vendredi 11 novembre 2022

SDF Crise de l’hébergement d’urgence : à Bordeaux, déjà un mois de grève pour les maraudeurs bénévoles

par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux  publié le 11 novembre 2022 

Depuis le 10 octobre, plus d’une centaine de bénévoles, habitués à aller à la rencontre des personnes sans-abri dans la métropole girondine, sont en grève illimitée pour dénoncer les «carences de l’Etat».

Un mois déjà. La décision a été difficile à prendre, mais les associations de maraude de la métropole bordelaise ne savent plus comment montrer leur «épuisement». Depuis le 10 octobre, huit d’entre elles – soit plus d’une centaine de personnes – ont entamé une grève illimitée. Une première en Gironde. Dans cette lutte, tous les profils et tous les âges se côtoient chez ces grévistes à l’engagement bénévole : travailleurs, étudiants, retraités. «C’est sûr qu’on ne s’attend pas à ce que des bénévoles fassent grève. Une partie de notre action continue sur le terrain pour ne pas laisser tomber les bénéficiaires, mais en mode très dégradé, avec une diminution des distributions alimentaires. On veut montrer les carences de l’Etat», prévient Estelle Morizot, fondatrice et présidente de la Maraude du cœur à Bordeaux.

Leur plus grande crainte est de revivre «l’enfer de l’hiver dernier» où deux personnes sans abri sont mortes de froid la veille de Noël. «En 2021 et en 2022, vingt et une personnes ont succombé du fait de leur vie dans la rue à Bordeaux», s’émeut Cécilia Fonseca, présidente des Gratuits Gironde – Solidarité. Lors d’une marche blanche organisée le 1er novembre, les bénévoles grévistes ont défilé dans le centre-ville avec des pancartes de portraits des personnes décédées pour alerter la population.

«L’hypocrisie dans toute sa splendeur»

Le bras de fer entre la préfecture et les associations grévistes – «furieuses et dans l’incompréhension» de ne toujours pas avoir été reçues par la préfète – s’est durci ces dernières années. Avec en toile de fond, l’augmentation constante du nombre de personnes à la rue dans la métropole bordelaise : lors de la Nuit de la solidarité, organisée en janvier dernier, 450 bénévoles mandatés par la mairie ont recensé plus de 800 personnes nécessitant une mise à l’abri d’urgence. Une méthodologie contestée par la préfecture qui ne s’est pas avancée sur un chiffre, mais l’estime surévalué. Pêle-mêle, les grévistes demandent 1 000 nouvelles places d’hébergement adaptées aux différents profils, le financement de denrées alimentaires par l’Etat ou l’ouverture automatique d’abris complémentaires en cas de température inférieure à 10 °C et supérieures à 30 °C.

Le tableau dépeint par la préfète, Fabienne Buccio, semble bien différent. «Ces associations grévistes sont connues de nos services, mais elles ne sont pas aussi structurées que celles que nous finançons. Il ne suffit pas d’être un groupe de volontaires pour obtenir des subventions», se défend-elle. «On dit qu’on n’a pas besoin de nous, pourtant, le 115 fait régulièrement appel aux maraudeurs pour les aider sur le terrain. L’hypocrisie dans toute sa splendeur !» cingle Estelle Morizot.

Le week-end dernier, les associations expliquent s’être occupées d’une famille tchétchène avec deux enfants en bas âge, 2 et 4 ans. «Ils ont dormi plusieurs jours dehors, sous une tente de fortune, avec des couvertures de survie. Ils n’ont jamais réussi à obtenir de place au 115. En présence d’un travailleur social et un jour d’alerte météo, on leur a répondu d’arrêter d’appeler faute de place. On a dû interpeller des élus et s’acharner à appeler le 115 pendant trois jours pour leur trouver un logement provisoire», fulmine Cécilia Fonseca. La préfecture assure qu’une discussion avec la famille a permis de conclure qu’elle n’était pas en situation de grande vulnérabilité.

«Faire constater que l’Etat manque à son devoir»

La préfète préfère insister sur le budget alloué à la solidarité envers les plus démunis en 2022 : «51 millions d’euros et 4 000 places d’hébergement d’urgence en Gironde. Un chiffre qui n’a fait qu’augmenter ces dernières années», argue-t-elle. En face, les associations s’étranglent. Elles estiment devoir supplanter quotidiennement l’Etat. «Personne ne met en cause le travail du 115, ils font un job incroyable, mais le nombre de places adaptées est largement insuffisant. On ne compte plus les refus essuyés faute de places ou le nombre d’appels restés dans le vide», décrit Estelle Morizot.

Un constat partagé par la mairie écologiste de Bordeaux. «Il est indéniable qu’il y a un manque d’hébergement d’urgence sur le territoire, même si on l’évalue plutôt autour de quelques centaines de places. On a ainsi estimé que plus de la moitié des sans-abri ne sollicitent pas, ou plus, le 115, car on ne leur propose pas de solution», abonde Harmonie Lecerf, adjointe en charge de la solidarité. La situation n’est pas différente au niveau national, et il a fallu récemment une mobilisation de tout le secteur pour faire revenir le gouvernement sur sa décision de supprimer près de 14 000 places d’hébergement d’urgence d’ici à fin 2023.

Tous les matins, la préfecture affiche les taux d’occupation des hébergements d’urgence sur son site. «C’est bien occupé, je ne dis pas le contraire, mais cela nous semble adapté, se justifie Fabienne Buccio. Quant aux refus pour des enfants ou aux appels qui sonnent continuellement dans le vide, j’attends de le voir.» Les grévistes, las d’être taxés d’affabulateurs, ont décidé de faire venir un huissier sur le terrain plusieurs jours d’affilée. Une première aussi en Gironde. «C’est dans les tuyaux, confient la Maraude du cœur et les Gratuits Gironde. Dans les prochains mois, nous pourrons faire constater officiellement que l’Etat manque à son devoir.»


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