mardi 1 novembre 2022

Christophe Fauré, psychiatre : « Il se dégage une vraie sagesse des récits d’expérience de mort imminente »

Propos recueillis par    Publié le 31 octobre 2022

Décrites depuis des décennies, les expériences de mort imminente interrogent les scientifiques… et les croyants. Le médecin a travaillé sur des dizaines de témoignages qui, selon lui, ne prouvent rien sur ce qu’il advient après la mort mais fournissent des « clés » pour nos vies ici-bas.

La science a-t-elle son mot à dire sur l’au-delà ? Oui, répond le psychiatre Christophe Fauré, dans un livre déroutant. Le médecin, qui s’intéresse aussi au bouddhisme (notamment depuis sa retraite de deux ans dans un centre du bouddhisme tibétain en Dordogne entre 2001 et 2003), s’était déjà longuement penché sur la question du deuil, à travers différents ouvrages. Dans Cette vie… et au-delà. Enquête sur la continuité de la conscience après la mort (Albin Michel, 368 pages, 21,90 euros), qui paraît le 2 novembre − Jour des morts dans la tradition catholique −, il dresse cette fois-ci un état des lieux des avancées de la recherche sur plusieurs types d’« expériences de l’au-delà » vécues à travers le monde par des centaines de milliers d’individus.

Les plus connues sont les expériences de mort imminente (EMI), expression désignant un ensemble de visions et de sensations vécues après un accident, un arrêt cardiaque ou pendant un coma, par exemple. Si toutes les EMI ne se ressemblent pas, de nombreuses personnes racontent avoir vécu la même chose : une sortie du corps, une rencontre avec des êtres mystérieux très majoritairement bienveillants (parfois décrits comme des « êtres de lumière ») et/ou des proches défunts, un « tunnel » dont on a la sensation qu’il conduit quelque part d’où l’on ne revient pas, etc.

Ces récits ont été compilés et analysés par des dizaines de scientifiques – psychiatres, neurologues, biologistes, spécialistes de soins palliatifs –, en particulier dans les pays anglo-saxons. Et il ne faut pas s’arrêter là, avance Christophe Fauré dans un entretien au Monde des religions, et « mettre de plus en plus de science dans ce domaine, pour ne pas le laisser aux fondamentalistes religieux ».

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ces questions ? Est-ce votre regard de psychiatre ou d’homme tourné sur le bouddhisme qui vous a conduit vers ce sujet ?

J’ai avant tout écrit ce livre avec une attention de médecin. La parution en 1975 de l’ouvrage de Raymond Moody(médecin connu pour ses travaux sur les EMI), La Vie après la vie, avait déjà attisé ma curiosité. Mais je n’ai pas particulièrement d’attrait pour l’extraordinaire et c’est vraiment par la pratique que je me suis intéressé à ces questions et que j’ai eu envie de les creuser.

Au fil du temps, par mon métier de médecin, notamment en soins palliatifs, j’ai rencontré de plus en plus de malades en fin de vie, infirmières, proches de défunts, patients ayant vécu des EMI, personnes en deuil, etc. qui m’ont apporté des témoignages directs sur ce type d’expérience.

La science est en train de changer de paradigme, de sortir d’une vision matérialiste

Evidemment, ces témoignages font écho au volant bouddhiste de mon parcours, qui reste très présent. C’est intéressant de voir que des éléments de traditions spirituelles entrent en résonance avec des expériences humaines qui peuvent être abordées d’un point de vue scientifique, avec non plus des anecdotes rapportées ici ou là, mais des milliers de données, analysables, quantifiables, que l’on peut croiser.

Je me suis aussi aperçu qu’il y avait un énorme gouffre entre la connaissance anglo-saxonne sur ces sujets et ce que l’on en sait dans les pays francophones. J’ai voulu transmettre ces connaissances en vulgarisant assez pour que ce soit accessible.

Je pense que la science est en train de connaître un changement de paradigme, de sortir d’une vision matérialiste qui poserait par exemple pour acquis que la conscience ne peut être que le produit de l’activité neuronale. Ce paradigme connaît des fissures avec, par exemple, la physique quantique. Mais cette dernière n’intéresse malheureusement pas beaucoup le grand public, alors que les expériences que je relate dans mon livre interpellent tout le monde.

Vous affirmez que ces expériences peuvent « avoir des incidences pour notre vie ». Que voulez-vous dire ? Que peuvent-elles nous apporter ?

Tout d’abord, il y a un intérêt pour les personnes qui les vivent. En tant que psychiatre, je sais combien cela peut prendre du temps de changer les habitudes de quelqu’un. La première chose qui m’a marqué avec ces expériences, c’est la rapidité et la radicalité avec laquelle elles peuvent changer la vie de ceux qui les vivent.

Dans leur grande majorité, elles sont vécues très positivement. Les personnes y trouvent une source d’apaisement, d’énergie, cela atténue leur peur de la mort et renforce leur envie de vivre, en étant plus présentes, plus curieuses, plus tournées vers les autres. C’est ce qui les distingue de ceux qui ont « simplement » frôlé la mort, plus enclins à des troubles anxieux, à du stress post-traumatique et qui souffrent davantage.

Ensuite, je pense que les médecins doivent pouvoir être en mesure de parler de ces expériences avec leurs patients lorsqu’ils les vivent. Pour le patient, c’est extrêmement rassurant de se dire qu’il n’est pas fou, que ce qu’il vit correspond à quelque chose, partagé par des milliers d’autres personnes à travers le monde.

Mais je considère également que ces expériences peuvent être inspirantes pour tout le monde. Elles apportent de nouvelles grilles de lecture sur la vie et incitent à se demander : que signifie être dans cette vie ? Quel est le sens de cette vie ? Quelle est la nature de notre conscience ? Ce sont des choses très concrètes.

Pouvez-vous citer des exemples concrets, justement ?

Environ 14 % de ceux qui vivent des EMI connaissent ce que l’on appelle une « revue de vie ». Ils sont alors mis face à un panorama de ce qu’ils ont vécu et perçoivent, de manière très nette, parfois à travers des détails totalement oubliés, l’impact de leurs paroles, de leurs pensées, de leurs actions, sur eux-mêmes et sur les autres. On peut tous s’en inspirer pour méditer sur les conséquences de nos actions, même celles qui peuvent nous paraître insignifiantes.

Il y a dans ces récits des messages d’amour, d’amour de soi, des autres, du vivant

Autre exemple : un nombre conséquent de gens s’entendent dire, lors d’une EMI, que le moment de leur mort n’est pas encore venu. Cela nous montre que, dans cette vie, il y a des choses à faire, qu’elle peut avoir un sens. La vie n’est pas juste absurde. Il y a une vie à vivre avec toute sa beauté, sa richesse. Nombre de récits de ces expériences (et des changements qu’elles ont entraînés dans la vie des patients) comprennent des messages d’amour, de prise en compte de soi, d’amour des autres, de prise en compte du vivant, de la planète.

Je trouve qu’il s’en dégage une vraie sagesse. L’être humain, fondamentalement, est en quête de sens. Nous cherchons tous à trouver des boussoles. Evidemment, chacun est entièrement libre de se laisser influencer, toucher, porter ou non, par ces récits. Mais j’y vois pour ma part des clés extrêmement profondes pour aborder la vie, sans être portées par des dogmes religieux, par une morale du bien ou du mal.

Il faut souligner que l’immense majorité des personnes qui ont vécu ces expériences assurent qu’elles n’y ont été jugées par personne, ni en bien ni en mal. Elles tirent elles-mêmes leurs propres conclusions. C’est vraiment de l’ordre du libre arbitre.

Dans votre ouvrage, le conditionnel reste de mise. Si vous ne remettez jamais en cause l’honnêteté de ces témoignages, vous vous gardez d’affirmer que cela prouve la continuité de la conscience après la mort. Pouvez-vous nous expliquer la nuance ?

Je fais la comparaison avec le droit : un juré peut avoir une intime conviction, mais s’il n’a pas fait l’expérience directe du meurtre, il ne peut se baser que sur des témoignages. Or, mon livre ne se base pas sur une expérience directe. C’est pourquoi le conditionnel restera toujours de mise.

Mais c’est vrai qu’il existe des témoignages vraiment surprenants. Par exemple, certaines personnes affirment avoir vu, lors de ces expériences, d’autres personnes, alors qu’elles ne les savaient pas décédées. Parfois, elles vivent des « expériences partagées » avec des gens qu’elles ne connaissent pas. Citons également les récits de ces enfants qui semblent se souvenir de vies antérieures, en évoquant leur « autre maman » ou en donnant des détails de leur enterrement. Cela tendrait à faire croire à une continuité de la conscience après la mort. Mais on ne pourra jamais avoir de certitude sans expérience directe.

Est-ce que ça ne risque pas de heurter certaines croyances religieuses ? Un théologien pourrait vous dire qu’il ne faut pas prendre ces questions à la légère…

Certains fondamentalistes, notamment aux Etats-Unis, voient effectivement dans ces témoignages l’action du diable. Selon moi, ces personnes veulent imposer une autorité, un dogme, dans le rapport à la mort et à l’au-delà. Je ne suis pas théologien, je ne sais pas répondre à leur place. Si un théologien trouve qu’il est dangereux qu’une personne change l’axe de sa vie dans un sens bénéfique pour elle-même et pour autrui, ce sera sa conclusion.

L’idée n’est pas d’aller contre les neurosciences mais d’en élargir le champ

Nous sommes libres de nous inspirer ou non de ces expériences. Je n’en parle pas dans mon livre, mais il est vrai que certaines ont entraîné de profondes crises existentielles chez des personnes très religieuses, car elles entraient en contradiction avec quelques-unes de leurs croyances. Elles s’attendaient à être jugées et/ou pardonnées mais il ne s’est rien passé de tel durant leur expérience, il y a simplement eu un sentiment de responsabilité. D’autres, au contraire, ont été renforcées dans leurs croyances. Mais c’est un territoire où je ne m’avance pas trop, c’est de la théologie.

Selon moi, il faut mettre encore davantage de science sur ces sujets pour ne pas les laisser aux fondamentalistes. Ce qui me passionne, c’est d’étudier en profondeur les transformations survenues chez les gens qui ont vécu ces expériences.

Qu’est-ce que cela induit chez eux ? Comment une diminution aussi soudaine et radicale de la peur de la mort est-elle possible ? Pourquoi cela modifie-t-il autant le rapport à soi-même et aux autres ? Qu’est-ce qui se passe pendant ces quelques minutes qui entraînent des orientations de vie aussi radicales ?

L’idée n’est pas d’aller contre les neurosciences, mais d’en élargir le champ pour essayer de comprendre, encore plus finement, comment la conscience fonctionne.


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