mardi 15 novembre 2022

« La dégradation de l’hôpital public risque d’aboutir à la disparition de pans entiers d’activités et de savoir-faire »

Publié le 09 novembre 2022

Le collectif Inter-Hôpitaux s’indigne, dans une tribune au « Monde », de la faiblesse des moyens annoncés pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2023. Face à une inflation à 6 %, les 4,1 % de hausse du budget promis reviennent à faire des économies et à ignorer les appels à un sauvetage de la santé.

Devant les sénateurs, le 25 octobre, le ministre du budget [Gabriel Attal] a souligné la hausse prévue de 4,1 % du budget hospitalier pour 2023. « C’est deux fois plus qu’au cours de la décennie 2010. Historique ! » Et on pourrait ajouter qu’« aucune économie n’est annoncée par le gouvernement pour l’hôpital », comme l’a affirmé le ministre de la santé [François Braun] le 19 octobre au Sénat.

Derrière les mots, il faut chercher les faits. Quand l’inflation est de 6 % et que le budget augmente de 4 %, cela revient à faire 2 % d’économies, soit entre 1 et 2 milliards, à l’hôpital. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) va donc aggraver la situation des établissements de santé, comme cela a déjà été signalé par la Fédération hospitalière de France. Les dépenses de personnels (entre 58 % et 65 % du budget des établissements) sont le premier poste de dépenses hospitalières. On comprend mieux pourquoi la demande unanime des soignants et des patients d’obtenir des effectifs adaptés à l’activité n’a aucune chance d’être traduite en actes.

Ce qui est historique, c’est que, faute d’être en nombre, les personnels soignants désertent l’hôpital public, au sein duquel ils ne trouvent plus un exercice satisfaisant. Quand 70 % des infirmières sortant des écoles pouvaient rejoindre l’hôpital il y a dix ans, elles ne sont plus maintenant que 40 %. Historique ! Quand près de 80 % des infirmières hospitalières étaient encore en poste trois ans après leur recrutement, elles ne sont plus que 65 %. Historique ! Tous les gouvernements successifs, y compris le gouvernement actuel, ont fermé des lits pour parvenir à réduire les dépenses de personnels. Et maintenant les lits restent fermés par manque de personnel. Historique !

Conditions dégradées

Ainsi, l’hôpital ne peut plus accueillir ni les épidémies hivernales attendues, ni les accidents vasculaires cérébraux « usuels », et repousse sans cesse les soins pourtant indispensables de patients atteints de maladies chroniques. Faute de lits, les médecins hospitaliers exercent leur activité dans des conditions dégradées et précaires : ils réalisent un tri qui ne dit pas son nom. Ils suivent en ambulatoire et sans filet un nombre croissant de patients dont l’état de santé justifierait une hospitalisation. Les médecins assument ainsi des drames médicaux qui résultent de décisions politiques. Cet abandon d’un droit constitutionnel – le soin et le bien-être des citoyens – est en effet historique.

Cette dégradation de la situation hospitalière risque d’aboutir à la disparition de pans entiers d’activités et de savoir-faire dont l’hôpital public est le seul opérateur. La crise de la pédiatrie aujourd’hui préfigure ce qui arrivera demain pour l’ensemble de l’hôpital public.

Pour attirer, fidéliser les personnels, donner du sens aux métiers de l’hôpital, rouvrir les lits, il faut embaucher massivement du personnel soignant et non soignant, garantir des conditions de travail décentes, des effectifs en nombre, un nombre maximal de patients par soignant (ratio). Chaque année, les écoles d’infirmières forment plus de 30 000 nouvelles professionnelles. Un plan d’embauche en trois à cinq ans permettrait de garantir des ratios compatibles avec un exercice serein. Il faut peut-être 100 000 professionnels de plus, soit 5 milliards de plus dans le PLFSS, ce qui serait alors un tournant historique dans la politique de santé des vingt dernières années.

Avec un PLFSS historiquement bas en euros constants, le gouvernement choisit d’ignorer les appels des personnels hospitaliers et des associations de patients, appels pourtant nombreux depuis plusieurs années, avant même la crise du Covid. Il décide de poursuivre une politique qui n’a pas été discutée lors des élections, présidentielle ou législatives. Aucun parti n’a assumé le choix de laisser retourner l’hôpital à sa fonction première : l’hospice.

Alors, si, en dépit des discours, il faut réduire le champ de l’hôpital public, ayons un débat démocratique.

Anne Gervais est hépatologue ; David Grabli, neurologue ; Véronique Hentgen, pédiatre ; Maud Pontis, psychologue ; Cécile Vigneau, néphrologue. Ils s’expriment au nom du collectif Inter-Hôpitaux, formé dans le but de défendre l’hôpital public. Il rassemble des soignants et des usagers.


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