lundi 26 décembre 2022

Job de reine : coucher et accoucher

par Agnès Giard  publié le 24 décembre 2022

Dans l’histoire de France, le rôle des reines se cantonne souvent à celui de génitrice. Dans son livre «le Corps des reines», l’historien Stanis Perez invite à redécouvrir l’histoire sensible et stratégique de ces femmes couronnées.

Dans la France de l’Ancien Régime, le corps du roi permet de penser l’autorité, celui de la reine, la fécondité. La reine est tenue d’enfanter les princes. Elle doit coucher et accoucher, ce qui fait d’elle l’objet d’une surveillance obsessionnelle. Ses rapports, ses bains, ses promenades, son alimentation : tout est contrôlé, en vue d’optimiser les chances qu’elle tombe enceinte d’un enfant mâle vigoureux. Le destin du royaume est «directement relié» à son ventre. Chercheur spécialisé dans l’histoire de la médecine, Stanis Perez signe avec le Corps de la reine (1), la suite logique d’ouvrages consacrés à la Santé de Louis XIV et à la Mort des rois, c’est-à-dire au statut ambigu des monarques : ils souffrent de caries ou de fistules anales mais leur statut reste celui d’êtres privilégiés, apparentés au surnaturel. Dans le cas des reines, l’ambiguïté corporelle est d’autant plus troublante qu’elle touche aux fonctions intimes.

Ecartée du pouvoir par la règle dite de «primogéniture masculine» (2), la reine en France n’est souvent qu’une esclave sexuelle au service de lignées dynastiques. Sous les Capétiens (987-1792), en effet, le trône se transmet de façon héréditaire au fils aîné. Lors de la cérémonie d’intronisation, seul le roi est sacré, à l’aide d’une huile mythique, conservée dans la sainte ampoule de la cathédrale de Reims et qu’il reçoit sur la tête, la poitrine, les épaules… La reine, elle, ne se voit accorder qu’une onction simple au saint chrème, une huile de moindre importance, symboliquement déposée entre la base de son cou et la naissance de sa poitrine, c’est-à-dire dans son corsage. Alors que le roi se voit conférer la charge souveraine, la reine en est exclue car son travail – de nature obstétrique – consiste à produire des héritiers. Pour qu’elle devienne «grosse», tous les moyens sont bons, à commencer par la «sélection».

Grandes, belles et irréprochables

«Comme dans tous les contes de fées, résume Stanis Perez, on souhaitait qu’une fois mariées, de belles princesses fissent de beaux enfants. On sélectionnait – mot terrible – des jeunes femmes saines qui puissent supporter des grossesses à répétition.» Blanche de Castille épouse Louis VIII alors qu’elle a 12 ans, Marguerite de Provence 13, Isabelle d’Aragon 15. Certaines jeunes filles sont fiancées dès leurs 4 ans, mais font l’objet d’examens médicaux : il convient qu’elles soient bien formées anatomiquement. Les mariages sont autorisés dès l’âge nubile, vers 12 ans pour les filles, mais les théologiens s’élèvent contre le danger d’une grossesse prématurée. Le risque de mourir en couche est plus élevé chez une femme trop jeune. Sans compter le risque d’un bébé malformé. Dans la pratique – même si l’union charnelle est de mise le soir des noces, afin de sceller symboliquement le contrat – les rois sont contraints d’attendre que leur promise soit «prête» physiquement à porter un enfant. Certains s’impatientent.

«Isabelle de Hainaut est une fillette d’à peine 10 ans quand on lui impose Philippe pour époux.» Quatre ans plus tard, Philippe Auguste menace de la répudier parce qu’elle se refuse à lui. Le chantage fonctionne. «Trois ans plus tard, sans doute à l’issue de fausses couches à répétition», elle lui donne un successeur. En 1190, âgée de 19 ans, elle finit par succomber à un accouchement. Philippe Auguste en choisit une autre. Comme lui, les rois passent d’épouse en épouse. Les promises sont castées sur leur dot, leur mine et leurs mœurs. On les choisit grandes, belles mais surtout irréprochables : l’honneur du clan repose sur la réputation des filles à marier. Pour anesthésier leur libido avant le mariage, elles sont soumises à des bains froids, des exercices et la diète. «Manger oui, mais si peu qu’elles aient toujours faim, car, rassasiées […] elles pourraient laisser libre cours à leurs penchants lubriques», écrit l’historien, par allusion à un texte de 1246 portant sur l’éducation des jeunes filles nobles.

Accouchement dans une chambre verte

Une fois choisie, épousée, la reine est censée consommer le mariage, c’est-à-dire multiplier les rapports charnels en vue de donner la vie. Quand une reine tarde à tomber enceinte, des tests de fécondité sont effectués en laissant macérer ses sécrétions vaginales et son sang mélangé avec le sperme du roi. Si les sécrétions de la reine deviennent «empoisonnées», c’est qu’elle est stérile. Si le sperme dégage une odeur méphitique, c’est le roi qui est stérile. «Il y a évidemment peu de chances que cette méthode ait été appliquée avec succès sur le couple royal», écrit Stanis Perez qui énumère toutes les recettes employées au Moyen-Age tardif pour favoriser la fertilité : la reine doit non seulement accomplir son devoir conjugal, mais éviter de trop monter à cheval. Dès que les signes de grossesse sont constatés, elle est privée de viande rouge et doit respirer des odeurs agréables, car les miasmes sont porteurs de germes, pense-t-on.

Lorsque la délivrance approche, certains médecins de la cour recommandent les bains aromatiques (une eau dans laquelle on a fait bouillir de la mauve, de la violette, de l’orge et des graines de lin), ainsi que les massages des cuisses, du nombril et de la vulve avec de l’huile de camomille ou de «l’écume de beurre».L’accouchement se déroule dans une chambre verte, dont l’origine reste inconnue : le vert était-il alors considéré comme apaisant ou synonyme de fertilité ? Une fois le bébé extrait, son cordon est coupé à une distance de 4 doigts, sa peau frottée de sel et de miel. Des soins accordés à la reine, on ne sait rien. Une fois remise, elle doit se remettre au travail. «Il semble que les reines tombaient enceintes et portaient leur enfant à terme en moyenne tous les deux ans», résume l’historien. Parmi les plus prolifiques, il faut compter Blanche de Castille (douze enfants en vingt-six ans de vie commune) et Marguerite de Provence (onze en l’espace de vingt-six ans). Quant aux autres reines… soit elles mouraient précocement, soit elles étaient écartées, éliminées ou destituées.

(1) Le corps de la reine. Engendrer le Prince, d’Isabelle de Hainaut à Marie-Amélie de Bourbon Sicile, de Stanis Perez, Paris, Editions Perrin.

(2) Qui pose que c’est l’aîné mâle du monarque qui monte sur le trône lors de la mort ou de l’abdication de ce dernier.


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