jeudi 15 décembre 2022

A Bobigny, des pédopsychiatres mobilisés contre «l’écroulement du secteur»

par Antoine Gallenne   publié le 15 décembre 2022

Mercredi, le collectif Pédopsy 93 manifestait dans la commune de Seine-Saint-Denis pour dénoncer la dégradation de la prise en charge des enfants atteints de troubles mentaux. Le département le plus jeune de France métropolitaine est l’un des plus mal pourvus en moyens de soins psychiques.

«Nous sommes obligés de trier les enfants.» Pour Bertrand Welniarz, chef de service de pédopsychiatrie de l’établissement public de santé de Ville-Evrard, la situation est critique. Dans un froid glacial, le médecin, écharpe autour du cou, est venu accompagner ses collègues à l’occasion de la «Marche pour les enfants». Organisée à Bobigny par le collectif Pédopsy 93 qui regroupe plusieurs chefs de service de pédopsychiatrie et des médecins de centres médico-psychologiques (CMP) de Seine-Saint-Denis, la mobilisation avait pour objectif de dénoncer le manque de moyens en pédopsychiatrie. «Dans le département, nous avons 1 500 places en institut médicoeducatif [IME] alors que 2 500 enfants sont sur liste d’attente», soupire Jean-Pierre Benoit, chef du pôle de pédopsychiatrie de Saint-Denis, qui dit assister à «l’écroulement du secteur». Au total, 7 000 enfants sont en attente d’une structure en Seine-Saint-Denis. Ici, les prises en charge tardives sont légion : il faut attendre en moyenne dix-huit mois pour une place en CMP. Un désastre aux yeux de Bertrand Welniarz : «Plus une prise en charge prend du retard, plus ce sera compliqué pour l’enfant. C’est du temps précieux qui est perdu et ce n’est pas sans conséquence.»

Ces délais à rallonge, Sishan Gonowrée les connaît bien. Père d’une fille autiste de 12 ans, il a dû attendre neuf années pour que sa fille soit prise en charge à temps partiel. «Pendant neuf ans, on a réclamé une place en IME. On nous disait toujours qu’elle n’était pas prioritaire.» Depuis septembre, sa fille est prise en charge dans un hôpital de jour où elle s’y rend le matin avant d’aller à l’école avec une éducatrice spécialisée l’après-midi. «C’est bien, mais on sent que c’est de la bidouille. Les hôpitaux de jour ne sont pas spécialisés dans l’autisme. L’idéal serait une prise en charge dans un IME.» Egalement coordinateur handicap de la ville de Bobigny, le père de famille avait beaucoup compté sur les assises de la santé mentale et de la psychiatrie organisées en septembre 2021 par l’exécutif. Finalement, la déception a été grande : «Rien n’a changé depuis.»Pour les professionnels de santé, le constat est similaire : «Ces assises ont permis à mon service d’accueillir un psychologue supplémentaire, souligne Bertrand Welniarz. Même s’il y a quelques progrès, ce n’est pas sérieux. Il faudrait doubler les effectifs.»

«Nous avons perdu 20 à 25 % de nos effectifs»

Crise de vocation, épuisement, perte de sens, les soignants sont nombreux à rendre leur tablier : «Depuis le Covid, nous avons perdu 20 à 25 % de nos effectifs, liste Laure Quantin, pédopsychiatre au centre hospitalier de Saint-Denis. Les soignants ne sont pas remplacés. Comment voulez-vous qu’on arrive à attirer les jeunes dans ce contexte ?»

Face au manque de pédopsychiatres en hôpitaux, les familles font parfois le choix du libéral. Là aussi, la situation est tendue : il faut attendre. Le département ne compte en effet que dix soignants libéraux sur les 500 qui couvrent tout le territoire français. Dérisoire par rapport aux 15 000 psychiatres pour adultes. Concernant les orthophonistes, qui interviennent également auprès d’enfants souffrant de troubles psychiques, la situation est équivalente : il faut en moyenne un an pour un premier rendez-vous et un à deux ans pour un rendez-vous dans un centre médico-psychologique.

Malgré ces lacunes médicales, le département de 1,6 million d’habitants développe ses infrastructures, un paradoxe pour Bertrand Welniarz : «Les communes de Seine-Saint-Denis construisent des écoles, collèges et lycées. Mais aucune n’édifie de centre médico-psychologique !»

Les revendications sont nombreuses : le collectif demande plus de moyens pour la pédopsychiatrie, plus de classes Ulis (dédiés aux élèves en situation de handicap), une meilleure inclusion scolaire avec davantage d’accompagnants pour les élèves en situation de handicap (AESH), et plus de places en IME. Le collectif a rendez-vous avec l’agence régionale de santé d’Ile-de-France lundi 2 janvier pour en discuter.


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