jeudi 27 octobre 2022

Pédiatrie sous tension : «Il ne faut pas croire que les annonces feront taire la colère»

 par Anaïs Moran    publié le 24 octobre 2022

Le gouvernement a annoncé dimanche «un plan d’action immédiat» et débloqué 150 millions d’euros pour les services sous pression à l’hôpital. Insuffisant pour les soignants, à l’instar du docteur Laurent Dupic, du collectif Inter-Hôpitaux, pour qui ces déclarations relèvent du «saupoudrage».

Il a tenté tout le week-end de calmer la gronde des pédiatres hospitaliers. Sans véritable succès. Invité de France 2 samedi et de BFM TV dimanche, le ministre de la Santé, François Braun, s’est hâté de réagir à la lettre ouverte des plus de 6 000 soignants, publiée vendredi par le Parisien, s’alarmant de la saturation des services pédiatriques publics, et de «la dégradation criante des soins apportés aux enfants» qui les mettent «quotidiennement en danger» – et ce, alors même que le pic d’hospitalisations lié à l’épidémie de bronchiolite n’est prévu que dans un mois. Contraint de répliquer face à cette situation d’urgence, le ministre a annoncé un «plan d’action immédiat», avec l’activation de plans blancs dans les hôpitaux les plus en tension et le déblocage de 150 millions d’euros. Un chèque disponible de «manière immédiate» dans le but de répondre tout particulièrement aux «besoins de renfort de personnel» et de valorisation de la pénibilité de certains horaires de travail (nuit, week-end, jour férié). S’ajoute à ces mesures la promesse ministérielle d’«Assises de la pédiatrie», prévues au printemps, «afin de travailler sur l’ensemble des difficultés structurelles». Rien de satisfaisant pour les équipes hospitalières sur le front, au bout du rouleau.

«La réponse politique est irresponsable, ont réagi dimanche soir, par communiqué, des collectifs de soignants et des associations de patients après les prises de parole de François Braun. Nous […] réclamons une prise de parole du président de la République constatant la gravité de la situation et la responsabilité de l’état et annonçant en urgence une réforme profonde et structurelle de l’hôpital public et notamment de la pédiatrie», écrivent-ils. Signataire de ce communiqué, Laurent Dupic, réanimateur pédiatrique à l’hôpital parisien Necker-Enfants malades et membre du collectif Inter-Hôpitaux pédiatrie, explique à Libération les raisons de leur déception.

Face à l’extrême tension vécue par la pédiatrie hospitalière, notamment dans les services de réanimation, l’exécutif répond par le déclenchement des plans blancs. Que cela vous inspire-t-il ?

C’est un outil de gestion de crise qui ne devrait être utilisé qu’en cas d’évènement sanitaire exceptionnel, et ça montre bien à quel point l’hôpital public est désossé. Le ministère de la santé et la présidence de la République veulent gérer la séquence comme ils ont procédé durant la période du Covid-19 : en fermant des unités entières, principalement des blocs opératoires avec la déprogrammation des opérations, afin que les équipes paramédicales puissent venir en renfort dans les services de soins intensifs. Les pédiatres ne vont plus pouvoir assurer la chirurgie orthopédique, cancéreuse, ophtalmique, pendant des semaines. On repousse ces interventions aux calendes grecques. On retarde la prise en charge de nos malades chroniques, qui risquent de décompenser derrière et revenir à l’hôpital dans des états très graves. On pénalise des enfants qui n’ont rien demandé. C’est dramatique et injustifiable. Tout cela parce que notre gouvernement n’a jamais voulu regarder en face les conditions de travail de plus en plus déplorables des soignants, la fuite du personnel, la fermeture des lits… Et agir de manière conséquente. La vérité, c’est qu’aujourd’hui, la pédiatrie hospitalière est tellement sinistrée qu’elle ne peut même plus faire face aux évènements du quotidien, à la normalité.

François Braun a tout de même déclaré que les services pédiatriques étaient confrontés à une épidémie de bronchiolite «plus précoce que d’habitude»

Très légèrement oui, mais pas plus intense. Elle est totalement banale. Ça fait des dizaines d’années que nous maîtrisons les temps chauds des épidémies hivernales. Nous avons un plan Epivers, conçu pour anticiper les besoins et organiser l’augmentation de la charge d’accueil, c’est réglé comme du papier à musique. Donc je veux bien que le ministre appelle à la responsabilité des parents face à la bronchiolite, pour éviter le plus possible au virus de circuler cet hiver. La prévention, c’est toujours bien. Mais tenir ce discours est aussi le meilleur moyen de ne pas assumer ses responsabilités, en allumant des contre-feux. Parce qu’au fond, la bronchiolite, ce n’est pas le sujet. En Ile-de-France, on a commencé les transferts hors de la région fin septembre. Ils concernaient des enfants atteints de crises d’asthmes sévères que les réanimations ne pouvaient accueillir faute de lits disponibles. Les signaux d’alarme ont été tirés depuis nombreuses semaines.

Les 150 millions ne sont-ils pas une bonne nouvelle ?

C’est du saupoudrage. On attend de voir comment ces 150 millions vont véritablement être utilisés derrière l’effet d’annonce, d’autant plus que tout n’est pas destiné au secteur pédiatrique. Peut-être que cet argent va permettre à certains soignants encore fidèles à l’hôpital public d’y voir un signal positif. De leur redonner une lueur d’espoir si cela aboutit, par exemple, sur des primes pour cet hiver. Toutefois, il ne faut pas croire que cela fera taire la colère. On sait déjà que ces 150 millions sont nettement insuffisants pour engager les réformes structurelles vitales au bon fonctionnement du système hospitalier. Il faut tout revoir de fond en comble. Les gens quittent leur service parce qu’ils sont épuisés, et ne reviennent pas car l’hôpital public n’est plus en capacité de leur proposer un cadre de travail qui a du sens. Cette réalité est d’autant plus désastreuse en pédiatrie que cette spécialité n’existe quasiment pas dans le privé. Le gouvernement semble ne pas en avoir conscience.

Il y a bien ces «assises de la pédiatrie», fixées par le ministère de la Santé au printemps prochain…

Rien de moins qu’un affront. Ces assises sont une pure perte de temps. Les constats sont là, posés depuis longtemps. Il faut juste agir maintenant. Emmanuel Macron est au pouvoir depuis plus de cinq ans, il serait peut-être temps. Comme on se démène de notre côté pour assurer la continuité des soins du plus grand nombre d’enfants. Rien que ce week-end, à l’AP-HP, nous avons dû trouver de la place en réanimation pour huit enfants de la région. On s’est démenés comme des dingues, en jouant aux jeux des chaises musicales dans nos hôpitaux, en créant sur le tas deux équipes supplémentaires de Structures mobiles d’urgence et de réanimation, en assurant deux transferts chez nos collègues non franciliens… Nous, ça fait plusieurs semaines qu’on prend nos responsabilités. Au gouvernement de les prendre.


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