vendredi 9 décembre 2022

Du neuf avec du vieux Paléogénétique : la découverte d’ADN ancien «ouvre une quantité infinie de portes»

par Yoanna Herrera   publié le 9 décembre 2022

Même dans leurs rêves les plus fous, les scientifiques n’avaient pas imaginé découvrir des traces d’ADN vieilles de deux millions d’années. Des analyses génétiques ont permis de reconstituer le paysage d’un Groenland plus chaud abritant une riche biodiversité.

Il était une fois au Groenland, il y a deux millions d’années, un climat plus doux et des terres qui abritaient une diversité foisonnante. Grâce aux analyses d’ADN ancien, une équipe scientifique vient de dresser le portrait d’un écosystème qui n’existe plus dans cette région du grand Nord. C’est un évènement inédit dans l’histoire de la paléogénétique. Jusqu’alors les chercheurs n’osaient même pas imaginer que des molécules aussi anciennes seraient préservées. Les résultats de l’étude ont été publiés par la revue Nature mercredi.

Il y a trois ans, les membres de l’équipe ont été stupéfiés par ce qu’ils étaient en train de découvrir : «Nous avons observé quelque chose d’étonnant : de l’ADN vieux de deux millions d’années ! C’était woaw, incroyable ! Mais nous devions nous assurer qu’il était aussi vieux qu’on le pensait», relate à Libération le professeur Kurt H. Kjær, auteur principal de l’étude. «Ces travaux démontrent l’impossible et ouvrent une quantité infinie de portes», s’enthousiasme le paléogénéticien Ludovic Orlando, directeur de recherche au CNRS. Toute la communauté scientifique célèbre cette découverte. «Longtemps on a cru qu’il n’était pas possible de retrouver de l’ADN très vieux. Mais l’année dernière un groupe suédois a repoussé les frontières à un million d’années à partir des restes de mammouth. Le record est à nouveau battu.»

«L’infiniment grand dans l’infiniment petit»

La reconstitution à haute résolution de cet écosystème est une première. La paléogénétique est une discipline qui offre une précision hors pair au moment d’identifier les espèces. Pour le paléogénéticien Ludovic Orlando cette prouesse est «colossale» «Quand on dit que l’infiniment grand est dans l’infiniment petit, c’est à la lettre. Car à partir d’une infime molécule, ils ont reconstitué les paysages du passé.» Cette étude dessine le portrait d’un paysage qu’on n’osait pas imaginer au Groenland connu pour son environnement «hostile». L’ADN nous a livré la photo d’une forêt ouverte constituée par des peupliers et des bouleaux, et habitée par des lièvres, des rennes et des cygnes. Sans oublier le mastodonte, un parent du mammouth, la plus belle surprise pour Kurt H. Kjær : «On ne s’attendait pas du tout à trouver les traces du mastodonte au Groenland.»

Les minuscules témoins de cette époque lointaine étaient attrapés dans les sols argileux – et profonds – de l’archipel. Une nouveauté dans la discipline. Auparavant «on prenait l’ADN des os fossilisés, mais là ils ont réussi à obtenir des séquençages en absence de matériel.» Cette innovation pourrait faire avancer la recherche à pas de géant. «Les fouilles prennent parfois des décennies et ne donnent pas la garantie qu’on trouvera du matériel.», poursuit Ludovic Orlando, auteur de l’ouvrage l’ADN fossile, une machine à remonter le temps.

«On a encore des molécules à libérer»

Pour séparer les séquençages des sédiments, les scientifiques ont employé une technique qui est connue depuis 2003. Ils versent les échantillons dans un volume d’eau avec des réactifs chimiques pour libérer les molécules. Mais le vrai défi a été de créer plusieurs critères d’authentification afin de vérifier leurs hypothèses. Leur approche interdisciplinaire a pris du temps mais a fini par convaincre et même surprendre leurs pairs.

Le professeur Willerslev, paléogénéticien à l’université de Copenhague et codirecteur de l’étude, pense que le travail de son équipe pourrait également renseigner sur la façon dont les futurs écosystèmes réagiront au changement climatique. «Dans ces organismes, il y a une capacité d’adaptation en composition et en gamme que nous ne comprenons pas et que nous ne pouvons pas prédire», explique-t-il sur le site de Nature. Maintenant, grâce à ce croisement de méthodes, les paléogénéticiens s’autorisent à voir les choses en grand : «On peut imaginer l’exploration des fonds océaniques. Leur recherche sous-entend que si on faisait la même chose au fond des océans, on pourrait reconstituer la paléoécologie de ces zones de la planète», se réjouit leur ami et confrère Ludovic Orlando. Et, «même si on est fascinés par ces résultats, maintenant on sait qu’on peut même espérer mieux. On a encore plein de molécules à libérer», conclut le chercheur, plein d’optimisme. Pour la recherche en paléogénétique les perspectives semblent désormais infinies.


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