samedi 8 octobre 2022

Reportage Crack à Paris : le square Forceval évacué, «ils vont juste déplacer le problème»

par Benjamin Delille et Charles Delouche-Bertolasi   publié le 5 octobre 2022

Après plus d’un an à Porte de la Villette, dans le nord de Paris, le camp de consommateurs de crack était en cours de démantèlement mercredi matin. Le ministre de l’Intérieur a annoncé le déploiement de 1 000 policiers.

Tard mardi soir, la rumeur s’était répandue. Tôt mercredi, elle est devenue réalité : le square Forceval est évacué. Dans la nuit noire, aux abords de la Porte de la Villette, les consommateurs de crack s’activent. On attrape ses affaires et on quitte cette enclave de verdure où, depuis septembre 2021, quelque 400 usagers de crack vivent au quotidien. Beaucoup espèrent partir avant l’arrivée des forces de l’ordre.

Une usagère, la quarantaine, grosse doudoune, sac sur l’épaule, s’apprête à partir. «Les assos nous ont dit que la police arrivait. Ils vont séparer ceux qui ont des papiers et ceux qui n’en ont pas, liste-t-elle. On va se remettre ailleurs. Peut-être sur les quais de Seine…»

«Sur mon instruction, le préfet de police procède au démantèlement définitif ce matin du campement du crack du square Forceval à Paris. 1 000 policiers seront déployés afin que ce campement ne se reconstitue pas ailleurs. Un moment important pour l’ordre public rétabli à Paris», a précisé de son côté le ministre de l’Intérieur dans un tweet publié peu après 7 heures. Le bilan du ministère de l’Intérieur fait état de 39 interpellations et cinq usagers ont été conduits en milieu hospitalier. Par ailleurs, lors de la fouille du square, une arme semi-automatique de calibre 9mm a été retrouvée sous le périphérique. Gérald Darmanin prendra la parole sur les lieux à 17h45.

Dans une note envoyée par les services de la place Beauvau, il est indiqué que «le préfet de police de Paris procède […] au démantèlement définitif du square Forceval, lieu majeur de consommation de crack à Paris».

Définitif ? Le mot ferait presque sourire Marie Debrus, référente réduction des risques à Médecin du monde, qui est arrivée à l’aube au square. «C’est encore une fois une nouvelle dispersion des usagers. Et les conditions ne sont pas réunies pour permettre un accompagnement de santé, explique-t-elle. Ce n’est pas en mettant en place des lits d’urgence, ce qui semble se profiler, que ça réglera le problème. Il faut écouter ce que disent les professionnels de santé depuis trente ans.»

Forceval, priorité de Laurent Nuñez

Rafael, un riverain quinqua membre du collectif Anti-crack 93, ne dit pas autre chose en observant le ballet des policiers. «On s’attend pas à grand-chose, notre mot d’ordre c’est “soignez-les, protégez-nous”, explique-t-il. Mais si ce n’est qu’une évacuation ça ne change rien, il faut les accompagner vers les soins. Ils vont juste déplacer le problème.» Emmitouflé dans son manteau, béret sur le crâne, il sourit face à une imposante ligne de policiers qui entre dans le camp. «C’est bruyant», souffle-t-il dans le brouhaha des gyrophares et des sirènes de camions.

Vers 8 heures, un ballet de véhicules de la mairie se met en place : tractopelle et camion-benne s’apprêtent à nettoyer le camp où se dressent encore les tentes vides, les détritus abandonnés sur l’herbe terreuse, trop foulée depuis un an pour encore se targuer d’une quelconque verdure. On entend aussi les bottes des agents de police crisser sur les débris de verre.

Côté ministère de l’Intérieur, on assure que «les personnes recherchées seront interpellées, tout comme les étrangers en situation irrégulière» seront placés en CRA (centre de rétention administrative) «en vue de leur expulsion»«Les autres occupants seront orientés vers des dispositifs d’hébergement avec accompagnement médico-social ou dans des unités de soins», précise Beauvau.

D’après les acteurs associatifs, entre 300 et 400 personnes vivent au square Forceval la journée et 150 la nuit, dont 35 à 40% de femmes. Le 24 septembre, à la date anniversaire de leur déplacement, 500 manifestants avaient défilé dans les rues de Pantin et Aubervilliers pour dénoncer un «laisser-faire» des autorités et exiger l’évacuation du campement.

La problématique du crack dans la capitale figure tout en haut de la feuille de route du nouveau préfet de police de Paris Laurent Nuñez. Gérald Darmanin, lui, a même ordonné de «régler la situation du crack en un an». Il avait promis au lendemain de la dernière manifestation que le site fermerait.

«On va où maintenant ?»

A la Porte de la Villette, un homme s’agace. Il porte une casquette retournée et un jean dépareillé. Semble perdu dans le va-et-vient des policiers : «C’est quoi ça ? A Stalingrad, on est bien ils nous disent de partir. Ici pareil, nous on est tranquilles, pas violents. Ils sont où mes amis ?» Sans le savoir, il a en réalité échappé aux contrôles. Il prend la direction opposée vers l’intérieur de Paris et s’arrête quelques secondes au bruit des sabots de deux chevaux de la Garde républicaine, comme ébahi. On l’entend souffler entre ses dents déchaussées : «On va où maintenant ?»

Le camp en plein nettoyage, trois personnes s’avancent, visiblement habitués des lieux. Peut-être à la recherche d’un proche ou d’un ballot égaré. Ni une ni deux, ils sont attrapés par le bras et embarqués de l’autre côté du square par des policiers en tenue noire du Groupement de soutien opérationnel. Emmenés dans un coin où semblent avoir été rassemblés tous les usagers restés sur place. Deux bus ont été affrétés et les agents y font monter les personnes contrôlées. Le tout, sous les yeux de François Dagnaux, maire PS du XIXe arrondissement de Paris. «Cette évacuation était inévitable pour le quartier, mais il sera nécessaire d’offrir une réponse médico-sociale qui reste pour l’instant trop timide, regrette l’édile. Que se passera-t-il après l’opération de police ? Il y a le risque, évidemment, que le campement se reconstitue.»

Mise à jour à 17h avec le bilan du ministère du l’Intérieur


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