par Nathalie Raulin publié le 8 décembre 2022
La France doit-elle légaliser l’aide active à mourir pour les malades incurables ? Ou, pour reprendre la formulation volontairement neutre de la Première ministre Elisabeth Borne : «Le cadre d’accompagnement de fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ?» A partir de ce vendredi et jusqu’en mars 2023, la convention citoyenne sur la fin de vie organisée par le Comité économique social et environnemental (CESE) à la demande expresse de l’exécutif, se saisit de la question. Preuve de son intérêt, Elisabeth Borne assistera à son lancement. Cet exercice de démocratie participative devait réunir 150 citoyens, représentatifs de la diversité de la société. Ils seront finalement 173. «L’avis final devra être rendu par 150 citoyens qui devront avoir suivi de bout en bout le programme de travail, soit 27 jours sur trois mois et demi,explique Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la convention. Pour anticiper l’éventualité d’abandons en cours de route, nous avons choisi d’accueillir un peu plus de citoyens au départ.» Autre ajustement : tous les participants ont été tirés au sort, sauf huit. «Nous voulions que notre panel intègre des personnes en situation de grande précarité, poursuit l’organisatrice en chef. Pour ce faire, le tirage au sort n’est pas adapté. Nous nous sommes adressés à des associations, dont ATD Quart Monde, pour les recruter.»
«Changement de cadre légal»
Promesse de campagne du candidat Macron, convaincu à titre personnel de la nécessité de «bouger» sur le sujet de la fin de vie «parce qu’il y a des situations inhumaines qui persistent», cette consultation citoyenne s’inscrit dans un contexte plus ouvert que jamais. En estimant dans un avis rendu public le 13 septembre qu’il «existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes», le Comité consultatif national d’éthique a levé un frein important au «changement de cadre légal» auquel le chef de l’Etat s’est dit prêt, le «cas échéant», à procéder «avant la fin de l’année 2023.»
Mais les oppositions à ce qui pourrait être la grande réforme sociétale du second quinquennat ne désarment pas. Qu’elles viennent des soignants, fédérés par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), qui privilégient le déploiement d’unités de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire (26 départements n’en disposent pas), ou des instances religieuses, ouvertement hostiles à une évolution de la loi Claeys-Leonetti de 2016 vers un droit à réclamer l’euthanasie ou le suicide assisté, même strictement encadré. De quoi inciter l’Elysée à la prudence.
«L’opinion souhaite une évolution»
Avant d’avancer plus avant sur l’aide active à mourir, l’exécutif entend s’assurer du soutien sans faille de l’opinion. A en juger par le résultat des sondages depuis dix ans, il est acquis. Mi-octobre, une enquête de l’Ifop pour l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) indiquait que 78 % des Français interrogés attendent de la convention citoyenne qu’elle encourage une évolution législative. «Il y a de nombreux parallèles entre les débats sur la légalisation de l’aide active à mourir et l’avortement», fait valoir le député Olivier Falorni, nommé à la tête de la mission parlementaire lancée pour évaluer les avancées et les insuffisances de la loi Claeys-Leonetti. «Il y a les euthanasies clandestines, l’exil obligé vers l’étranger de personnes condamnées qui souhaitent mettre un terme à leur vie dans des conditions apaisées, l’hésitation de l’exécutif à prendre position malgré des souffrances que l’on ne peut nier. La vraie différence, c’est que, sur la fin de vie, le pays n’est pas fracturé. Tous les sondages le disent : l’opinion souhaite une évolution de la législation.»
Un argument irrecevable pour les adversaires du changement. Car les réponses des sondés manquent souvent d’assise. Selon un sondage sur «Les Français et la fin de vie», dévoilé le 2 décembre par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie et le ministère de la Santé, moins d’un Français sur deux connaît les conditions requises pour exiger la sédation profonde et continue jusqu’au décès, prévue par la loi Claeys-Leonetti. Et moins d’un sur cinq maîtrise les dispositifs législatifs encadrant la fin de vie actuellement en vigueur.
«Débattre, ce n’est jamais pour rien»
D’où l’intérêt suscité par la convention citoyenne, jusque dans les milieux universitaires. Cette fois, tout est fait pour que les citoyens puissent formuler un avis éclairé. Au cours des deux premiers week-ends dits «d’appropriation», les conventionnés vont prendre connaissance de l’information disponible sur la fin de vie – rapports, ouvrages, dispositions législatives en France et chez nos voisins – et entendre des experts de la question. «On va aussi leur soumettre douze histoires pour illustrer les situations complexes qui peuvent se poser, indique Claire Thoury. A charge ensuite pour eux d’identifier les sujets qu’ils veulent creuser. Notre rôle sera simplement de veiller à la pluralité et l’équilibre des prises de parole.» Les deux derniers week-ends seront consacrés à la mise en forme de l’avis public réclamé par l’exécutif.
Reste à savoir ce qu’il adviendra de leurs conclusions. Echaudé par les résultats de la convention citoyenne sur le climat, l’exécutif a pris ses précautions : pas question de s’engager à reprendre «sans filtre» le résultat des travaux citoyens. «La convention n’a pas vocation à se substituer au Parlement, approuve Olivier Falorni. C’est aux députés et aux sénateurs qu’il revient de légiférer.»«Débattre, ce n’est jamais pour rien» mais «c’est le président de la République qui décidera», a de son côté prévenu Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux professions de santé.
Il sera pourtant difficile d’ignorer le fruit de la réflexion conventionnelle. «L’avis produit aura une forme de robustesse qui imposera de dire ce qu’on en fait», estime Sandrine Rui, enseignante-chercheuse en sociologie à l’université de Bordeaux, et membre du comité de gouvernance de la convention. Claire Thoury abonde. «On ne peut pas demander à des citoyens de travailler 27 jours et ne pas répondre à leurs travaux.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire