et plus, selon la dernière enquête de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) publiée en décembre 2022. Ces moyennes ne traduisent pas la répartition entre ceux qui ne boivent pas du tout, et d’autres qui consomment beaucoup.

La consommation est orientée à la baisse depuis la crise sanitaire, mais ces chiffres doivent être interprétés avec prudence. On note aussi un léger recul du recours aux soins en structure hospitalière avec un diagnostic principal lié à l’alcool, aux intoxications aiguës et aux maladies du foie liées à l’alcool. Le nombre de bénéficiaires d’un traitement pour alcoolodépendance a, quant à lui, aussi légèrement diminué de 6,8 % (à 175 139 bénéficiaires, hors baclofène). Ces tendances sont à prendre avec précaution au regard des difficultés de continuité des soins pendant la pandémie et des difficultés rencontrées par les structures d’addictologie.

En quoi une réduction de la consommation pendant quelques semaines seulement peut avoir des effets sur la santé ?

Les bénéfices de l’abstinence à court et long terme sont nombreux. Des effets sont mesurables sur le plan physiologique. Quelques études sur de petites séries ont montré des améliorations sur la pression artérielle qui diminue un peu, moins de cholestérol, une meilleure résistance à l’insuline, moins de marqueurs de croissance associés au cancer dans le sang. Des enquêtes ont rapporté que plus de la moitié des participants ressentent des effets positifs, décrivent une meilleure concentration, un meilleur sommeil, un regain d’énergie.

Le fait de retrouver une meilleure hygiène de vie est souvent avancé comme facteur de motivation. Il y a aussi un côté ludique, avec un effet de contagion sociale. Il y a un vrai engouement. Le fait de remplir un agenda de consommation sur l’application est positif, cela peut être l’occasion de comprendre les motivations à consommer. Le « Défi de janvier », qui offre une pause d’alcool, permet de gagner du capital santé.

Plus largement, quels sont les effets de l’alcool sur la santé ?

La consommation d’alcool est responsable directement ou indirectement d’une soixantaine de maladies, dont la cirrhose hépatique, certains cancers (foie, colorectal, sein et voies aérodigestives supérieures), des maladies cardio-vasculaires, des maladies digestives, des maladies mentales. L’alcool peut exacerber des problèmes de santé, comme l’hypertension artérielle, les troubles du rythme. L’alcool augmente aussi les risques de suicide, d’accidents de la circulation, de violences physiques ou sexuelles. Il représente l’une des toutes premières causes d’hospitalisation en France.

Le fardeau sanitaire est lourd. Le nombre de décès attribuables à l’alcool en 2015 est estimé à 41 000, dont les trois quarts chez les hommes, selon les dernières données disponibles. C’est le premier facteur de risque de mortalité prématurée et d’incapacité chez les 15-49 ans.

Malgré ces faits, les professionnels de santé questionnent trop rarement sur la consommation d’alcool. C’est l’une des raisons pour lesquelles la SFA a commencé à créer des outils, financés par le Fonds de lutte contre les addictions, Alcool Conso Science, visant à fournir de l’information scientifique destinée aux professionnels de santé.

Ce n’est pas qu’une question d’addiction. Une consommation, même faible et régulière, peut avoir un impact sur la santé. Or 25 % des Français consomment plus que les repères préconisés : ne pas consommer plus de deux verres par jour et dix verres par semaine, donc ne pas consommer deux jours dans une semaine.

Les études récentes mettent en évidence un effet néfaste de l’alcool dès le premier verre. Une vaste étude publiée en 2018 dans la revue médicale The Lancet avait mentionné que « le niveau de consommation d’alcool le plus sûr est : zéro ». Ce qu’avait rappelé l’expertise collective de l’Inserm en mai 2021.

Quels sont les effets du « binge drinking », fréquent chez les jeunes ?

Rappelons ce que c’est. En France, l’« alcoolisation ponctuelle importante » utilisée dans les enquêtes est la consommation d’au moins cinq ou six verres par occasion. A 17 ans, près d’un garçon sur deux en déclare au moins une dans le mois (38 % pour les filles), selon une enquête de l’OFDT. Les définitions plus actuelles du binge drinking parlent de six ou sept verres en seulement deux heures. Certains jeunes peuvent consommer bien au-delà de ces repères, au moins deux ou trois fois. On parle alors de binge drinking de l’extrême ou à haute intensité. La définition reste donc débattue au niveau international.

L’alcool reste la première substance psychoactive consommée à l’adolescence. Dans tous les cas, le comportement de binge drinking est à éviter car les forts niveaux d’alcoolisation sont délétères pour le cerveau, le foie, le cœur, et il y a des effets sur la neuro-inflammation qui peut laisser des traces à très long terme.

Atteindre de deux à quatre grammes par litre de sang en une soirée peut laisser des séquelles sur le cerveau en développement. Une étude américaine publiée en 2020, menée sur des étudiants qui faisaient une soirée pour fêter leurs 21 ans, a montré des atteintes du corps calleux [fibres nerveuses reliant les deux hémisphères cérébraux], cinq semaines après la soirée. On dispose cependant de très peu de travaux sur la récupération du cerveau après l’arrêt du binge drinking.

Une étude française de 2019 a montré que répéter du binge drinking au moins deux fois par mois entre 18 et 25 ans triple le risque d’être alcoolodépendant. S’il est souvent associé aux jeunes, des données rapportent que de plus en plus de seniors s’y adonnent.

Comment expliquez-vous que, malgré ces données, les pouvoirs publics ne soutiennent pas le « Défi de janvier » ?

Je vous rappelle que, en novembre 2019, l’opération Dry January était sur les rails, sous la houlette du ministère de la santé, de Santé publique France, des associations, etc. Emmanuel Macron l’a stoppée en annonçant, lors d’un déjeuner avec les représentants du monde viticole, que l’opération n’aurait pas lieu. Le lobbying du vin et de l’alcool est très fort en France.

Pas du tout. Le ministre de la santé est allé inaugurer des lieux sans tabac, mais quand il s’agit d’attaquer avec la même puissance l’alcool, il n’y a plus personne. Le président de la République a reçu le titre de « personnalité de l’année » aux Trophées du vin 2022 de La Revue du vin de France.

En France, on doit lutter contre une communication positive à l’égard de l’alcool et ses potentiels effets positifs. Des communes ont bataillé pour interdire la publicité pour l’alcool autour des établissements scolaires. Le marketing à l’égard des jeunes est très agressif.

Pourtant le message est clair : toute consommation d’alcool est dangereuse pour la santé. Le message positif de la possibilité d’améliorer la santé par la réduction de la consommation, voire l’abstinence, devrait être défendu par les décideurs politiques pour réduire le lourd fardeau sanitaire et sociétal de l’alcool.


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