jeudi 8 décembre 2022

La chronique de Tania de Montaigne Fatigue inclusive

par Tania de Montaigne  publié le 7 décembre 2022

Chaque année, des entreprises se félicitent de pratiquer un recrutement inclusif, sans discriminations, et nous les congratulons en retour. Il serait peut-être temps d’arrêter de saluer le simple respect de la loi et de s’atteler à sanctionner ceux qui refusent cette justice élémentaire.

En début de semaine, on a célébré la journée internationale des personnes handicapées. Durant cette journée, on a pu voir, partout dans le monde, des petits films trop sympas qui montrent à quel point c’est bien d’être gentil avec les handicapés car : ce sont des êtres de lumière, riches de pleins d’expériences fabuleuses et qui, parfois même, gagnent des médailles aux Jeux olympiques et ça, c’est vraiment super. Youpi ! On aura aussi vu des clips où des gens, avec et sans handicaps, rient, tous ensemble, dans un esprit de partage et d’inclusion totale. Inclusion étant entendue comme : la grande largesse d’esprit qui me fait t’accueillir dans mon monde extraordinaire, toi le handicapé.

Puis, en mars viendra la journée internationale des droits des femmes qui, comme chaque année, sera rebaptisée journée de la femme. Outre les très belles ristournes qui seront faites, ici et là, sur des friteuses, des appareils d’épilation ou des cours d’abdos-fessiers ; lors de cette journée, on entendra plein de gens expliquer à quel point les femmes, c’est chouette. «Ah la la, qu’est-ce qu’on ferait sans elles ?» «Elles sont tellement intuitives, c’est une vraie richesse pour nos sociétés !» On verra aussi des petits films où des entreprises s’autocongratulent d’avoir autant de représentantes du sexe féminin dans leurs locaux. «Go go les filles, on vous aime !» Le tout dans un esprit de chaleur et d’inclusion massive. Inclusion étant entendue comme : je suis tellement open dans ma tête que je vais te faire une place dans mon monde de winner, toi la femme.

Toi le pas comme moi

Et puis, on enchaînera tranquillement avec la journée pour l’élimination de la discrimination raciale. Journée pendant laquelle tout un chacun se félicitera d’avoir un ami noir, une copine aux yeux bridés ou une employée musulmane, parfois même les trois. «Y’a une telle richesse de leur culture, waouh !» Le tout dans un esprit d’écoute et de supra inclusion. Inclusion étant entendue comme : t’as pas une vie facile, mais je vais te prendre sous mon aile et, grâce à moi, tu pourras entrer dans cet espace VIP qu’est ma vie, toi le pas comme moi.

Et d’autres journées s’enchaîneront tout au long de l’année, et les années suivantes, et celles d’après encore, multipliant les occasions de balancer du méga love et de l’inclusion à plein tube. L’inclusion étant toujours présentée comme l’opposé de l’exclusion, soit : un geste d’ouverture, à l’égard de celui ou celle que l’on regarde comme étant plus faible que soi, là, où l’exclusion, elle, n’est que fermeture. Inclusion ou exclusion, dans les deux cas s’affirme l’expression du bon vouloir d’une personne, qui, soit ouvre, soit ferme la porte d’une société, faisant ainsi preuve de sa grandeur ou de sa bassesse. Maintenant, faisons ensemble une expérience un peu fofolle. Et si on opposait au mot «exclusion», non pas «inclusion», mais «justice» ? J’avais prévenu que ce serait foufou. Dès lors, on replacerait l’exclusion à l’endroit où elle se trouve vraiment, c’est-à-dire, du côté de pratiques parfaitement illégales, en contradiction totale avec le respect des droits humains. Il ne s’agirait plus, alors, de penser que certains citoyens dépendraient du bon vouloir de gens sympas pour pouvoir travailler, se loger, se déplacer… mais de prendre la mesure du préjudice qui leur est fait. Rupture d’égalité, déni de liberté. S’il n’est plus question de bon vouloir mais de justice, s’il ne s’agit plus d’amour de son prochain mais de droit, alors, tout change. Puisque la question ne sera plus tant de congratuler des entreprises qui recrutent des noirs, embauchent des handicapés ou payent leurs employées féminines au même niveau que leurs collègues masculins. Ce qui, finalement, serait un peu comme féliciter quelqu’un de n’avoir pas brûlé un feu rouge ou de n’avoir tué personne. Mais plutôt, de traîner devant les tribunaux les personnes où les entreprises qui, en laissant de côté des femmes et des hommes en raison de leur sexe, leur couleur de peau, leur religion réelle ou supposée, leur handicap, leur taille, leur poids, leur âge, leur sexualité… contreviennent à la loi et, par conséquent, s’exposent à des peines allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. C’est peut-être de ça dont devraient, avant tout, parler ces journées internationales.


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