lundi 9 janvier 2023

Aux Etats-Unis, on composte aussi les défunts


 



Par   Publié le 05 janvier 2023

Le compostage des défunts, ou technique de réduction naturelle du corps, se développe outre-Atlantique. La pratique permet de limiter l’empreinte carbone élevée des funérailles traditionnelles.

Seth Viddal, copropriétaire de The Natural Funeral, se tient derrière une cuve de compostage d’un corps humain presque terminée à Arvada, au Colorado, en août 2021.

Huit cercueils dans un entrepôt. Des « vaisseaux », préfère dire Seth Viddal, le maître des lieux. Des embarcations qui emportent les défunts pour un voyage de trois ou quatre mois vers la décomposition finale. Les caissons – en acier inoxydable – sont recouverts d’un linceul blanc. Chacun est veillé par une plante verte, qui donne au hangar un air de solennité – il s’agit tout de même de corps humains. Un thermomètre digital mesure la température à l’intérieur des cylindres. L’un affiche 65 °C ; un autre, 55… « A 50 °C, je les retourne », signale Chris Olachia, le responsable des opérations.

Le hangar de The Natural Funeral, la maison de pompes funèbres dirigée par Seth Viddal, se trouve à Arvada, dans une zone semi-industrielle de la banlieue de Denver (Colorado), entre équipementier automobile et grossiste en recyclage. Difficile d’imaginer que s’invente ici une pratique qui prétend révolutionner les rites funéraires aux Etats-Unis : le body composting, ou décomposition naturelle – et accélérée – des défunts, une alternative écologique aux enterrements et crémations. « Jusqu’ici, les familles n’avaient que deux solutions à leur disposition. On veut leur donner le choix », explique Seth Viddal dont la longue barbe de sage fait plus penser à un maître zen qu’à un croque-mort.

Depuis mars 2022, The Natural Funeral a rendu quarante défunts à la terre (dont six issus d’autres Etats). Le premier avait 19 ans. Victime d’un accident, le jeune Joseph Poisson, de Boulder, a inauguré le processus, selon le souhait de ses parents. En cette fin décembre 2022, quatorze corps sont en cours de « réduction naturelle », l’expression contenue dans la loi. Ils réapparaîtront dans trois ou quatre mois – selon les individus et la manière dont ils sont morts – sous la forme d’un terreau noir et fertile, qui sera remis à la famille. Chaque corps remplit l’équivalent de trois brouettes, précise Chris Olachia. « C’est un grand honneur de les restituer aux proches. Nous régénérons la planète. »

Restaurer le lien des humains à la terre

The Natural Funeral est l’une des quatre entreprises qui pratiquent le body composting aux Etats-Unis. Le processus, développé à Seattle, par l’étudiante en architecture Kate Spade, a été légalisé par l’Etat de Washington le 21 mai 2019, une première mondiale. Depuis, il ne cesse de gagner en popularité, en particulier dans l’Ouest américain, terre où la nature est un souci constant. A l’approche de la mort, la génération des baby-boomeurs est saisie d’un engouement croissant pour les rites alternatifs, moins polluants et invasifs que les méthodes dictées par l’industrie des pompes funèbres. Crémation liquide (en trois heures, le corps est dissous dans l’acide), cimetières et soins funéraires certifiés « verts »… L’objectif du mouvement est de restaurer le lien des humains à la terre, en même temps que de lui rendre leur corps.

Après six mois de compostage, les restes humains sont donnés aux familles sous forme de terreau.

A ce jour, le compost humain est accessible dans quatre Etats (Washington, Colorado, Oregon et Vermont, depuis début janvier). Dans l’Etat de New York, la loi, adoptée en juin 2022, a été promulguée par la gouverneure, Kathy Hochul, le 31 décembre. La Californie a légalisé la pratique en septembre, mais la loi n’entrera en vigueur qu’en 2027. La plupart des textes limitent l’utilisation qui peut être faite du compost : il ne peut pas être vendu comme engrais ou utilisé pour fertiliser des produits d’alimentation humaine (pour éviter les éventuelles contaminations au plomb ou au mercure).

Le body composting ne nécessite ni gaz, ni embaumement, ni caveau. Le corps est transformé en humus grâce à des accélérateurs naturels de décomposition : copeaux de bois, foin et luzerne. Les familles peuvent y joindre des fleurs, des messages ou des pommes de pin, lors de ce qui n’est pas une mise en bière, mais une cérémonie de laying in : le coup d’envoi de la transformation. Avant fermeture du cylindre, une « tisane microbienne », composée de 25 souches de bactéries et de 15 spores de champignons, est ajoutée au mélange, explique Seth Viddal. Le vaisseau est traversé d’un léger courant d’oxygène, « comme un aquarium », et retourné plusieurs fois pour éviter que les bactéries ne suffoquent. Dès le premier jour, la température commence à augmenter du fait de l’activité microbienne, puis chaque jour s’accroît de plusieurs degrés.

« La nature a tous les ingrédients »

La loi ne précise pas de « recette ». Elle impose seulement qu’une température de 131 degrés Fahrenheit (55 °C) soit maintenue pendant au moins soixante-douze heures d’affilée pour éliminer les agents pathogènes. Après avoir tâtonné, The Natural Funeral est parvenu à une formule similaire à celle inventée par Recompose, l’entreprise pionnière de Seattle, fondée par Kate Spade. « On s’inspire des méthodes utilisées dans les fermes pour éliminer les animaux morts, décrit Seth Viddal. La nature a tous les ingrédients. » Le mix varie en fonction du poids de l’individu et de ses antécédents sanitaires. « S’il a subi une chimiothérapie, ou une autopsie : c’est ce qui perturbe le plus le fonctionnement gastro-intestinal. »

Le « vaisseau » est ouvert une première fois après deux mois et demi de transformation. Il ne reste que les os, les pacemakers, les prothèses en titanium… Les premiers sont concassés et replacés dans le terreau, sous forme de poudre blanche. « Deux jours plus tard, ils ont disparu », déclare le directeur, admiratif. Les matières non organiques sont recyclées. Le titanium est renvoyé aux fabricants de matériel médical. « Dans les enterrements, les parties métalliques sont inhumées avec les corps. Pendant les crémations, elles sont brûlées. Nous, nous recyclons tout », se félicite-t-il.

 Les dents sont retirées, lors de la crémation et du compostage, pour éviter que le mercure contenu dans les plombages dentaires ne contamine l’environnement, à The Natural Funeral, à Arvada, au Colorado, en août 2021.

Selon ses partisans, la réduction naturelle permet de diminuer nettement l’empreinte carbone des pratiques post mortem. La crémation consomme l’équivalent d’un trajet en voiture de 740 kilomètres, et elle libère des substances comme le mercure ou les particules fines dans l’atmosphère. Les inhumations, elles, ne dégagent pas d’émissions toxiques, mais le bilan carbone de la construction des cercueils et des caveaux, le recours aux soins de thanatopraxie, l’entretien perpétuel des concessions, la place occupée dans les villes, en font un procédé qui représente pratiquement autant d’émissions de COque les crémations. En revanche, la pratique du compost humain permet de réduire l’empreinte carbone d’une tonne par individu, affirment les experts.

Des écologistes convaincus

Le compost naturel n’est pas à la portée de tous : 7 900 dollars (7 500 euros) à la maison funéraire de Denver, contre 2 400 dollars pour la crémation. Mais les clients sont des écologistes convaincus, qui veulent une fin à l’unisson des valeurs qu’ils prônaient de leur vivant. « Ce sont ceux qui adoptent les panneaux solaires et les tondeuses électriques plutôt qu’à essence, explique Seth Viddal. Les gens qui avaient arraché leur pelouse pour économiser l’eau ne veulent pas se retrouver dans un cimetière arrosé deux fois par jour. » Nombre de jeunes sont aussi séduits par l’idée de la contribution au cycle de la nature. Recompose propose un contrat prédécès : plus de 1 000 clients l’ont souscrit ; un quart d’entre eux sont âgés de moins de 40 ans.

Dans les Etats qui l’ont adopté, la légalisation du compost humain – un « effort réfléchi pour réduire notre empreinte environnementale », s’est félicité le gouverneur démocrate de l’Etat de Washington, Jay Inslee – a été largement consensuelle. Dans cet Etat, deux tiers des républicains ont voté pour : notamment les représentants des comtés agricoles, intéressés par la perspective de régénération des sols. En Californie, les adeptes ont fait valoir que les crématoriums avaient été débordés pendant l’épidémie de Covid-19, au point qu’il avait fallu suspendre la réglementation sur la pollution de l’air, et que d’autres solutions étaient nécessaires.

Seule l’Eglise catholique s’est jusqu’à présent opposée à un procédé qu’elle estime mieux adapté à l’élimination « des épluchures de légumes et coquilles d’œufs » qu’au recueillement qui sied au départ des humains vers l’au-delà. Dans l’organe de droite National Review, l’idéologue conservateur Wesley Smith a dénoncé ces pratiques alternatives. Elles sont selon lui le signe du « profond effondrement des valeurs chrétiennes en Occident et de la montée météorique de la morale néo-païenne de vénération de la nature ».


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