mardi 20 décembre 2022

Témoignages Chirurgie pédiatrique, les reports de l’angoisse

par Apolline Le Romanser  publié le 19 décembre 2022 

La surcharge des services de pédiatrie et le manque de lits contraignent les soignants à déprogrammer des soins. Les jeunes patients et leur famille subissent l’angoisse de l’attente et le poids des démarches à recommencer.
publié le 19 décembre 2022 à 16h52

Un lit simple, aux draps couverts d’animaux, monté sur des roulettes et accompagné d’une pompe à nutrition. A côté, d’autres équipements médicaux : ici, une sonde pour aspirer les mucosités, là, un masque à inhalation. Et d’innombrables fioles en verre. On en oublierait presque la fonction première de la pièce : une chambre d’enfant. «C’est l’hôpital qui s’invite à la maison», ironise Cécile. Car dans ce petit lit médicalisé, niché dans une maison au cœur des Yvelines, dort Mael, son fils de 8 ans.

Mael est atteint d’une maladie génétique qui lui cause un polyhandicap sévère, le rend très dépendant et peut provoquer des tachycardies ou épilepsies. Depuis sa naissance, il a été hospitalisé de nombreuses fois – neuf mois en tout –, suit des séances de kiné chaque semaine et ses parents lui font faire régulièrement des aérosols pour sa respiration. Mais son traitement s’est alourdi depuis plusieurs mois. La faute à une bactérie qui ronge ses poumons depuis un an, contre laquelle les cures d’antibiotiques n’ont rien donné. Et à une opération reportée.

Pour vaincre la bactérie, ses antibiotiques doivent être administrés par intraveineuse. Ce qui signifie poser un cathéter central sous anesthésie générale. «Le 15 novembre, le pneumologue a insisté pour l’opérer, se souvient Cécile. Mais il a été clair : le prochain rendez-vous ne sera pas avant le 20 janvier, le temps que passent les épidémies de grippe et de bronchiolite. Mael a besoin d’un lit disponible en réanimation au cas où son réveil se passe mal. L’hôpital n’en aura pas d’ici-là.» Alors il faut attendre. Augmenter les doses des traitements pour éviter une surinfection. Enchaîner les nuits blanches pour aspirer les sécrétions dans sa trachée. «Ce qui était du confort est devenu vital, soupire sa mère. Avant, nous ne lui faisions ces aspirations qu’une fois par semaine en hiver. Maintenant c’est six fois par jour. On est inquiets. Le moindre rhume, ou pire le Covid, pourrait être très dangereux. S’il doit aller aux urgences, on ne sait même pas ce qu’il y aura pour l’accueillir.»

Posologies envoyées par mail

Le cas de Mael est un énième reflet de la crise que traverse la pédiatrie, et plus globalement l’hôpital public. Services surchargés, manque d’effectifs et de lits : la problématique n’est pas nouvelle mais a été exacerbée par la crise du Covid, qui a épuisé les soignants. Se sont ajoutées cet automne les épidémies de grippe et surtout de bronchiolite. En pédiatrie, des hospitalisations sont annulées, des chirurgies reportées. Les soignants et associations de patients dénoncent un «tri»des enfants.

Pour Mael, l’attente et le risque de surinfection contraignent ses parents à redoubler de précautions : «Avec le froid et l’humidité, on sort moins», dit Cécile. Elle et son ex-conjoint s’efforcent de garder le sourire en présence de leur fils. «Mael ne parle pas et ne parlera jamais, mais il ressent les choses. Il est inquiet.» Le petit garçon vient même de commencer des séances avec une psychologue au sein de l’institut médico-éducatif où il passe ses journées. Ses parents, eux, continuent de s’entraider : Mael vit chez l’un puis l’autre une semaine sur deux, mais leurs maisons sont voisines. Cécile adapte ses horaires à la bibliothèque, lui télétravaille plus souvent ; dès que l’un en a besoin, l’autre vient l’épauler.

La famille est d’autant plus préparée que ce n’est pas la première fois qu’elle se heurte aux portes closes de l’hôpital. Il y a eu ces crises d’épilepsie à répétition, jusqu’à 20 par jour, traitées à domicile par les parents avec un suivi neurologique par téléphone. Les nouvelles posologies qui, «avant», entraînaient une hospitalisation et sont désormais envoyées par mail. Et il y a, surtout, ces injections pour lui débloquer les épaules en attente depuis deux ans. «Oui, nous nous sentons triés, soutient Cécile. Mais ce tri n’est pas visible. Il se fait à la maison, par téléphone.»

Obtenir un lit à l’hôpital n’est pourtant pas une garantie, même de manière programmée. Raphaël, 8 ans, vit près d’Aix-en-Provence et souffre d’un problème d’audition pour le moment peu handicapant, même si certains sons forts lui sont douloureux. «Il compense avec son autre oreille», explique sa mère, Ingrid. Mais son audition s’est encore réduite sans que la cause ne soit identifiée. Pour le comprendre, une chirurgie exploratrice est décidée. Elle est d’abord prévue pour octobre, mais reportée faute de place au bloc opératoire. L’intervention est finalement panifiée le 14 novembre.

L’école est prévenue – Raphaël ne pourra pas y aller pendant une semaine –, la cantine annulée, ses cours de musique également. Les congés de ses parents sont posés ; Ingrid, greffière, a déplacé un examen professionnel pour accompagner son fils. Le jour J, ils se rendent tôt à l’hôpital. Le petit garçon est préparé par l’infirmière, prend ses bracelets, en met un sur son doudou. «A 8 heures, l’ORL est venue nous voir, très énervée, se rappelle Ingrid. Elle n’avait pas son matériel, l’infirmière instrumentiste n’était pas là et personne ne pouvait la remplacer. Elle n’allait pas pouvoir opérer.» Raphaël fond en larmes. Sa mère, elle, est médusée. «Mon cerveau s’est aussitôt mis en marche. Pas d’opération, ça voulait dire qu’il pouvait retourner à l’école le lendemain, donc je devais rappeler la mairie pour qu’il puisse manger à la cantine. Moi, il fallait que je retravaille, donc que je prévienne mes chefs et annule mes congés…»

Poids de l’organisation

Chaque opération nécessite une organisation plus ou moins lourde. Et avec elle une charge mentale que les déprogrammations ne font qu’aggraver. Le report, en une minute, balaye tout. Louise (1), 13 ans, en est à son troisième. L’adolescente souffre d’une myopathie, maladie dégénérative qui affecte ses muscles et cause, entre autres, une scoliose. Sa déformation se dégrade malgré le corset qu’elle porte depuis quatre ans. Après plusieurs avis médicaux, une opération est décidée en février et une première date fixée en juillet.

Louise vit en Auvergne, avec ses parents, son frère et sa sœur, mais elle doit se rendre à Paris pour se faire opérer. Elle dormira à l’hôpital ; son père et sa mère chez des amis. Quelques semaines à peine avant la chirurgie, l’opération est reportée : les effectifs manquent, période estivale oblige. L’intervention est reprogrammée en septembre. Tout est fin prêt deux mois plus tard : la collégienne a suivi un protocole strict pendant huit jours, elle et sa mère attendent désormais dans sa chambre d’hôpital. Le brancardier ne viendra jamais la chercher. Opération annulée. Le bloc opératoire était prêt, l’équipe également, mais aucune place n’est disponible en réanimation.

Son chirurgien se démène et finit par s’arranger avec un autre patient pour reprogrammer l’intervention dans la semaine. Mais l’histoire se répète : toujours aucune place en réanimation. Alexandra (1), la mère de la patiente, décide de changer d’hôpital. «A Paris, le problème n’allait jamais être résolu», soupire, excédée, cette infirmière en Ehpad.

Le dossier de sa fille est finalement transféré à l’hôpital de Lyon. «On a la chance d’avoir des amis un peu partout pour nous héberger», dit-elle. Une quatrième date est fixée : février 2023, soit un an après la décision initiale d’opérer. Entre-temps, la scoliose de Louise a empiré et son corset n’a pas été changé. «Avec les opérations, rien n’avait été prévu pour lui en fabriquer un autre», déplore Alexandra. Alors elle entame de nouvelles démarches, prend des rendez-vous, s’impatiente et «râle». Sa fille souffre et la situation n’avance pas. «Je me suis énervée face aux médecins, admet-elle. Ces reports, on les vivait comme un échec. J’étais crevée, j’en avais marre. Je n’étais pas censée faire tout ça.»

«On a dû se battre, on était seuls»

A la mi-novembre, une place s’est libérée «comme par magie». La chirurgie peut avoir lieu en le 8 décembre. Le«combat» a payé. «On a dû se battre. Je suis épuisée. Même quelques jours avant l’opération, je n’y croyais plus», souffle Alexandra dans un couloir de l’hôpital lyonnais, pendant que sa fille se fait opérer. Le couac aurait même pu se répéter : une fois encore, le service de réanimation était plein. Une place a été trouvée dans un établissement situé à quinze minutes.

Comme Ingrid et Cécile, Alexandra ne reproche rien au personnel médical et paramédical. Les trois mères racontent toutes les excuses, la lassitude, la fatigue des soignants à chaque nouvel obstacle qu’ils devaient leur annoncer. «Ils ont été aux petits soins», assure Alexandra. «Je travaille dans la justice, je comprends très bien ce que c’est de ne pas avoir les moyens pour faire du bon travail, convient Ingrid. Ils font au mieux.»

Mais toutes ont constaté, à leurs dépens, la dégradation de l’hôpital. Et leur confiance dans l’institution s’est érodée. «Je sais que l’état de santé de Louise va se dégrader, qu’il va y avoir d’autres combats à mener, reconnaît Alexandra. Avec ce que nous avons traversé, j’ai peur pour la suite.»

(1) Le prénom a été modifié


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